Psaume 31 : la prière de la femme dite adultère menée devant Jésus ?

Prédication

Vous avez peut-être noté que j’ai mis ce psaume au féminin. Il y a plusieurs raisons à cela.

D’abord, comme je l’ai dit tout à l’heure, ces prières, malgré la distance temporelle et culturelle qui nous sépare de leurs auteurs – qui sont très probablement des hommes – rejoignent notre expérience humaine. Quand elles sont écrites à la première personne, j’aime parfois dire ces prières en les accordant avec le fait que je suis une femme, cela m’aide à vivre ces mots comme venant aussi de moi.

Il y a une deuxième raison au fait que j’ai choisi de mettre ce psaume au féminin : il se trouve que, pour préparer une prochaine séance du groupe du ktcycle, j’ai travaillé en début de semaine le récit de la rencontre entre Jésus et la femme accusée d’adultère, traînée devant lui pour qu’il confirme la sentence de mort. Et en travaillant ce psaume pour ce midi, j’ai eu soudain le sentiment qu’il pourrait être la prière de cette femme. J’ignore les circonstances qui ont conduit le psalmiste à dire puis écrire cette prière qui, n’effaçant rien de la souffrance, l’enchâsse dans l’espérance et la reconnaissance. Il se trouve en tout cas que j’y ai entendu la voix de cette femme dont nous parle l’évangile de Jean. Elle fait cette expérience d’être encerclée et rejetée par tous et toutes, et sans doute y compris des ami.es, des membres de sa famille. Ce qui lui arrive – être prise en flagrant délit d’adultère – est trop grave pour que quiconque ose prendre son parti, ou même simplement rester à ses côtés dans l’épreuve. Il faut se représenter la scène : une femme dont on ne sait pas si elle était consentante ou non à la relation sexuelle en cours, tirée d’un lit ou d’un recoin quelconque pendant que l’homme qui était avec elle s’échappe ou est laissé libre de s’échapper, sans doute largement dévêtue, saisie, malmenée, remise sur ses pieds et menée de force vers Jésus. Les seules paroles qu’elle peut saisir dans son parcours vers Jésus sont certainement des médisances et ragots : « ça y elle a été prise, je l’avais bien dit que ça finirait mal », « elle l’a bien cherché », « tu sais bien qu’elle a toujours été dévergondée… quelle honte pour sa famille ! », sans doute aussi des insultes. Et des silences… les silences font parfois plus mal encore que les mots. Dans les mots du psaume :

"Celleux sur qui je comptais, voilà qu’iels me dévisagent avec dégoût. Ce que le sort a fait de moi leur fait peur ! Celle qui souffre fait fuir, ce serait mieux si elle était morte ! Oubliée des cœurs comme si ne j’existais plus, je suis un objet perdu, un mouchoir qu’on jette. J’entends, j’entends toutes ces médisances, des paroles qui enfoncent le fer dans ma plaie, des allusions qui vous achèvent."

Cette femme fait certainement l’expérience aussi du sentiment de rejet par Dieu exprimé par le psalmiste, « j’ai pensé, il ne veut plus de moi » : elle a fauté et ne peut qu’être rejetée par Dieu. Et la situation dangereuse dans laquelle elle se trouve, ne pouvant conduire à vues humaines qu’à la mort, confirme cet abandon du Dieu de la vie. Le silence initial de Jésus ne fait sans doute que renforcer ce sentiment.

Et elle fait aussi l’expérience de la libération de cette situation sans issue comme de la restauration de sa dignité, à ses yeux et aux yeux des autres.

"Tu as vu, tu as connu ce qui me déchire. Tu ne m’as pas laissée seule avec ce tourment qui me dépasse. Tu as dégagé l’entrave qui m’empêchait d’avancer."

Il y a encore une troisième raison au fait que j’ai choisi de mettre ce psaume au féminin : c’est que derrière la voix de cette femme menée devant Jésus j’ai entendu la voix de toutes les personnes, hommes et femmes, qui se trouvent dans des situations similaires. Vous avez peut-être remarqué ces derniers jeudis que je choisis de m’habiller en noir. Ce n’est pas que j’ai chaque jeudi un service funèbre. C’est qu’avec plusieurs collègues nous avons décidé de nous associer à une initiative du Conseil oecuménique des Eglises, les jeudis en noir contre les violences sexistes et sexuelles, qui vise à dénoncer, aussi en Église, ces violences, qui touchent certes majoritairement des femmes et des filles, mais aussi – et c’est encore plus tabou et du coup destructeur – des hommes et des garçons. Ce noir est encore une manière de visibiliser ce qui est d’habitude caché, et d’exprimer une solidarité avec les personnes qui luttent pour survivre intérieurement et extérieurement. Il est enfin un signe d’espérance d’un monde où ces violences disparaîtront peu à peu, parce qu’on ne peut faire diminuer ces violences qu’en osant en parler.

Parler d’espérance quand on parle de ces sujets douloureux, et qu’en plus on choisit de s’habiller en noir, ce n’est pas gagné… et pourtant, comme dans le psaume 31, l’espérance n’est pas absente de l’expérience d’abandon, de rejet, de douleur. L’espérance ne retire pas grand-chose à la douleur immédiate, aiguë. Par contre elle retire beaucoup à son pouvoir de destruction sur le long terme, comme l’exprime le psalmiste. Il y a d’abord l’espérance que la cruauté ne triomphera pas jusqu’au bout. Cette espérance n’est pas ici désir de vengeance, mais vraiment, me semble-t-il, espérance que cette cruauté sera guérie, dépassée, et finira par disparaître.

Il y a ensuite l’espérance que la cruauté subie ne conduira pas à la mort, spirituelle, psychologique ou physique :

"Alors je me greffe en toi : toi ma source, toi mon Seigneur et mon Dieu. Mon avenir est entre tes mains. C’est toi ma délivrance. Lorsque ton visage se tourne vers moi, mes malheurs s’écartent devant la paix de ton sourire."

Et il y a encore l’espérance de ne plus être seul.e dans cette marche vers la vie plus forte que la mort, vers l’amour plus fort que la haine, vers la lumière plus forte que les ténèbres : à la fin du psaume, l’auteur n’est plus seul comme il en a eu le sentiment, ni même seul avec Dieu dont il découvre qu’il a toujours été là, mais engagé dans un mouvement avec d’autres guetteurs et guetteuses de Dieu.

Vous savez quoi ? Demain, c’est la journée mondiale de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Nous serons vendredi, mais je crois que je remettrais du noir et mon badge… et que j’irai partager avec le petit groupe d’hommes et de femmes d’Eglise qui participeront au rassemblement le dernier verset du psaume 31 :

"Prenez courage, haut les coeurs, guetteurs et guetteuses de Dieu !"

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