Psaume 90 : la joie d'être aimé-e plutôt que la crainte de subir punition ou épreuve...
Prédication
Mieux vaut souffrir de la main de Dieu que de se penser abandonné par lui. C’est une manière d’aborder le mal qui nous arrive, de lui donner un sens, qu’on trouve abondamment dans certains passages de l’Ancien Testament.
L’être humain peut supporter beaucoup de choses, pour autant qu’il puisse leur donner un sens et élaborer une espérance. Et quand le mal survient, une manière de lui donner un sens, c’est de le comprendre comme une punition ou une épreuve envoyée par un ou des dieux. Ce réflexe est encore facilité par la propension tout aussi humaine à fonctionner sur le mode de la rétribution, du donnant donnant : si tu fais bien tu seras récompensé, si tu fais mal, tu seras puni. Si tu travailles beaucoup, tu gagneras plus que si tu travailles peu ou pas du tout. Si tu fais un métier socialement valorisé, tu gagneras plus que si tu fais un métier peu valorisé. Si tu offres beaucoup de cadeaux, si tu donnes beaucoup, tu seras plus aimé. Nous raisonnons presque en permanence, de manière plus ou moins consciente, selon cette logique.
Alors quand le mal survient, nous cherchons ce que nous avons fait de mal pour mériter sa survenue. C’est très utile : ça nous redonne du pouvoir sur la situation alors même que le mal nous place dans une posture d’impuissance. S’il m’arrive malheur parce que j’ai mal agi, alors je peux me mettre à agir mieux pour que ce mal cesse. Les amis de Job sont dans cette logique, tout comme les théologiens du courant deutoronomistes qui comprennent l’histoire du peuple d’Israël comme une succession de mouvement de pardon de Dieu, suivis par des moments de colère devant la noirceur des êtres humains. Beaucoup de psaumes en témoignent également. Et certaines de nos prières aussi certainement, dans le secret de nos cœurs.
En Christ, nous avons pourtant reçu l’assurance d’un pardon et d’une grâce qui excluent cette logique de la rétribution – pensez à la parabole des ouvriers de la onzième heure… Mais c’est tellement loin, tellement étranger à nos autoroutes de pensée, que nous ne cessons de mettre en doute cet amour reçu gratuitement, originel. Un amour qui arrive non comme une récompense à conquérir mais comme une nourriture à recevoir.
Alors nous retombons régulièrement dans notre logique rétributive et nous marchandons parfois avec Dieu. Théologiquement, nous nous trompons. La Bonne nouvelle, c’est que ça n’est pas grave. Précisément parce que nous nous trompons : Dieu n’est pas dans une logique de rétribution, donc nous tromper sur lui ne l’empêche pas de nous aimer. Et même, il nous fait encore le cadeau de nous aider sans cesse à changer de regard sur lui. L’un des moyens qu’il nous offre pour cela, c’est la prière : dans l’élan de la prière, Dieu nous tourne vers lui, il nous offre de dire ce qui nous habite, exactement tel que c’est, et il nous offre une Parole qui nous transforme. C’est ce qui se passe pour le psalmiste ici. Il comprend Dieu comme l’infiniment lointain, infiniment différent, exigeant et terrible dans sa colère qui provoque la malheur pour celui ou celle qui l’a offensé. Dans l’élan de la prière, souffle de vie venu de Dieu lui-même, il se tourne vers Dieu et lui adresse tout cela : cette admiration mêlée de crainte, la promesse dérisoire de se tenir mieux à l’avenir pour mériter autant de bonheur que les erreurs ont mérité de malheur. Et Dieu travaille cela, il travaille cette compréhension paralysante de la vie et des épreuves qu’elle comporte. Il la travaille et il la transforme, il la fait éclater pour laisser transparaître la réalité divine dans un cri : « Rassasie-nous au matin de ta fidélité et nous crierons de joie, nous nous réjouirons pour toute la durée de nos jours. » Le psalmiste retrouve un Dieu nourricier et non privateur. Un Dieu qui n’efface pas les limites de la condition humaine, mais qui donne de les habiter dans la liberté, la joie et la sagesse. La liberté de vivre sans devoir le mériter ni le gagner. La sagesse de se savoir humain et non pas Dieu. La joie de se savoir humain aimé de Dieu, rassasié de sa fidélité. Dieu n’est pas là pour nous obliger à nous tenir bien. Il n’est pas là pour compenser nos faiblesses et nos fragilités, mais pour nous offrir la joie au cœur mêmes de ces faiblesses et de ces fragilités. La joie d’être aimé, et la joie d’aimer.
Amen