Psaume 77 : exiger Dieu, ni plus, ni moins

Prédication

Le psaume 77 est au milieu de ce qu’on pourrait appeler le recueil d’Asaf, et il contient une série de questions infiniment douloureuses : « Est-ce qu’Adonaï me rejettera pour toujours ? Est-ce qu’il sera encore défavorable ? Sa fidélité est-elle annulée pour toujours ? La Parole s’est-elle tue pour des générations ? El a-t-il oublié de faire grâce ? A-t-il fermé les vannes de sa compassion par colère ? », qui débouche même sur une réponse qui l’est plus encore, douloureuse : « ma souffrance vient de ce que la droite du Très-Haut a changé. » Dieu a changé d’avis sur moi : je me mérite plus ni son attention, ni son amour.

La souffrance du psalmiste n’est pas explicitée, ce qui nous permet d’y retrouver la nôtre. La seule chose certaine, c’est qu’elle est profonde et qu’elle torture au-delà de la dimension corporelle, qui n’est même pas évoquée. L’être profond, la nephesh, et le souffle de vie, la rouah, sont les deux dimensions évoquées et indiquent un ébranlement de toute la vie du psalmiste face à cette souffrance.

Si on ne lit que la série de questions, le psalmiste semble abandonné au désespoir. Mais pris dans son entier, le psaume clame une espérance ferme. Non pas une paisible confiance, mais l’espérance dont parlait Jacques Ellul, celle qui convoque Dieu à répondre de ses actes, qui appelle, inlassablement, jusqu’à être entendue.

« Quand Dieu se tait, écrivait Ellul, il faut le forcer à parler. Quand Dieu se détourne, il faut le forcer à revenir. Quand Dieu semble mort, il faut le forcer à être. »

« Ma voix vole vers Elohim et je crie, écrit Asaf. Ma voix vole vers Elohim et il tendra l’oreille vers moi. » Si le psalmiste se sent abandonné, s’il ne sait pas si Dieu parlera encore, il refuse pourtant fermement, obstinément, le silence de Dieu. Il crie, avec la ferme intention de crier jusqu’à obtenir une réponse, jusqu’à ce que Dieu, à nouveau, se tourne vers lui. Son attitude ressemble à celle de Job. Comme lui, il refuse les consolations faciles : « mon être – ma nephesh – refuse d’être consolée ». Autrement dit, les « ça va passer », « Dieu a donné, Dieu a repris », « c’est la volonté de Dieu », « il t’envoie cette épreuve pour te faire grandir / ou te punir », « Dieu est amour, il n’est pas dans ta souffrance », très peu pour lui. Aucune de ces réponses ne suffit à son espérance.

Le psalmiste exige Dieu. Rien de plus, rien de moins. Et il exige tout Dieu. J’ai gardé dans ma traduction les versions hébraïques des noms de Dieu qui sont utilisés, pour garder cette pluralité des noms, qui tente de dire l’entier de l’être de Dieu : Elohim, Adonaï, El, Yah, le Très-Haut. Le plus utilisé est le nom à la fois pluriel et singulier Elohim, et les autres expriment cette pluralité dans l’unité, cette unité dans la pluralité. C’est Dieu dans tous ces aspects, dans toutes ces dimensions, que convoque Asaf : le créateur, la source de l’amour, celui qui ordonne le monde et qui donne des règles, celui qui nous est très proche et celui qui est tout autre. Il ne veut pas seulement le dieu créateur, ou seulement le dieu fidèle, ou seulement le dieu qui fait justice. Il veut la présence entière de Dieu.

Contre le Dieu silencieux, le psalmiste convoque le Dieu d’Israël, celui qui a racheté, aimé et guidé son peuple. Contre le Dieu absent, il convoque le Dieu qui a agit pour créer le monde et guider son peuple vers la vie possible. Asaf veut se souvenir de la présence de Dieu dans l’histoire de son peuple et dans sa vie. Le plus souvent dans la Bible, c’est Dieu qui se souvient et qui est fidèle à ce qu’il avait dit, à ce qu’il avait promis. Les humains oublient. Parfois ils demandent à Dieu de se souvenir. Ici, puisque Dieu semble avoir oublié ses promesses, Asaf lui s’en souvient, il les crie pour les lui rappeler.

Le psalmiste ici refuse absolument l’image du tsimtsoum, celle du Dieu créateur qui se retire pour laisser la place à ses créatures de vivre librement. Il exige la présence de Dieu pour pouvoir vivre librement. Et il exige la présence du Dieu qui est le seul vrai Dieu : celui qui accueille, qui est favorable, qui est fidèle, qui parle, qui fait grâce, qui est compatissant.

Le psaume s’interrompt brutalement, comme pour signifier qu’il n’a pas de fin : le psalmiste continue de crier vers Dieu, de réclamer sa présence, aussi longtemps qu’il en a la force. Dans ce cri, dans cette mémoire qu’il assume des promesses de Dieu, peut-être fera-t-il l’expérience que là est la présence de Dieu, dans cette capacité même à prier encore, à espérer encore, comme Jésus sur la croix priant « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Peut-être pourra-t-il entendre cette parole qui retentit depuis le commencement du monde « je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde »

Amen

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