Psaume 21 : creuser le désir
Prédication
« Tu lui as donné ce que son cœur désirait, tu n’as pas repoussé la requête de ses lèvres. »
Je crois c’est mon verset préféré dans ce psaume. Il porte une telle joie, un tel émerveillement, et une telle promesse !
Dieu donne. Il n’est pas un Dieu qui prend, il est un Dieu qui donne. C’est une promesse pour nous car ce psaume, comme tous les textes bibliques, nous parle de nous. Bien sûr il est écrit à partir de l’expérience d’un croyant, désigné ici par le terme de roi : la Bible n’est pas un livre théorique sur Dieu, mais un recueil plein de voix différentes témoignant chacune à leur manière d’expériences et de questionnement. Dans le cas de ce psaume, on peut certes chercher de quel roi il s’agit : David, Josias ou un autre. Mais dans un chemin spirituel il est surtout important de réaliser qu’il parle d’une expérience possible pour tous les croyants, pour toutes les croyantes. Bien sûr, nous ne sommes pas rois ou reines selon le droit. Mais Dieu pose sur nous un regard qui fait de nous des rois, des reines, parce que nous sommes ses bien-aimé.es. C’est pour cela que j’ai choisi de traduire « psaume du bien-aimé » plutôt que « psaume de David », qui est la traduction classique.
Dieu donc donne à son bien-aimé, à sa reine, c’est une promesse. Et il donne ce que le cœur a désiré. Une petite remarque ici : vous avez sans doute déjà eu l’occasion de l’entendre, mais il est utile pour bien comprendre de rappeler que dans la représentation hébraïque de l’être humain, le cœur n’est pas le siège des émotions, mais de la volonté éclairée par la raison et la foi. Au passage, ce n’est pas sans résonance avec les découvertes récentes sur le réseau de neurones qui enveloppe le cœur… Bref, quand on dit ici que le cœur désire, ce n’est donc pas d’un élan émotionnel, mais de la volonté informée, éclairée par le raisonnement d’une part, la confiance en Dieu d’autre part.
Le désir n’a pas bonne presse… C’est qu’on le confond souvent avec une pulsion de dévoration, ou avec l’envie compulsive. Ce sont des déviations du désir, pas le désir. Le désir, c’est ce frémissement léger que vous avez forcément déjà senti à l’intérieur de vous, ce souffle qui pousse vers l’extérieur, né de la conscience d’être incomplet, cet élan de vie inexplicable. Fondamentalement, le désir dont il est question ici n’a pas un objet précis – il n’est pas désir de ceci ou de cela – mais désir de relation, désir de vie. Le désir naît du manque de « quelque chose » qu’on ne sait pas bien nommer. Et ce désir là ne peut ni ne doit être comblé. Il nous pousse vers l’autre, frère ou sœur en humanité, et vers le Tout-Autre. Il s’agit plutôt de le laisser se creuser en nous. L’expression dit d’ailleurs cette chose très importante : on creuse un désir, on comble un besoin. Mais surtout, ne comblons pas le désir, laissons-le en creux en nous.
Ce que Dieu donne au cœur qui désire, c’est le désir même, creusé sans cesse à nouveau, qui laisse l’humain ouvert sur l’autre, sur le Tout-Autre. Sans désir, pas de rencontre. Sans désir, pas de vie. Sans doute connaissez-vous des personnes qui traversent une panne de ce désir-là qui pousse vers la vie, ou peut-être en avez-vous connu vous-mêmes. La dépression est l’une des formes de cette panne de désir. Plus rien n’a de sens, le ressort de vie se détend ou se casse. C’est parfois même un effort conscient : on ne veut plus désirer, de peur d’être déçu, de peur de souffrir. Dans ces situations, le désir est un don de vie, un don qui ressuscite.
Dans le psaume, ce désir a poussé le roi à demander à Dieu « la vie en surabondance qui vient de Dieu ». J’ai essayé de rendre par cette traduction l’hébreu qui dit plus littéralement « il t’a demandé les vies venant de toi ». Ce que ce désir là demande, ce n’est pas un objet quelconque, ce n’est même pas une personne en particulier, ni une relation spéciale, c’est simplement de vivre pleinement toutes les dimensions de la vie, toutes les dimensions de l’être humain. Et c’est bien ce que Dieu lui a donné : une longueur de jour pour toujours et à perpétuité. Cette expression que je trouve assez amusante dit la dimension d’éternité donnée dans la vie que Dieu offre. Et il donne aussi des bénédictions de bonheurs, qui font du roi une source de bénédictions : Dieu ne comble pas le désir, il le creuse, le laisse ouvert vers l’Autre.
Allons encore un pas plus loin : sans désir pas de rencontre, aussi pour Dieu. Le psaume nous parle d’un Dieu qui va à la rencontre de l’humain avec des bénédictions de bonheurs. Ce Dieu qui cherche la relation avec l’être humain, c’est un Dieu désirant, dont un Dieu qui manque lui aussi. C’est un peu dérangeant par rapport aux représentations de Dieu tout-puissant, omniscient, omnipotent… Mais le Dieu créateur précisément n’est plus le tout de l’existant, il n’est plus auto-suffisant : il a créé de l’autre, du différent, et cela creuse en lui l’espace du désir, l’espace de la rencontre. Dieu, en créant, est devenu un Dieu désirant, et un Dieu qui donne le désir à l’humain.
Puisse la pause estivale, avec son rythme peut-être un peu ralenti, être l’occasion de laisser l’Eternel.le creuser en nous le désir, de veiller sur ce creux en nous, afin de nous garder en route, comme nous le proposent les Béatitudes : Heureux, en marche, ceux qui ont faim et soif !