Psaume 15 : Dieu nous accueille sous sa tente, tel.les que nous sommes !

Prédication

"Eternel-le, qui pourra demeurer en ta présence ? Qui sera accueilli-e sous ta tente ? Qui s’abreuvera à ton silence ?"

J’ai utilisé la traduction de Stan Rougier, qui cherche à rendre en français la poésie des psaumes. Elle est très belle, et, quand elle s’éloigne du texte littéral hébraïque, c’est pour mieux en retrouver le sens autrement.

C’est ici particulièrement saisissant dans le premier verset : si on veut le traduire plus proche de l’hébreu, ce serait plutôt « qui séjournera sous ta tente ? Qui habitera sur, ou dans, la montagne de ta sainteté ? » L’hébreu fait s’entrechoquer des images qui ne sont pas faite pour aller ensemble, et de ce choc jaillit un sens inattendu, de la même manière qu’en frappant deux pierres différentes on peut fait jaillir une étincelle inattendue.

Ici il y a beaucoup d’images qui s’entrechoquent. Séjourner sous une tente d’abord… entendez-vous la surprise de cette expression ? La tente est l’habitat léger, mobile. Une simple toile et quelques bâtons, et voilà un abri fragile, un espace clos visuellement, mais dans lequel l’extérieur pénètre de mille façons : froid ou chaud, odeur, sons, lumière. Un abri où précisément on ne séjourne pas : on entre et on sort constamment d’une tente, bien plus que d’une maison. Si on peut passer une journée sans sortir de sa maison, il est impossible de passer une journée sans sortir d’une tente. On ne s’installe pas dans une tente, on voyage en l’emportant dans ses bagages. Sous une tente, on ne fait que passer, on s’abrite provisoirement, on fait étape quelques heures.

Et une tente bien sûr, ce n’est pas un habitat prestigieux : si certaines sont plus vastes que d’autres, dans des matériaux plus ou moins luxueux, elles restent fondamentalement un habitat simple et pratique. Attribuer à Dieu une tente comme lieu d’habitation, c’est dire un Dieu qui se simple. Un Dieu en mouvement, toujours prêt à partir plus loin, ou plus proche, toujours en route. Nous qui abordons parfois la spiritualité comme la quête du repos en Dieu ou avec Dieu, voilà qu’on nous propose un Dieu sans domicile fixe sans cesse en route… Un Dieu nomade, courant les routes à notre rencontre, qui ouvre sa tente au voyageur égaré, à la voyageuse épuisée.

Demeurer sous la tente de l’Eternel, c’est donc faire étape provisoirement à l’abri de Dieu, s’y reposer, s’y sustenter, s’y réorienter.

Deuxième choc surprenant : habiter dans la montagne de sa sainteté, ou à l’intérieur de cette montagne. La montagne, c’est dans la Bible l’un des lieux symboliques de la présence divine, un des lieux symboliques de la rencontre avec cette présence. Que nous dit ce symbole ? Il nous dit l’étrangeté et la solidité, l’immuabilité. La montagne, c’est pour le peuple d’Israël à la fois un lieu dangereux, qui peut se révéler hostile, et un lieu de refuge, où l’on peut se mettre à l’abri d’ennemis trop puissants.

Quant à la sainteté, c’est en hébreu d’abord le fait d’être mis à part, réservé, pas le fait d’être parfait. Habiter dans la montagne de la sainteté de Dieu, c’est donc habiter avec Dieu, en sa présence fiable. C’est découvrir un Dieu pour lequel préserver sa sainteté, sa différence, ce n’est pas rester loin, à part, mais au contraire c’est s’approcher des êtres humains, s’approcher de nous, jusqu’à vivre ensemble au jour le jour, partager le quotidien et jusqu’à nous faire découvrir la sainteté de nos vies.

Enfin, j’ai déjà eu je crois l’occasion de vous dire qu’une des figures de la poésie hébraïque est le parallélisme, le fait de dire une même chose de deux manières légèrement différentes, comme nos yeux voient chacun une même scène un peu différemment pour que nous en saisissions le relief. Ici le parallélisme nous propose de faire entrer en résonance la tente et la montagne sainte… L’abri fragile, et le roc immuable… La toile légère et la lourde pierre. C’est dans la tension entre ces deux images que se dit quelque chose de Dieu : à la fois celui qui est sans cesse déjà à nouveau en route, ouvrant de nouveaux chemins vers nous, entre nous et celui qui est le fondement de notre existence. Il s’agit d’être à ses côtés, de vivre avec lui, de le laisser nous accueillir, nous offrir le repos et la nourriture, à sa façon parfois déroutante. Alors oui, la traduction de Stan Rougier est non seulement belle, mais fidèle quand elle formule ainsi la question du psalmiste : « Eternel-le, qui pourra demeurer en ta présence ? Qui sera accueilli-e sous ta tente ? Qui s’abreuvera à ton silence ? »

La réponse est limpide : vous, moi, chaque être humain en tant qu’il ou elle est juste. Il n’y a pas ici de tri entre les êtres humains bien sûr, mais un tri à l’intérieur de chaque être humain. Personne évidemment n’est absolument conforme au portrait du juste parfait qui est proposé dans le psaume. Nous avons tous et toutes déjà médit de quelqu’un et commis une ou deux injustices… voire plus ! Somme-nous donc chassés à jamais ? Non, car chaque être humain a au moins une fois été juste, fidèle à la vérité. Et cela est accueilli, recueilli sous la tente de l’Eternel-le ou dans la montagne de sa sainteté, à jamais.

Amen

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