Vous êtes plutôt Noël ou Epiphanie ?

Saint-Pierre, Genève

Prédication

Après la mort et la résurrection du Christ, les disciples ont cherché comment transmettre qui était, est et sera Jésus de Nazareth, en qui ils avaient fini par discerner le Christ promis par Dieu, celui qui guide le peuple vers le salut. Comment dire ce qu’il a été, ce qu’il est et ce qu’il a promis d’être pour eux ? Ils ont pioché dans les langages qui étaient les leurs – l’hébreu, le grec, l’araméen –, dans les représentations et l’imaginaire disponibles dans les textes bibliques – qui à l’époque ne comprenaient évidemment pas ce que nous appelons aujourd’hui le Nouveau Testament – et dans la culture globalisée de l’époque. C’est ainsi qu’ils ont commencé à raconter la vie, la mort et la résurrection de Jésus, oralement d’abord, puis par écrit.

Dans la culture qui était la leur, l’enfant n’est pas grand-chose et on s’intéresse peu à l’enfance. C’est le Jésus adulte qui a changé la vie de ses disciples, pas l’enfant qu’il a été. C’est pourquoi nous ne savons rien de la naissance ni de l’enfance de Jésus. Paul ne s’y intéresse absolument pas, et deux de nos quatre évangiles commencent avec le début du ministère de Jésus, à l’âge adulte.

Les deux autres évangiles, ceux de Matthieu et de Luc, ne nous parlent de la naissance de Jésus que pour nous représenter certains aspects de qui est Jésus. Ils réutilisent donc des motifs, des récits, des prophéties et des textes qui nourrissent l’espérance du peuple et que tout un chacun connaît. Comme toute réutilisation, leur réutilisation est interprétation et actualisation de leur matériau de base. C’est ainsi que Matthieu réinterprète, dans son récit de la venue des mages, la prophétie d’Esaïe, en l’appliquant à Jésus.

Et quelle prophétie ! Quel faste dans cette vision d’Esaïe ! Fermez les yeux un instant : voyez-vous la ville de Jérusalem décorée de lumière partout, les caravanes se presser sur la route, les vêtements chatoyants, les femmes, les hommes, les enfants et les ancien.nes, le visage rayonnant de bonheur ? Entendez-vous les chants et les cris de joie ? On pourrait presque penser au faste de la fête de Noël aujourd’hui !

Pourtant, quand l’auteur de ces lignes écrit, Jérusalem n’est qu’une petite ville à moitié vidée de ses habitants, sans temple ni palais, presque abandonnée, dans une Judée appauvrie par les guerres et les déportations. Quel contraste entre la réalité et l’espérance du prophète ! Lui cherche à partager cette espérance qui l’habite, à inviter le peuple de Dieu à vivre en fonction de cette espérance et non en fonction du lourd passé. Alors oui, peut-être qu’il en rajoute un peu, pour faire adhérer. Un peu comme dans une négociation on demande plus que ce qu’on veut vraiment parce qu’on sait que l’autre en face va proposer moins… et on espère que par concessions successives de part et d’autre on va se mettre d’accord sur quelque chose de pas trop éloigné de ce qu’on voulait vraiment. Là les gens sont vraiment désespérés, et le prophète rempli d’espérance… pour les tirer un peu de son côté, pour les ouvrir un peu à l’espérance, il dépeint un futur radieux, avec une restauration complète du peuple, et même au-delà.

Matthieu, lui, dans un contexte où Jérusalem et la Judée sont occupées par un peuple étranger, où les traditions sont menacées par une culture venue d’ailleurs, réutilise des éléments de la prophétie d’Esaïe. Il la réutilise en en modifiant un certain nombre, et pas des moindres. Là où Esaïe situe la scène de la révélation en plein jour, à Jérusalem, ville capitale et temple du peuple d’Israël, Matthieu la situe de nuit, à Bethléem, un petit village perdu. Là où Esaïe mentionne des foules du peuple et de riches caravanes entières venues des confins du monde connu, Matthieu n’évoque qu’un homme et une femme dans une maison, et quelques savants étrangers qui viennent leur rendre visite. Dans le récit de Matthieu, le faste et les foules sont bel et bien à Jésusalem oui, mais Jérusalem n’est pas le lieu du salut, c’est le lieu de la perdition et d’une royauté mortifère qui cherche dès le départ à étouffer le salut qui vient.

