L'amour comme fondement

Prédication

Je vous rassure tout de suite sur deux points :

  • Vous n’avez pas raté le dernier mot à la mode ou le dernier néologisme, hesed est un mot hébreu, si riche qu’il est difficile de le traduire, j’ai donc fait le choix ici de le garder dans sa langue originale.
  • Je ne me suis pas mise à bégayer ou a radoter, le psaume reprend sans cesse comme un refrain « car sa hesed est pour toujours ». Nous avons déjà eu l’occasion de voir que les psaumes sont des chants ou des poèmes liturgiques, et c’est particulièrement flagrant dans celui-ci, où l’on imagine très bien un chœur qui reprend « en boucle » le refrain, pendant qu’un soliste lance les couplets.

Ceci étant posé, je vais quand même tenter d’éclaircir ce « hesed ». C’est un mot relativement courant de l’Ancien Testament, plus de 240 fois. Il s’applique aux humains aussi bien qu’à Dieu. La moitié des occurrences se trouve dans le psautier, dont 26 dans notre psaume du jour, où, comme dans l’ensemble du psautier, il s’applique à Dieu. Un peu plus d’un dixième des occurrences de hesed se trouve dans ces quelques versets, qui le reprennent en boucle.

La hesed prend place dans une relation affective et familière qui vise à la réciprocité. Elle peut se traduire par : bonté, amour, miséricorde, grâce, fidélité, bienveillance, sollicitude, loyauté. Vous trouverez toutes ces options dans les différentes traductions courantes. Chouraqui a inventé le mot « chérissement » pour traduire, de manière très systématique, hesed. La hesed hébraïque est assez proche de l’agape grecque, sans que l’une traduise exactement l’autre.

Je l’ai dit, la hesed peut s’appliquer aux humains comme à Dieu, mais ce qui distingue fondamentalement la hesed dont sont capables les humains de celle de Dieu, c’est la dimension temporelle. Comme le dit, 26 fois, notre psaume du jour, la hesed de Dieu « est pour toujours ». On pourrait traduire aussi « dure éternellement ». Et la forme du psaume vient renforcer cette dimension de stabilité : en répétant, comme une basse continue, ce « ki leolam hasdo », car sa hesed est pour toujours », le chant sature l’espace sonore et le temps de cette affirmation. Il en fait le fondement sur lequel tout repose, la trame dans laquelle s’insèrent tous les fils de nos existences. Il en fait le point de départ, la source, de toute action divine, en utilisant à chaque fois ce petit mot « ki », qui désigne une relation de causalité et qu’on rend en français par « car ». C’est ce que dit autrement le prophète Esaïe : « quand bien même tout s’effondrerait autour de toi, si les montagnes s’effondraient, si les collines chancelaient, si plus rien n’avait de consistance, ma hesed pour toi ne faiblira pas, car je t’aime, d’un amour éternel. »

Une autre dimension de la hesed, c’est son caractère concret : elle implique quelque chose qu’on fait pour le bien de l’autre, par bonté pure, sans condition ni raison autre que la hesed elle-même. Cela, ce sont les couplets, très brefs, qui l’illustrent : le psaume rend grâce pour tout ce que Dieu a fait et fait pour son peuple, en raison de cette hesed, dont les contours varient entre le début et la fin du psaume, de l’ensemble des créatures au peuple descendant d’Abraham et libéré d’Egypte. La puissance du Dieu créateur est tout entière tournée vers le bien de ses bien-aimé-es. La hesed est une volonté agissante pour le bien de la personne qui en est destinataire. Car si nous avons toutes et toutes grandi et vivons encore dans une société où la notion d’amour a été pervertie par des « c’est pour ton bien que je te frappe, pour te corriger, pour t’apprendre, ça me fait plus mal qu’à toi et c’est par amour que je le fais », la hesed se traduit par des actions qui visent le bon et le bien : préparer un lieu de vie, libérer, guider, soigner. Pour le dire avec les mots de l’autrice afro-américaine féministe bell hooks qui réfléchit sur l’amour entre les humains, « L’amour et la maltraitance ne peuvent coexister. » (p. 30) « Commencer par penser l’amour toujours comme une action plutôt que comme un sentiment, c’est une manière de faire en sorte que toute personne utilisant le mot assume automatiquement sa responsabilité et rende des comptes. (…) Si l’on se souvenait constamment que l’amour, c’est ce qu’on fait, on n’utiliserait pas le mot d’une manière qui dévalue et dégrade son sens. » (p. 38) Pour le dire encore autrement, faire cohabiter la souffrance infligée et l’amour, c’est pervertir l’amour, qu’on parle de l’amour de Dieu pour les humains ou celui d’un humain pour un autre.

Cet amour, cette hesed divine que le psaume 136 met en scène de si belle manière, c’est donc cette volonté agissante en faveur de notre vie, qui nous accompagne chaque jour, jusque dans nos hontes et nos souffrances les plus secrètes et les plus noires, jusque là où nous les rejetons de toutes nos forces, jusque là où nous crucifions le Christ, jour après jour. Cette hesed divine, c’est celle qui, parce qu’elle est volonté de bien pour nous, parce qu’elle est bonne nouvelle, Evangile, choisit la résurrection plutôt que la vengeance, car, pour le dire avec les mots de Paul, rien, ni la morts, ni la vie, ni les anges, ni aucune autre autorité, ni le présent ni l’avenir, ni les forces d’en haut, ni celles d’en bas, non rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Christ.

Amen

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