Psaume 84 : devenir des humains désirants

Prédication

Désirer… ce verbe n’est pas si simple à oser dans nos vies ! Nos désirs ont souvent été vus comme futiles, ou démesurés, trop sulfureux ou trop peu présents, en tout cas jamais adéquats. Cela explique en grande partie que nous soyons si peu à l’aise avec le fait de désirer, et que nos désirs soient souvent malades ! Pourtant le désir est une magnifique chose, un don dans nos vies.

Le désir naît du manque : « tout mon être éprouve un manque » commence le psalmiste. Cela nous concerne aussi bien sûr. Nous ne sommes pas des êtres parfaits, achevés, chaque être humain en fait l’expérience. C’est si douloureux que nous nous réfugions parfois dans l’illusion de la toute-puissance, nous cherchons à nous convaincre que nous n’avons besoin de rien ni de personne. Ou bien nous cherchons à éteindre ce manque par des moyens détournés, par ce que Blaise Pascal appelait le divertissement : remplir nos agendas, avoir en permanence une radio ou un écran allumé, vivre des relations dévorantes, se perdre dans l’une ou l’autre addiction… Mais pourquoi ce manque est-il si douloureux ? Peut-être en partie parce qu’il vient rencontrer notre propension à juger constamment et qu’à la lumière du jugement, le manque fait naître d’un sentiment d’inadéquation, d’insuffisance, de honte ou de culpabilité. Toutes sensations très inconfortables, d’où notre évitement. Mais le psalmiste nous invite à prendre le temps de ressentir ce manque à une autre lumière : celle du soleil qu’est notre Dieu pour nous, c’est-à-dire la source qui rend la vie possible. Sous cette lumière, le manque est un don. Il nous oriente vers celui qui seul peut en faire jaillir la vie et la lumière. Du manque peut jaillir alors le désir de Dieu « Mon cœur et ma chair te désirent. » poursuit ainsi le psalmiste.

Or le désir met en route : celui ou celle qui désire se met en route vers l’objet de son désir. Dans le cas de ce désir originel de Dieu, le désir n’a pas un objet, il vise celui qui est le sujet par excellence, et qui lui-même désire nous rencontrer, faire notre connaissance.

Le désir met en route, et quand ce désir est reconnu comme désir du Dieu vivant, il rend la vie à la personne désirante et elle devient elle-même source de vie : avant même d’arriver au temple nous dit le psaume, celles et ceux que leur désir à mis en route changent une vallée de larmes en pays de source que la pluie couvre de bénédictions. A leur passage, la vie renaît là où elle ne semblait plus possible. Ça vous paraît une belle image, mais tout juste bonne à faire rêver les enfants ? Impossible à vivre réellement ? C’est vrai qu’il y a là une part de promesse pas encore entièrement accomplie, mais il y a aussi une part de promesse déjà en cours de réalisation. Et nous pouvons vivre dans nos vies comme une résurrection vécue intimement éclabousse autour d’elle d’autres pans de notre vie, d’autres personnes autour de nous, tout simplement parce que nous sommes interdépendant.es.

Le chemin est le début de l’accomplissement de la promesse et nous sommes invité.es à devenir amoureux, amoureuses de ces chemins. Être amoureux.se, c’est désirer un autre qui toujours restera inaccessible. Le chemin est à la fois là sous nos pieds, déroulé derrière nous et ouvert devant nous, impossible de mettre la main dessus. On ne peut qu’y mettre les pieds, doucement, en faisant attention, en prenant son temps pour ne pas s’épuiser trop vite. Le chemin est toujours là : si on s’en écarte, il ne s’efface pas. Si on s’arrête un moment au bord, il ne disparaît pas. Et en même temps on ne peut pas le rouler en boule dans sa poche. Il nous échappe toujours. Ce qui rend possible de l’aimer sans le dévorer : il échappera toujours à nos tentatives de mainmise.

Nous pouvons rester amoureux, amoureuses des chemins que Dieu ouvre devant nous ! Etrange parfois ces chemins. Car si on y regarde bien, le psaume propose un drôle de chemin : l’humain désirant est dit heureux parce qu’il habite dans la maison de Dieu et en même temps parce qu’il aime les chemins qui mènent à Dieu. Comme si habiter la maison de Dieu, c’était précisément sortir du temple et marcher au grand air ! Peut-être connaissez-vous le petit livre de Christian Bobin intitulé « L’homme qui marche » ? L’homme qui marche, sous sa plume, c’est Jésus de Nazareth. Et qui a lu ou entendu les Evangiles comprend pourquoi ce titre est particulièrement approprié ! Jésus, grand marcheur s’il en est, disait bien que l’humain n’a pas d’endroit où poser sa tête, il est sans cesse en marche, et c’est en cela même qu’il est humain, à l’image et à la ressemblance de ce Dieu qui se fait souffle sans cesse en mouvement. C’est ainsi que, parti de l’autel à l’intérieur du temple, le psalmiste arrive sur le parvis du temple, ayant vécu la présence de Dieu en lui et autour de lui, bien au-delà des murs du temple. Le psalmiste s’arrête au parvis du temple. Peut-être une manière de dire que le chemin n’est jamais fini : il se poursuit à l’intérieur du temple, il y a toujours un pas plus loin où aller. Peut-être aussi parce que Dieu échappe toujours à nos tentatives de le fixer quelque part, fusse dans le temple de Jérusalem ou dans le corps de Jésus de Nazareth : il se fait courant d’air, souffle saint, esprit de vie, insaisissable. Dieu ne comble pas notre manque, au contraire, il le garde ouvert, béant, pour que nous puissions rester des êtres de désir, des êtres vivants ! Et, peut-être vous en souvenez-vous, le mot hébreu ashereï qu’on traduit par « heureux » est construit sur une racine qui désigne la marche. En marche donc !

Soyons donc des hommes désirants, des femmes désirantes, mis en route par ce désir d’un Dieu qui lui-même nous désire, afin de devenir vivant.es, porteur.euses de vie !

Amen

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