Psaume 34 : cultiver la louange en toutes circonstances
Prédication
Drôle de mention que celle qui ouvre ce psaume : « De David, quand il se fit passer pour fou aux yeux d’Abimelek et fut chassé par lui. » Je suis raisonnablement sûre que peu parmi vous voient à quel épisode il est fait allusion. Moi en tout cas j’ai dû chercher un peu, parce que je ne voyais pas du tout… et pour cause : cet épisode n’existe pas dans l’histoire de David !
Enfin, pas exactement en tout cas. Il y a un épisode, qui est sans doute celui auquel il est fait allusion ici, dans lequel David pas encore roi doit fuir seul, sans escorte, devant Saül. Il se réfugie chez les Philistins, et plus précisément chez leur roi, Akish – et non Abimelek. Drôle de décision d’ailleurs, les philistins étant ses ennemis. Et ça ne manque pas : l’entourage du roi le reconnaît et presse le roi de se débarrasser de lui pendant qu’il est en position de faiblesse. David se met alors à feindre la folie pour sauver sa peau : il s’arme de l’épée du géant Goliath et fait des gestes désordonnés, la bave aux lèvres. En apparence le grand David, dangereux chef de guerre, est devenu un pauvre fou, sa raison ayant été perdue sur le champ de bataille. Akish ne chasse pas David, mais se moque de lui avec tous ses serviteurs, et l’ignore tout simplement. David peut ainsi quitter la ville pour des cieux plus cléments. Il n’y a pas grand-chose de glorieux ni d’exceptionnel dans cette circonstance, pas de délivrance miraculeuse, juste une pauvre ruse pour se tirer d’un faux-pas qui a failli tourner au mauvais pas.
La plupart des chercheurs et chercheuses estiment que les suscriptions des psaumes – ces mentions introductives qu’on saute souvent à la lecture, et qui indiquent le ou les auteurs, et parfois les circonstances – ont été ajoutées aux psaumes non pas par leurs auteurs mais par ceux qui ont rassemblés les psaumes en recueil. Pour celle-ci, cela semble assez clair. Au moment où on rassemble des psaumes pour en faire un recueil, probablement à usage liturgique, on décide, pour un certain nombre d’entre eux, de préciser l’auteur, ici David, et d’associer le psaume à une circonstance de sa vie. Sauf qu’ici, soit celui qui ajouté la mention l’a fait sur la base d’un souvenir assez vague et s’est trompé, soit il l’a fait sur la base d’une autre version de l’histoire que celle qui a été retenue dans ce qui est devenu notre Bible.
Mais au fond, pourquoi chercher à préciser un auteur et une circonstance particulière ? Alors que précisément ces prières en forme de poèmes et de chants sont utilisées dans toutes sortes de circonstances différentes ? Pour l’auteur, David est cité comme l’auteur de 73 psaumes, les fils d’Asaph de 12 psaumes, les fils de Coré de 11 et quelques autres sont attribués à Héman, Etan, Moïse et Salomon. 35 sont sans attribution d’auteur. Parmi ces attributions, certaines sont probablement historiques, d’autres relèvent d’un procédé littéraire pour attribuer à une figure d’autorité spirituelle une prière, lui donnant ainsi un rayonnement plus important, d’autres encore ont pu être dédicacés à ces grandes figures de l’histoire du peuple de Dieu.
