Psaume 106 : le salut se mérite-t-il ?

Prédication

Il y a une pluralité de voix dans la Bible, une pluralité de regards sur Dieu et sur la manière dont il nous sauve et sur ses raisons de le faire. La notion de mérite transparaît dans beaucoup de textes de ce que nous appelons l’Ancien Testament : le salut de Dieu se mérite, par une attitude conforme à ses attentes, par le respect de ses commandements. Et quand on échoue à cela, alors le salut de Dieu est retiré, voire une action punitive de la part de Dieu est engagée. Si cette vision est fréquente, c’est qu’elle correspond à un schéma très profondément ancré en nous. Notre cerveau est câblé pour chercher à mettre du sens dans le monde, pour chercher des relations de cause à effet, même là où elle semble très ténue, afin d’agir de la manière la plus efficace et la plus sécurisée possible.

Tellement que l’éducation que nous avons reçue a le plus souvent été conçue autour de ce principe, tout comme la pédagogie mise en œuvre à l’école. Tu fais ceci correctement, tu auras un bon point. Tu fais ceci autrement, ou tu ne le fais pas, tu auras une sanction. Ce n’est donc pas étonnant que l’image d’un Dieu qui agit et sauve – ou pas – selon ce principe, soit l’image dominante. Dominante, et sans cesse remise en question, bousculée par une autre compréhension de Dieu.

Car il arrive qu’une petite voix murmure au fond de nous, ou qu’un cri s’élève du plus profond de notre coeur : ce Dieu-là, il se peut que je le craigne à juste titre, mais puis-je l’aimer ? Et lui, m’aime-t-il vraiment si son amour est tellement conditionné par mes réussites ou mes échecs ?

Ce Dieu-là est-il vraiment Dieu s’il laisse souffrir les innocents – pensez aux enfants de Gaza et d’ailleurs, morts de guerres dont ils ne comprennent pas le premier mot ? Et comment expliquer, si Dieu est ainsi pris dans une logique rétributive, sa grâce sans cesse renouvelée ?

C’est cette question qui occupe le psalmiste ici. Si en effet le psaume fait la longue litanie des manquements répétés du peuple, ce n’est pas tant pour souligner à quel point ses malheurs sont mérités, que pour faire éclater par contraste le caractère non conditionné de l’amour divin. Normalement, dans une logique purement rétributive, avec un tel taux de récidive, la peine devrait s’alourdir sans cesse, comme aux Etats-Unis où vous pouvez vous retrouver avec des durées de peines qui excèdent largement la durée d’une vie humaine. Mais Dieu est Dieu précisément parce qu’il n’est pas dans cette logique. Dieu aime son peuple, il ne cesse de lui tendre la main, de lui tracer des chemins, d’aplanir devant lui les montagnes, d’écarter les buissons, de mettre au jour les sources d’eau fraîches et les verts pâturages. Et ce quels que soient les égarements, les erreurs, et même les trahisons du peuple. Quel amour ! « Si ton peuple te trahit ou te rejette 7 fois, tu lui pardonneras non pas 7 fois, même pas 70 fois 7 fois, mais sans aucune limite » tel semble être le commandement auquel obéit secrètement le Dieu biblique. Cet amour-là est tel qu’il fait peur. Et on cherche à le comprendre, voir à le contrôler de nouveau, en expliquant certes les bonheurs du peuple par l’action de Dieu, mais aussi ses malheurs du peuples par l’abandon ou la colère de Dieu parfois. C’est qu’il serait légitime à éprouver de la colère Dieu, vu les fautes des humains face à lui, vu les déceptions répétées de sa foi, de son espérance et de son amour !

Pourtant, sans cesse, sans raison autre que son amour, il aime, et il aime en acte : il sauve, il guérit, il relève, il retisse les relations. Et si les auteurs des livres de l’Ancien Testament cherchent fréquemment à expliquer l’origine du mal ou du malheur par la colère de Dieu face aux manquements de son peuple, les auteurs des Evangiles ont pratiquement renoncé à de telles tentatives. Ne restent que le salut et l’émerveillement qu’il provoque.

Si dans l’Ancien Testament, on justifie volontiers un geste de salut de Dieu par un cri de souffrance du peuple et par une repentance sincère – à défaut d’être durable – les auteurs des Evangiles, pas plus que Paul, ne cherchent pas à justifier le salut de Dieu offert en Christ. Matthieu commence ainsi : « Généalogie de Jésus, Christ, fils de David, fils d’Abraham ». Marc : « Commencement de l’Evangile de Jésus, Christ, fils de Dieu. » Luc : « Beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous. » Jean : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le verbe était Dieu. »

Jésus – en hébreu Jéshoua, ‘Dieu sauve’ – vient. Sans autre raison que l’amour de Dieu pour les humains, son désir de s’approcher, de rencontrer, de tendre la main, de soigner, de relever, de délier, de regarder et d’aimer. Il n’y a pas besoin de l’appeler (pensez au sourd-muet), pas besoin de vouloir s’approcher (pensez au paralytique sur son grabat, descendu par le toit), pas besoin de faire partie d’un peuple ni d’une église particulière (pensez au centurion romain ou à la femme cananéenne), pas besoin de le suivre, ni avant ni après la rencontre (pensez à la samaritaine que Jésus renvoie chez elle), pas besoin de croire en ceci ou en cela (jamais Jésus ne demande de confession de foi). Il est là, il est celui qui appelle, celui qui s’approche, celui qui est l’étranger, celui qui croit en nous. Il nous fait confiance, immensément. Au point de se faire tout petit enfant, sans défense, entièrement à la merci de la tendresse qu’il nous inspirera.

Oserons-nous l’aimer ?

Alors oui nous vivrons du salut qui est là, offert, et nous pourrons chanter tous les alléluias des humains et des anges, rempli.es de joie.

Amen

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