Psaume 51 : se laisser toucher par Dieu là où nous sommes le plus vulnérables
Prédication
« Tu me laveras et je serai pur. » C’est une phrase qui me touche particulièrement, par la confiance qu’elle suppose de la part du psalmiste.
Alors on est bien d’accord : il ne nous parle pas ici d’une douche quotidienne, mais utilise cette image corporelle pour parler d’une réalité spirituelle. Mais avec cette image, il nous dit quelque chose de sa situation à lui, de qui est Dieu pour lui, et qui peut être Dieu pour nous. Quand David dit à Dieu « tu me laveras », il reconnaît à la fois qu’il en a besoin, qu’il ne peut pas le faire lui-même, et que Dieu est la bonne personne pour le faire.
Il en a besoin : le premier verset du psaume nous donne le cadre de cette prière. Vous connaissez sans doute cette histoire sordide où David, voyant une femme, en prend possession sans lui demander son avis, puis, parce qu’elle se trouve enceinte de cette relation, s’arrange pour faire tuer son mari et l’épouser rapidement pour que la naissance de l’enfant ait un air de légitimité. Ici et maintenant, où l’on met l’accent sur le consentement des deux partenaires, on appellerait ça un viol. Là-bas et à l’époque, où l’on met l’accent sur la propriété qu’un homme acquiert sur sa femme avec le mariage, ça s’appelle un adultère. Et dans la loi juive, l’adultère est passible de la peine de mort. Pourtant David ne semble même pas avoir eu conscience du problème… comme si tout à coup sa position dominante de roi faisait de tous les êtres l’entourant sa propriété et le plaçait au-dessus des lois. Il a eu besoin de la parole de Nathan pour ouvrir les yeux… et prendre conscience que ce qu’il a fait est grave non seulement dans la relation avec ses semblables, mais aussi – parce que les deux sont indissociables, - dans la relation avec Dieu. À présent donc il sait qu’il a besoin d’être lavé.
Et il sait aussi qu’il ne peut pas se laver lui-même : ce qu’il pourrait faire en termes de contritions, de sacrifices, il sent bien que ce n’est pas adapté à la situation, ce n’est ni ce que Dieu attend, ni ce dont il a besoin. Il a besoin d’un cœur nouveau comme il le dit. Le cœur, dans l’anthropologie hébraïque, ce n’est pas le siège des sentiments, mais celui de la prise de décision. Ce que David demande, c’est d’être à nouveau capable de prendre des décisions justes, humaines, adéquates, et pour cela il sait qu’il a besoin d’aide puisqu’il n’a pas réussi à le faire du moment où il a vu Bethsabée.
Il sait qu’il a besoin d’un nettoyage qu’il ne peut pas faire lui-même, et il sait que Dieu est la bonne personne pour le faire, parce qu’il a déjà expérimenté qu’en restant conscient de la présence de Dieu à ses côtés il pouvait prendre des décisions justes, des décisions qui l’ont conduit à devenir roi d’Israël sans sombrer dans la haine et les jeux de pouvoirs. « Tu me laveras » dit-il donc à son Dieu. Se laver est précisément un geste qui durant la plus grande période de notre vie est un geste que nous faisons sur nous-mêmes. Se laisser laver par quelqu’un nous arrive rarement…
La première personne à laver un être humain est celle qui l’accueille lors de la naissance, le plus souvent celle qui a fait office de sage-femme. Si aujourd’hui il arrive souvent qu’on propose au papa de donner ce premier geste d’accueil, et il arrive – beaucoup plus rarement – que la sage-femme soit un homme, ce n’était pas le cas à l’époque de rédaction de notre psaume. Qui que soit la personne qui accueille ainsi un enfant, il s’agit d’un geste doux, tendre, envers un être infiniment vulnérable et dépendant. Le nourrisson puis le jeune enfant est par la suite lavé par sa mère ou d’autres femmes de la maisonnée, aujourd’hui aussi par son père de plus en plus, avec autant de douceur et de tendresse. « Tu me laveras », comme une femme qui a choisi d’aider à accueillir les vies nouvelles lave le tout-petit qui vient de naître pour l’accueillir dans le monde aérien, comme une mère ou un père lave tendrement son enfant, lui assurant une peau saine.
Le handicap, un accident, la maladie, ou la dépendance qui s’installent petit à petit avec la vieillesse peuvent, au cours de notre vie, nous replacer dans ou nous garder dans la situation où nous devons être lavé.es par une autre personne que nous-mêmes, soignant.es ou proche aidant.es. Pour la plupart d’entre nous, c’est un passage difficile. Se mettre nu.e, laisser une autre personne passer l’eau et le savon sur tout notre corps, y compris les parties les plus douloureuses et les plus intimes, nous oblige à une intimité que nous n’avons pas vraiment choisie avec la personne. Les personnes qui posent ces gestes sont conscientes de cela, elles procèdent avec douceur, en respectant la pudeur des personnes qui leur sont confiées. Dans les services hospitaliers surchargés, les premières choses dont se plaignent les soignant.es, c’est de ne plus avoir le temps de parler avec les personnes hospitalisées et de devoir faire les toilettes à la chaîne, sans respecter justement ce besoin de confiance et de respect. Ils savent combien ce geste est important. « Tu me laveras », comme un soignant compétent, empathique et respectueux peut le faire.
Il arrive aussi que des amants se lavent l’un l’autre, dans un geste à la fois érotique et plein de confiance, dans lequel ils se manifestent l’un à l’autre que l’amour et le désir sont bien plus forts que la honte que nous inspirent notre corps, qu’ils ne dépendent pas de la conformité de notre corps aux standars de beauté dictés par les industries de la mode et de la cosmétique. « Tu me laveras », comme un amant qui m’aime jusque dans ce qu’il y a de moins beau, de moins conforme, de moins aimable en moi.
La dernière occasion lors de laquelle nous serons lavé.es par une autre personne, c’est la toilette mortuaire. Là encore, les personnes qui pratiquent ces gestes sur les corps qui leur sont confiés le font avec un respect et une tendresse remarquables, pour permettre aux proches de voir une dernière fois un visage aimé sans les stigmates de la mort. Si le cœur vous en dit et que vous en avez l’occasion, je vous invite d’ailleurs à regarder une fois le film japonais Departures, qui évoque ces personnes qui prennent soin de nos morts, qui prendront soin de nous un jour. Il est vraiment magnifique ! « Tu me laveras », y compris de ce qui en moi est mort, pour que je puisse de nouveau entrer en relation avec d’autres.
Quand le psalmiste dit à son Dieu « tu me laveras », c’est donc une marque de confiance infinie ! Inviter Dieu à faire cette toilette spirituelle, c’est oser – en confiance – se mettre à nu devant lui et se laisser regarder et envelopper de son amour. C’est l’inviter à être notre sage-femme, notre parent, notre soignant, notre amant, notre thanatopracteur spirituel : celui qui, avec une infinie douceur, une infinie tendresse et un infini respect, lave, retire ce qui fait mal, aime tout ce que nous sommes. « Tu me laveras » et alors je ne serai plus prisonnier de ma faute, je retrouverai le goût de la joie et de la fête, et je pourrai de nouveau partager avec mes frères et sœurs en humanité cette conscience d’être faillible et d’avoir besoin de toi.
Amen