Pour les circonstances, la plupart sont certainement fictives, attribuées a posteriori. Comme pour l’attribution de l’auteur ou du destinataire du psaume, l’objectif est d’ancrer la prière dans le réel – cela peut sembler paradoxal puisque je viens de dire qu’on relie fictivement une prière et une circonstance qui n’avaient au départ pas de rapport particulier. Mais il s’agit de montrer que la prière, fut-elle poétique et chantée comme les psaumes, fut-elle utilisée dans un cadre liturgique très formel comme c’était le cas des psaumes, naît toujours dans un contexte particulier, spécifique. Même ce psaume 34 qui fait peut-être partie des plus travaillés dans la forme puisqu’en plus du parallélisme de la poésie hébraïque il s’impose d’être alphabétique – chaque verset commence par une lettre de l’alphabet, dans l’ordre – est bien plus qu’un exercice de poésie. La prière est toujours le fruit d’une vie incarnée dans les heurs et malheurs de nos vies humaines. Elle monte vers Dieu depuis l’être d’une personne en particulier, à un moment particulier, avec des mots particuliers. Elle n’est pas d’abord un exercice de littérature, un concours de poésie ni de chant.
C’est important à rappeler, tant pour les prières liturgiques, dite dans le cadre du culte, que pour nos prières personnelles. Ce qui compte dans la prière ce n’est pas la beauté formelle, c’est ce qui est exprimé. Nous cherchons souvent, nous qui présidons les cultes, des prières poétiques écrites par d’autres, ou de beaux mots et de belles formules quand nous les écrivons nous-mêmes. Et par là nous nous mettons parfois la pression nous-mêmes et nous mettons la pression sur vous qui nous écoutez, donnant à penser que la prière pour être « juste » doit être belle. L’attention à la beauté est importante en ce qu’elle exprime l’importance de Dieu dans notre vie : dis-moi à quoi tu passes du temps et je te dirais quel est ton Dieu. C’est important, mais ça ne doit pas prendre toute la place : c’est ce que nous rappellent ces suscriptions parfois étranges, comme celles du psaume 34. Ce qui est important c’est ce qui, du fond de notre être, cherche à se dire devant Dieu. Si les mots nous échappent, s’ils s’embrouillent ou s’emmêlent, s’ils viennent du plus simple des vocabulaires, s’il ne reste que le silence, les larmes ou l’immensité de la joie qui fait monter le sourire jusqu’aux yeux, peu importe. Dieu entend, Dieu est là.
La suscription du psaume 34 place le psaume dans une circonstance qui frise le ridicule : David le grand chef de guerre a fait une erreur stratégique grossière en cherchant refuge chez des ennemis, et il doit du coup se rend plus ridicule encore en se faisant passer pour fou pour sauver sa peau. Le psaume 34 est pourtant un magnifique psaume de louange. Associer ce psaume à ces circonstances semble un pari. Comme pour nous inviter à rechercher la louange dans toutes les circonstances de notre vie, même les moins glorieuses, les plus ridicules, même au cœur de nos échecs les plus cuisants, de nos errances les plus lointaines. Pour nous inviter aussi à rechercher la trace de la présence de Dieu précisément aussi dans ces circonstances d’où il semble absent.
Il s’agit d’être jardiniers et jardinières de notre être intérieur, particulièrement dans ces circonstances difficiles : cultiver la louange pour qu’autre chose ne vienne pas envahir notre espace intérieur – la honte, le désespoir, l’orgueil, la solitude. Il s’agit, par ce jardinage intérieur, de garder en vie notre désir de vivre, qui est désir de nous relier à celui qui est le Dieu de la vie et des vivants. C’est ce que soulignent les deux versets placés au centre de la structure extrêmement travaillée de ce psaume : « Ecoutez-moi, je veux vous apprendre à honorer l’Eternel.le. Qui donc aime la vie et désire des jours où il verra le bonheur ? » Honorer l’Eternel.le, c’est aimer la vie et désirer vivre. Pour le dire avec les mots du Deutéronome qui me sont si chers, « Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta descendance, aimant l’Eternel.le ton Dieu, écoutant sa voix, t’attachant à lui, car là est ta vie. »
Cultivons donc notre désir de vivre, le goût du compagnonnage avec Dieu, comme le dit aussi ce psaume, en toute circonstance, comme ce psaume nous invite à le faire. Et s’il nous échappe, Dieu le gardera en nous et pour nous.
Amen