Psaume 95 : quand la prière part en vrille...
Prédication
Quand la prière part en vrille, il vaut mieux faire une pause. C’est ce que je retiens aujourd’hui de ce psaume. Vous avez sans doute perçu comme moi qu’il semble inachevé. Il s’arrête brutalement, un peu en queue de poisson et ses deux parties semblent peu reliées l’une à l’autre. Le psalmiste qui invitait toute la communauté priante à la louange cède brusquement la place à une voix qui se présente comme divine.
La pause qui termine le psaume curieusement renforce cette impression d’inachevé, et le psaume 96 que nous lirons la semaine prochaine reprend la louange là où l’irruption de la voix attribuée à Dieu l’avait interrompue dans le psaume 95. Cela m’est déjà arrivé, et peut-être à vous aussi, de vivre cette expérience de commencer un moment de prière dans la louange et la gratitude, et de m’en trouver brusquement détournée par l’irruption d’une pensée parasite plus ou moins brutale. Parfois c’est juste la liste des courses pour ce soir, ou le téléphone à faire à untel qui s’invite au milieu de notre prière. Parfois, comme ici c’est une voix plus vindicative et dure, qui vient mettre en doute la louange. Ce doute peut prendre plusieurs formes : ici la voix attribuée à Dieu se fait doucement menaçante, laissant entendre que si la louange ne semble pas suffisante, les choses pourraient mal se terminer, la punition divine n’est jamais loin. Parfois c’est une voix en nous qui met en doute la légitimité même de la louange, pointant tout ce pour quoi on aurait motif de se plaindre, tout ce qui ne va pas pour nous et/ou pour le monde, et il y a beaucoup à dire dans cette rubrique...
C’est un fait, la prière n’est pas toujours simple et, pour beaucoup de personnes, la moins évidente de toute est la louange. Je dis parfois que la louange est un combat spirituel difficile et nécessaire ! Francine Carillo en parle mieux que moi :
« A vivre le négatif, nous nous désaccordons. Nous ne rendons plus le juste son, nous ne sommes pas au diapason qui nous accorde au chant de la création. La louange élève et réveille, alors que la plainte sépare et avilit. La louange met debout, la plainte met sur les genoux. Nos paroles nous façonnent et ce que nous sommes a la couleur de ce que nous disons. Quand le ciel est trop bas, que le courage manque à nos pas, choisir le psaume au lieu de la complainte, élire l’imploration plutôt que la déploration. Traverser ce que nous ressentons vers ce que nous pressentons, cet envers lumineux des êtres et des choses qui appelle la confiance et l’endurance. Célébrer la vie nous reconstruit, la dénigrer nous ramollit. Si nous ne mettons pas au monde la gratitude, elle n’y sera pas. Dans nos marches au désert, c’est en veillant sur la Tente que nous portons en nous, que nous nous découvrons portés par elle : oasis de joie qui jamais ne se dérobe ! » Francine Carillo, L’imprononçable, Genève, Labor et Fides, 2014, p.115-117
Oui la louange est un combat. Le chaos en nous et autour de nous nous tire du côté de la récrimination, de la révolte. Les récits du peuple hébreu au désert, appelés ici, mettent en scène pour nous cette réalité, et aussi la réaction de Dieu : prendre soin, nourrir, donner le temps de la croissance à ce qui cherche la vie d’une part, élaguer, brûler et nettoyer ce qui cherche la mort. Comme souvent, ces récits mettent en scène le peuple et des parties du peuple pour parler d’abord de nous. Chacun, chacune, nous sommes ce peuple et il y a en nous de la révolte et de la confiance, du doute et de l’espérance, du désespoir et de l’amour, de l’obscurité et de la lumière. Et il y en aura toujours, parce que c’est dans la tension féconde entre ces deux pôles que nous avançons, que nous grandissons, la main de Dieu posée sur nous comme celle du bon berger, qui prend soin de ses brebis. Et non le berger caractériel qui, si ses brebis ne mangent pas d’assez bon appétit, se vexe et les laisse mourir de faim. La louange est un combat spirituel, et quand il arrive que le combat bascule du côté de l’ombre, d’une image de Dieu menaçante, comme c’est le cas dans ce psaume, la meilleure chose à faire est peut-être de prendre une pause dans la prière, de se remettre en route, en marche, de respirer, de demander de l’aide à celui qui a promis qu’il serait toujours là. Et de reprendre plus tard, nourries de ces forces retrouvées.
Il ne s’agit pas de s’autoflageller pour notre incapacité à louer, à voir le beau et le bon dans nos vies, mais de la reconnaître et de demander de l’aide pour la surmonter. C’est comme une maladie : si vous tombez malade, il ne sert à rien de vous morigéner, de vous couvrir d’injures parce que vous n’arrivez pas à rester en bonne santé, de vous cravacher pour tenir debout comme si de rien n’était. Il vaut mieux, vous mettre au lit avec une tisane et une bouillotte, consulter un médecin si nécessaire, bref, vous soigner ! Et quand vous aurez retrouvé la santé, vous pourrez faire ce que vous aviez prévu. Quand Dieu aura pris soin en vous de la capacité à vous émerveiller et à rendre grâce, vous pourrez revenir à la louange, ou déposer devant Dieu vos soucis :
Venez, crions de joie pour l’Eternell ! Acclamons le rocher de notre délivrance !
Amen