Psaume 103 : Bénir l'Eternell, c'est lui donner la puissance d'être Dieu

Prédication

Je vous l’ai dit, ce psaume est l’un de mes préférés, et c’est aussi l’un des passages bibliques qui me donne le plus le vertige, un de ceux qui recèlent un mystère tellement immense pour moi que j’en frissonne. Tout tient, ou presque, dans les deux premiers vers de ce poème :

"Bénis l’Eternell, ô mon être ! Que tout en moi bénisse son saint nom ! Bénis l’Eternell, ô mon être, et n’oublie aucun de ses bienfaits !"

En principe, c’est qui attendons d’être béni.es par Dieu non ? Et qui attendons de lui bien d’autres choses peut-être, plus concrètes. Mais là, le processus s’inverse : c’est nous qui sommes incités à offrir quelque chose à Dieu, quelque chose dont peut-être il a besoin, ou qu’il attend. Et quelque chose de surprenant : non pas une confession de nos péchés, des excuses, une imploration, une conversion non, mais une bénédiction !

Le verbe français bénir vient du latin bene dicere, dire du bien. Nous voici donc invités à dire du bien de Dieu, plutôt que de nous exclamer sans réfléchir « qu’est-ce que j’ai fait au bon dieu pour mériter ça », plutôt que de lui attribuer d’une manière ou d’une autre le malheur qui entre dans nos vies. C’est déjà pas mal exigeant !

Mais mon vertige ne vient pas de là. Il vient de l’hébreu… Notre « bénir » français, traduit l’hébreu « barach ». Le verbe barach, en hébreu, vient d’une racine qui veut dire genou et son sens premier c’est : s’agenouiller. Au mode qui est utilisé là, il signifie : accorder ou souhaiter à quelqu’un la puissance nécessaire à l’accomplissement d’une tâche particulière. Quel lien avec l’agenouillement, me direz-vous ? Pensez aux chevaliers du Moyen-Âge qui s’agenouillaient devant le roi pour recevoir le titre de chevalier et la puissance d’honorer leur serment de chevalier…

Donc, si je reprends ce premier verset : « Bénis l’Eternell, ô mon être ! Que tout en moi bénisse son saint nom ! », il faut entendre : « Accorde à l’Eternell, ô mon être, la puissance nécessaire à l’accomplissement de sa fonction divine ». En image ça donne : Dieu est là, agenouillé devant moi, devant chacun.e de nous, attendant que nous l’investissions de la puissance dont il a besoin pour être vraiment Dieu dans notre vie. Vous voyez maintenant pourquoi ce verset me donne le vertige ? Quel renversement ! Quelle humilité de ce Dieu qui ne veut pas être Dieu pour nous sans nous !

Mais honnêtement si c’est moi qui doit fournir à Dieu la puissance dont il a besoin pour faire son job… comment dire ?? On n’est pas rendu.es ! Parce que je n’en ai pas tellement moi de la puissance. Ni de puissance physique – ne me demandez pas de m’inscrire à la course de l’Escalade – ni de puissance spirituelle – si vous saviez à quel point la paresse, la fatigue, la routine, la honte ou la peur, selon les jours, prennent de place en moi, vous vous perdriez bien des illusions sur les pasteur.es comme des champion.nes spirituel.les ! Alors, franchement, de quelle puissance disposerai-je qui pourrait bien être utile à Dieu ?

Je crois que j’ai déjà eu l’occasion de dire ici que la poésie hébraïque fonctionne souvent par écho, en disant deux fois la même chose, de manière légèrement différente, comme nos deux yeux voient chacun une image légèrement différente, permettant à notre cerveau de reconstituer le relief.

"Bénis l’Eternell, ô mon être ! Que tout en moi bénisse son saint nom !"

Dans l’hébreu, le verbe est mis en commun pour les deux sujets et les deux objets. On a du mal à le rendre dans un français correct, mais ça pourrait donner quelque chose comme : « Bénis l’Eternell, ô mon être, et son saint nom, ô tout ce qui est en moi ». La construction hébraïque des phrases comprend une certaine souplesse, et le verbe est très souvent placé au début pour mettre l’accent sur l’action qui se déroule. Ici en ne le répétant pas le verbe pour le deuxième sujet, il est paradoxalement mis très en valeur, comme la clé de toute la phrase.

Qui bénit ? D’abord la nephesh puis le kol-kirbi. La nephesh, c’est un mot qui est souvent traduit par âme, mais notre concept d’âme n’existe pas vraiment en hébreu. Nephesh désigne d’abord, dans son sens littéral, le cou. C’est dans cette partie de notre corps que passe le souffle de la respiration, c’est dans cette partie du corps que sont situées nos cordes vocales, qui donnent à notre voix sa couleur unique. D’où le sens figuré de nephesh, pour désigner le souffle de vie en moi, ou l’essence de ma personne. Bénis l’Eternell, ô mon être, le souffle de vie qui m’habite.

Dans la deuxième partie de la phrase, le sujet qui bénit, c’est kol-kirbi, tout l’intérieur de moi. Cela confirme que ce qui bénit, ce n’est pas une quelconque partie jugée supérieure, noble, ou spirituelle, de moi. C’est tout moi, y compris dans la dimension la plus corporelle, ou dans mes recoins les plus sombres – ces peurs inavouables, ces hontes à jamais tues, ces vœux de vengeance, cette lassitude tenace, oui, tout cela aussi est appelé à bénir. Et bien sûr aussi ce que j’ai de plus personnel, de plus intime, ce qui m’est le plus propre et le plus cher, ce qui en moi porte la lumière.

