Psaume 23 : et si on faisait un peu d'hébreu ?
Prédication
Je vous propose aujourd’hui de faire un peu d’hébreu. Pas beaucoup je vous rassure, mais un peu quand même, pour la beauté de la langue et pour vous faire sentir la richesse que la traduction ne peut pas rendre complètement. 6 mots d’hébreu donc ce midi.
Mizmor ledaouid. Adonaï rohi lo erssar.
Ce sont, en hébreu, les 6 premiers mots de ce magnifique psaume, l’un des plus beaux du psautiers, l’un de ceux que beaucoup de personnes connaissent par cœur. Peut-être est-ce votre cas ? Et quand on ne le connaît pas par cœur en entier, on connaît souvent ce premier verset sur lequel je vous propose de vous arrêter ce midi, parce que j’ai l’impression que ces 6 mots constituent déjà un menu conséquent pour notre pause.
Mizmor ledaouid. Chant pour le bien-aimé. Ou chant du bien-aimé. Peut-être même : chant d’amour. L’ambiguïté est une richesse : le bien-aimé est la fois l’émetteur et le destinataire du chant. Le bien-aimé c’est celui qui chante, et il chante son amour pour son bien-aimé. Cela nous donne l’indice d’une relation existante, une relation à double-sens, ou chacun est le bien aimé de l’autre. Nous sommes chacun, chacun.e les bien-aimé.es de Dieu, et il est notre bien-aimé, il veut l’être chaque jour un peu plus. Et cela est source d’un bonheur qui s’exprime ici par le chant.
Adonaï. En français on dit, selon les traductions, l’Eternel.le ou le Seigneur. Vous aurez remarqué que je préfère l’Eternel.le. De toute façon, derrière ce Adonaï et les diverses traductions qu’on en donne, il y a le nom propre de Dieu, le nom qu’il a révélé à Moïse au buisson ardent. Et ce nom est imprononçable. En hébreu, il s’écrit avec 4 lettres : iod, hé, vav, hé. Quatre consonnes qu’on ne peut pas vocaliser selon les règles habituelles de l’hébreu. Elles reprennent la racine du verbe haya, être, mais à aucune forme identifiable, hésitant entre accompli et inaccompli, comme pour dire un Dieu toujours en mouvement, déjà venu et pas encore là. En français, cela donne YHWH. Tout aussi imprononçable qu’en hébreu. La tradition juive remplace à la lecture le tétragramme par Adonaï, ou par Hashem, le Nom. Le Dieu auquel s’adresse ce chant d’amour est un Dieu personnel, qui s’engage dans une relation personnelle, pas un Dieu lointain qui se désintéresse, ou qui se tient sur la réserve, gardant ses distances pour ne pas trop se mouiller. Cette relation qu’il engage avec chacun.e est le modèle vers lequel tendent nos relations : une relation qui n’implique pas de possession, pas de pouvoir de l’un sur l’autre. Le fait que le nom de Dieu soit imprononçable exprime cela : dans la représentation du monde de l’époque, le nom d’une personne renferme son essence. Le connaître et le prononcer donne un pouvoir sur elle. Ici le nom est offert, nous le connaissons, mais nous ne pouvons pas le prononcer.
Adonaï rohi. Rohi, ce n’est pas le nom commun « berger », c’est le participe présent « faisant paître », avec le pronom personnel de la première personne. Donc littéralement : l’Eternel me faisant paître. C’est un Dieu actif qui nous est présenté ici, un Dieu déjà engagé dans le soin envers son bien-aimé. Le Dieu du psaume 23 est toujours déjà en action pour prendre soin, pour relever, pour guider. Avant que nous ayons dit ou fait quoi que ce soit. Avant que nous en ayons eu conscience, et peut-être surtout quand nous nous sentons abandonné.es.
Lo erssar. Je ne suis pas en manque / je ne serai pas en manque. Ou je ne diminue pas / je ne diminuerai pas. L’hébreu fonctionne avec un système de temps très différent du nôtre. Il n’est pas organisé entre passé, présent et futur, mais en « accompli » et « inaccompli », et ces mots sont encore trop figés pour rendre compte de la fluidité de la représentation temporelle. Ici le verbe est à l’inaccompli, qui exprime une idée d’achèvement encore à venir, déjà commencé, peut-être même déjà terminé dans le passé et se répétant. Puisque c’est l’Eternel qui est déjà en train de prendre soin de moi, je ne manque et je ne manquerai de rien. Ou je ne diminue pas et je ne diminuerai pas, qui est le deuxième sens de ce verbe rassar. Devant Dieu, ni l’âge avançant, ni les épreuves de la vie, ni les maladies ne nous diminuent, il prend soin du plus précieux de notre être. Quelles que soient les circonstances extérieures, notre être est auprès de l’Eternel.le.
Amen.