Psaume 64 : que faire des psaumes guerriers ?
Prédication
Nous voici devant un psaume de lamentation qui, je dois l’avouer, ne m’émeut pas beaucoup. C’est que je n’aime pas ces psaumes guerriers dans lesquels Dieu est partie prenante de la guerre. Ici le psalmiste évoque une situation compliquée pour les armées de David. Une situation dans laquelle la défaite n’est pas passée loin, alors même que la victoire semblait acquise. Alors que l’essentiel des forces armées de David sont massées dans le nord, et quasi victorieuses, un autre front s’ouvre dans le sud du pays, dépouillé de ses défenses, et le pays semble bien mal parti. L’auteur du psaume attribue cela à une action incompréhensible de Dieu, qui met son peuple à l’épreuve au lieu de le mener clairement à la victoire. L’action de Dieu sème la confusion et le doute, même si finalement grâce à l’action de Joab, tout se termine à peu près bien – si bien sûr on peut estimer que les choses se terminent bien quand des êtres humains sont morts sur le champ de bataille.
Dans ce psaume, le peuple d’Israël est parti en guerre sûr de son bon droit et du soutien de Dieu, et ne peut que constater que ce n’est pas si simple… Dans la conception de l’époque, il est parfaitement clair que le Dieu national protège son peuple et on identifie facilement ennemi du peuple et ennemi de Dieu, avec tous les dangers que cela comporte en termes de déshumanisation de l’adversaire. Dans une situation où Dieu semble avoir abandonné les siens, le psalmiste écarte d’emblée l’hypothèse d’un Dieu faible, et donne deux pistes principales pour continuer à faire confiance à la puissance protectrice du Dieu d’Israël :
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Première piste : Les difficultés rencontrées sont un effet du jugement de Dieu contre son peuple. Il n’est pas mentionné de raison pour laquelle ce jugement serait mérité, mais il est entendu qu’il doit y en avoir une. Le vin d’étourdissement est une image biblique du jugement de Dieu qui frappe et assomme ses destinataires. Cette proposition est problématique parce qu’elle suppose un Dieu qui punit par la violence et la mort, entre les mains duquel tous les peuples sont comme des marionnettes.
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La mémoire de la promesse divine de prendre soin de son pays dans son entier doit raviver la confiance en toutes circonstances car les promesses divines sont fiables. Dieu a promis qu’il prendrait soin de toutes les régions du pays (Sichem, Succoth. Galaad, Manassé, Ephraïm, Juda) et de combattre ses ennemis (Moab, Edom, Philistie). Cette piste est encore plus problématique parce qu’en identifiant les ennemis d’Israël aux ennemis de Dieu elle justifie d’avance toute exaction à leur égard. Il y a là une forme de négation de l’altérité qui ne peut conduire qu’à la violence. On est presque alors dans une « guerre sainte », échappant à toute réflexion éthique puisque voulue par Dieu.
Voilà pourquoi je suis sur la réserve avec ce psaume et quelques autres. Pourtant ils sont là et il nous faut bien faire avec. On peut « faire avec » de différentes manières.
On peut se dire que ce psaume est le reflet d’une autre époque, d’une mentalité qui nous est devenue étrangère. Ce serait bien rassurant, mais malheureusement assez faux je crois. Cette tendance à identifier nos ennemis à ceux de Dieu, à revendiquer le soutien de Dieu dans nos actions, est bien réelle hier comme aujourd’hui : les protagonistes des guerres de religions s’affrontaient au nom du salut, les soldats allemands se battaient avec sur leurs ceinturons le rappel « Gott mit uns » - ce qui donne en français « Dieu avec nous » et en hébreu « Emmanuel », les terroristes islamistes crient Allah ouakbar « Dieu est grand », le patriarche Kyrill présente la guerre de la Russie contre l’Ukraine comme un combat contre les forces du mal et du péché…
On peut « faire avec » en mettant ces textes en opposition avec ceux qui parlent du commandement de ne pas tuer, de tendre l’autre joue et de l’amour des ennemis. Mais ce n’est précisément pas une opposition que la Bible met en scène, tout au plus une tension qui interroge et pousse à la réflexion.
On peut aussi réfléchir au fait qu’attribuer à Dieu l’initiative de la violence, ou du moins la responsabilité de la guerre pour assurer la vie à son peuple est une manière de ne pas se laisser engloutir par la pulsion guerrière.
On peut se souvenir que le peuple d’Israël n’a en fait jamais été un peuple puissant, ni un peuple de guerriers renommés. Ces textes viennent donc réfléchir sur un échec et sur sa signification spirituelle : comment croire en un Dieu qui ne m’apporte ni bonheur, ni victoire, ni prospérité ? Est-ce donc un Dieu méchant ou pervers ? Ou Dieu veut-il orienter son peuple vers d’autres valeurs ? En fait, la Bible n’attribue pas à Dieu la violence (force au service d’un mauvais vouloir), mais la colère contre le mal et le péché. Le péché est une réalité complexe qu’on pourrait ramener à l’incapacité à recevoir la bonté de Dieu. Il habite tout être humain « Ce que je veux je ne le fais pas, mais ce que je hais je le fais » (Ro 7,14) C’est contre lui que Dieu se bat, en tout être humain, et non contre des peuples qu’il considérerait comme entièrement mauvais.
En fait, ce psaume et quelques autres me gênent dans l’exacte mesure où j’aimerais que la Bible soit un recueil de modèles et de recettes à suivre. Mais la Bible ne nous pose pas en modèle à suivre une humanité parfaite, elle nous expose l’humanité réelle, marquée par le péché qui divise, sépare de Dieu, de soi et des autres. Elle est le reflet du chaos et du péché que je porte en moi, comme tout être humain les porte. La Bible nous offre surtout le témoignage précieux d’un Dieu qui travaille sans relâche à libérer l’humanité du chaos et du péché, un Dieu qui met sa puissance de transformation en œuvre pour mener l’humanité vers ce que lui espère. Dans ce psaume, cette transformation est à l’oeuvre dans l’invitation à se dessaisir au moins un peu de la volonté de guerre, pour se laisser guider par Dieu vers les exploits que lui vise, et non les humains, fussent-ils David en personne.
Cela semble peu… c’est que le combat est rude et qu’il y faut toute l’espérance, la foi et l’amour divins !
Amen