Psaume 2 : faire face à l'angoisse
Prédication
Comme je vous le disais tout à l’heure, il est certains psaumes qui nous parlent plus, d’autres moins. Celui-ci fait partie de ceux qui me parlent peu au premier abord, d’abord parce qu’il évoque une situation qui me semble éloignée : des puissants de la terre qui complotent ouvertement contre Dieu, et ensuite parce qu’il baigne dans une ambiance guerrière, mettant en avant la toute-puissance de Dieu sur les efforts vains et un peu ridicules des puissants de la terre pour échapper à sa loi. On est bien loin du messie crucifié que nous prêchons à la suite de Paul et des premiers apôtres.
Ce psaume, et quelques autres, explique peut-être par contre les malentendus qui ont entouré le ministère de Jésus, et les attentes qui pesaient sur lui : le messie dont parle ce psaume, c’est un messie qui va briser de son sceptre de fer les résistances qu’il va rencontrer… Jésus s’est laissé mettre en croix… Quel décalage ! Comment le comprendre ? Il y a un élément tout simple – mais auquel il m’a fallu du temps pour penser !! : ce psaume – comme tout les psaumes – est une prière, une méditation adressée à Dieu. Autrement dit, le psaume n’est pas une annonce de la part de Dieu que son messie va mener le monde à la baguette de fer, mais la supplique vibrante d’un homme qui a désespérément besoin d’un Dieu qui agit puissamment et visiblement dans sa vie. Il se trouve dans une situation où les ennemis de son peuple sont trop puissants et où l’intégrité de son peuple est menacée. Il en appelle à un Dieu plus puissant qu’eux militairement et politiquement pour qu’il accomplisse sa promesse de donner à son peuple un roi puissant !
Et parfois c’est vrai, comme le rédacteur de ce psaume, on a envie, on aurait besoin d’un messie puissant, triomphant, peut-être même violent. Face aux souffrances, aux maladies, mais peut-être plus encore aux injustices, aux violences imposées par les inégalités, nous avons parfois besoin d’en appeler à un Dieu justicier pour rétablir les équilibres qui sembleraient juste. Nous avons besoin de l’appeler pour le susciter : Seigneur où es-tu quand cette femme est battue par son mari ? Viens donc le foudroyer sur place, ou au moins arrêter son geste ! Où es-tu quand cet homme est torturé par un pouvoir injuste ? Renverse ce pouvoir ! Quand cet autre est écrasé par un collègue qui le harcèle ? Envoie donc au harceleur une maladie qui laisse le harcelé respirer un moment, reprendre des forces ? Où es-tu quand cet enfant pleure de faim, ici ou ailleurs ? Ne peux-tu susciter un colis alimentaire hebdomadaire pour lui et sa famille ?
Plus déroutant peut-être encore peut-être : où es-tu quand tes églises se vident alors qu’il nous semble que nous avons tant besoin de ta parole ? Ne veux-tu donc pas que les humains écoutent ta parole ? Viens donc parler puissamment ! Convertis les foules, pour que le monde reparte dans une meilleure direction !
Une part de nous est révoltée par l’absence d’action de Dieu dans ces situations et bien d’autres ! Et nous en appelant au Dieu dont nous pensons avoir besoin pour résoudre le problème qui se présente. C’est que l’inaction de Dieu nous révolte… et nous terrifie ! Et si Dieu n’agissait pas… parce qu’il ne peut pas ou – pire – parce qu’il n’existe pas ? Quel précipice s’ouvre si on entrouvre cette porte-là !! Cela voudrait dire que Dieu ne peut rien pour nous, et alors, à quoi bon ? Cela voudrait dire qu’il n’y a pas de justice supérieure pour rattraper les injustices de notre monde et alors, à quoi bon ? Cela voudrait dire que Dieu se fiche qu’il y ait des humains qui l’écoute ou non, et alors à quoi bon s’occuper de lui ? Cela voudrait dire, en somme, que Dieu ne nous aime pas, et alors tout se brise.
Oui, l’inaction de Dieu est un précipice dangereux pour tout notre être.
Ce précipice, on cherche à le combler en appelant le Dieu fort, le Dieu puissant et vengeur qu’on attend, qu’on espère. Il continue pourtant à ne pas se manifester ainsi… et c’en est presque désespérant !
Pourtant, il n’est pas vain d’exprimer cela, de s’adresser à Dieu dans la prière. Parce qu’il se produit parfois quelque chose dans la prière… quelque chose de plus ou moins perceptible.
Ce qu’il nous arrive parfois, comme c’est arrivé au psalmiste, c’est de recevoir dans la prière un élan à la fois doux et puissant, exprimé par le dernier verset : « Heureux ceux qui trouvent refuge en lui, heureuses celles qui se réfugient en lui ».
Il y a là tout un monde d’espérance : d’abord, la promesse / constatation contenue dans ce « heureux, heureuse ». Malgré ce qui vous désespère, ce qui vous révolte, ce qui vous est promis avec Dieu, c’est ce bonheur. Un bonheur à la manière de Dieu, qui n’est pas un état, mais un chemin. Vous avez sans doute déjà entendu raconter cela : que le mot asherai – heureux – vient d’une racine qui évoque la marche. Certaines traductions prennent le parti de le mettre en évidence en traduisant « en marche » - comme le fait par exemple André Chouraqui. Etre promis à la marche, c’est recevoir la promesse que nous ne serons pas écrasé.es, arrêté.es, qu’il y a un chemin où un autre nous précède et nous appelle.
Pour vivre de cette promesse, il s’agit de « prendre refuge en Dieu » nous dit ici le psaume. Un refuge, ce n’est pas une habitation définitive : c’est un endroit où l’on peut s’abriter, se reposer, reprendre des forces pour un moment, le temps nécessaire, avant de repartir, retapé, vers ce qui nous attend à l’extérieur du refuge. Prendre refuge en Dieu, ce n’est pas rester éternellement en Dieu, le contempler à longueur de jour et de nuit, c’est venir auprès de lui pour un temps, quand on n’a plus de ressource, plus d’énergie, plus de force pour faire face, ni pour continuer à avancer. Et repartir. Oui : repartir, rempli.e de l’amour reçu, de la confiance renouvelée en nos ressources, de nos forces suffisantes pour un nouveau bout de chemin. Pas pour toute la vie, pas pour tout le chemin. Mais pour un bout. Jusqu’à la halte suivante, jusqu’au refuge suivant.
Pour faire face à l’angoisse qui nous vient devant les injustices du monde, devant l’avenir bien sombre que nous annoncent les climatologues, devant nos églises qui se vident, nous appelons un Dieu tout-puissant, ferme et expéditif. Et nous trouvons un Dieu refuge, qui nous offre de quoi nous retaper, et nous renvoie pour agir, pour faire face, pour être sa puissance, sa justice, sa voix dans le monde. Non pas à la manière dont nous en rêvons parfois sans oser le dire – il ne s’agit évidemment pas de glisser un poison dans le café de celui qui harcèle son collègue de bureau – mais à sa manière à lui : en aimant, jusqu’au bout. C’est difficile bien sûr, il nous faut beaucoup de halte au refuge, mais au moins un petit peu possible parce que le Dieu dont nous parle Jésus est un Dieu qui croit en nous au point de nous confier cette responsabilité…
Amen