Même si le comment m’échappe encore, c’est donc bien moi, pauvre humaine ordinaire, qui suis appelée à octroyer à l’Eternell ou à son saint nom une puissance que je ne vois pas, que je ne sais pas avoir. Et je suis supposée l’accorder à Eternell, ou à son saint nom. Derrière le français Eternell, il y a les quatre lettres hébraïques qui composent le nom imprononçable de Dieu : iod, hé, vav, hé. Derrière le français « son saint nom », il y a l’hébreu shem-quodsho : le nom de sa sainteté. Il y a bien un nom, un nom propre, une personne, mais un nom spécial, mis à part – c’est ce que signifie qadosh – sur lequel je ne peux pas mettre la main. Ce que je suis appelée à offrir, c’est donc gratuitement et sans condition ni garantie.

Vous me direz peut-être qu’on n’est pas encore beaucoup plus éclairé sur ce verset, même avec la stéréo, la répétition. C’est qu’il y a là un mystère tellement profond qu’il restera toujours d’une certaine manière hors de portée. Mais pour en déployer une partie, la suite du psaume nous aide : le verset suivant est une nouvelle répétition qui vient encore approfondir le sens « Bénis l’Eternell, ô mon être, et n’oublie aucun de ses bienfaits ». Selon ce fameux principe d’écho, il faut comprendre que les deux morceaux du verset sont synonymes. Bénir est synonyme de ne pas oublier et l’Eternell est synonyme de ses bienfaits.

Bénir, c’est ne pas oublier. Accorder à Dieu la puissance nécessaire pour être Dieu, c’est ne pas l’oublier. Cela commence à prendre sens : bénir Dieu, lui accorder la puissance d’être Dieu dans ma vie, c’est choisir de lui faire une place dans ma vie, dans ma manière de penser le monde, de le regarder et de l’habiter, laisser sa mémoire me façonner.

Deuxième élément de doublon ou d’écho : l’Eternell – iod hé vav hé donc – c’est l’ensemble de ses bienfaits. Le Dieu au nom imprononçable, celui qui à la fois nous façonne et nous échappe, s’approche et disparaît, c’est le Dieu qui dit ce qu’il fait et qui fait ce qu’il dit, c’est le Dieu de la parole agissante.

On comment à y voir un peu plus clair : bénir Dieu c’est lui accorder de la puissance, et lui accorder sa puissance d’être Dieu, c’est ne pas oublier sa présence bienfaisante. On commence à y voir plus clair, mais ça ne devient pas plus facile. Ne pas oublier ses bienfaits, sa présence bienfaisante, Ok, mais quand on ne les voit pas ? Quand on ne les voit pas il faut chercher… Chercher où, dans cette épreuve, était l’oasis qui m’a permis de tenir ? Dans l’accompagnement de telle personne aimée vers la mort, où ai-je puisé de le courage d’être vulnérable, de rester là, de continuer ? Dans le chant de l’oiseau sur l’arbre devant la fenêtre ? Dans le refrain de cette chanson qui avait fait halte dans mon cœur dans tout ce temps ? Dans les téléphones quotidiens de cette amie qui m’a soutenue ? Dans le sourire d’une infirmière ? Dans la main de mon aimé encore chaude dans la mienne ? C’est là qu’était Dieu.

Chercher où, dans cette immense joie, étaient les ressources qui m’ont autorisée à la vivre ? Dans la confiance qui m’habitait à ce moment-là ? Dans celles et ceux qui m’entouraient à cet instant et qui se réjouissaient avec moi, pour moi ? Dans la présence de ma grand-mère, pourtant décédée depuis longtemps, que je sentais soudain très fort ? Dans la reconnaissance pour les dons reçus qui ont rendu tel accomplissement possible ? Dans l’habitude de chercher des raisons de louange ? C’est là qu’était Dieu.

Ne pas oublier Dieu, laisser ces moments vécus avec lui vibrer en nous et nous nourrir, c’est bénir Dieu, c’est lui donner de la consistance dans notre vie, lui donner le pouvoir et la permission, autrement dit la puissance, d’être Dieu dans notre vie. C’est un peu comme une histoire d’amour. Et même c’est une histoire d’amour : quand vous avez rencontré pour la première fois quelqu’un qui vous est devenu cher, une amie, un amant, un enfant, une mère, vous vous êtes d’abord imprégné.e de sa présence. Vous avez dit oui à cette présence dans votre vie. Passivement d’abord. Et puis plus activement, vous avez choisi de donner de la consistance à cet amour, de lui consacrer du temps, de l’énergie, de la créativité, de l’écoute, de la vulnérabilité. Et cet amour partagé est aujourd’hui sans doute l’un des plus beaux fruits que porte votre vie. Mais il aurait pu en être autrement : vous auriez pu ne pas lui accorder tout ce soin, et votre vie aurait pris une tout autre direction, cet amour ce serait étiolé. Avec Dieu c’est la même chose : il est là, tout près, son amour déborde, lui laisserons-nous une place, une chance d’être agissant dans notre vie, d’y dire ce qu’il fait et d’y faire ce qu’il dit ?

Oserons-nous traverser ce vertige et oui, bénir l’Eternell de tout notre être, lui accorder la puissance d’être notre Dieu ? Chacun. Chacune. Et ensemble. Car c’est sur notre être ensemble que se termine le psaume : je ne suis plus seule à bénir, nous bénissons ensemble, nous les héros et les héroïnes de sa parole, les forces d’élites, comme nous appelle le psaume. Choisissons-nous, ensemble de bénir Dieu, malgré le vertige que cela peut nous donner ?

Bénis l’Eternell, ô mon être ! Bénissez l’Eternell, vous qui portez son message dans le monde.

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