Matthieu à la fois reprend à son compte et critique la prophétie d’Esaïe.

Oui le salut vient, oui il apporte la lumière – regardez l’étoile que suivent les mages.

Oui il apporte la joie – les parents de l’enfant sont heureux, et les savants se réjouissent de la naissance de cet enfant.

Oui il apporte un nouveau regard et une nouvelle compréhension du monde – les savants comprennent après avoir vu l’enfant le danger représenté par Hérode.

Oui il concerne l’ensemble de l’humanité et pas seulement le peuple d’Israël – les mages viennent d’Orient.

Mais…

Mais le salut est fragile comme un enfant nouveau-né – et non venu en gloire et en puissance.

Mais le salut vient discrètement – aucun des habitants de Bethléem n’a conscience de voisiner avec le Christ, le Messie de Dieu.

Mais on peut se tromper sur le salut – comme les mages cherche du côté du faste, de la gloire, et se retrouvent à Jérusalem, auprès d’Hérode.

Mais le salut n’est pas reconnu comme une bonne nouvelle par les puissants – regardez la peur d’Hérode, et le massacre des innocents.

Mais le salut vient au milieu des ténèbres – celles de la nuit, celle de l’égarement de la cour d’Hérode, celle de l’ignorance du peuple.

Peut-être que Matthieu est conscient que le salut est déjà là oui, mais en germe, encore à espérer dans son plein déploiement que représente Esaïe ?

En tout cas il nous représente un Dieu qui vient incognito, dans le quotidien de la vie, sans tambour ni trompettes. Un Dieu vulnérable comme un enfant, menacé parce que sa venue remet en question beaucoup de fonctionnements et de valeurs bien établis parmi les puissants. Un Dieu qui endosse cette vulnérabilité parce qu’il espère en l’humanité.

Et nous, comment pouvons-nous relire ces vieux récits, issus dune culture qui nous semble par bien des côtés familière, alors qu’elle est bien loin de la nôtre ? Que nous disent ces mages venus d’Orient, en quête d’un salut qui libère, égarés à Jérusalem auprès d’un roi qui oppresse, remis en route par la lumière tremblante et fragile d’une étoile, déposant au pied de l’enfant des cadeaux hors de propos – comme tous les cadeaux de naissance ou presque, et rentrant chez eux en ayant au moins compris qu’Hérode et le faste de Jérusalem ne parlent pas de l’amour de Dieu pour l’être humain ? Que vous disent-il, à vous ?

(bref silence)

Pour moi aujourd’hui, voici ce qui me touche aujourd’hui dans ce récit : l’erreur des mages et ce qui en découle. Les mages se trompent, même en suivant l’étoile qui les guide. Arrivés tout près de leur destination ils pensent mieux savoir qu’elle et vont droit à Jérusalem, dans la gueule du loup pourrait-on dire… Ils se trompent comme je peux me tromper, comme nous pouvons tous et toutes nous tromper. Nos erreurs ne sont pas neutres – celle des mages alerte Hérode et déclenche par ricochet le massacre des innocents, c’est dire si les conséquences sont parfois dramatiques. Elles peuvent blesser sérieusement, nous-mêmes ou d’autres, elles peuvent mettre en danger, nous-mêmes ou d’autres. Mais pas nous séparer de l’amour que Dieu a pour nous : les mages se trompent, et les conséquences de cette erreur sont graves, mais Dieu ne les abandonne pas. L’étoile brille à nouveau pour eux, pour les guider loin de Jérusalem, loin des jeux de pouvoir et des tentations de toute-puissance, vers l’enfant né à Bethléem. Les mages sont remis sur la route et trouve le sauveur qu’ils étaient venu saluer. Dieu ne les abandonne pas non plus au moment de leur départ, il ouvre une autre route qu’un retour à la case départ en suivant le même chemin, en repassant par les dangers de Jérusalem. Dieu protège l’enfant qui apporte le salut.

Et les autres me direz-vous ? Ceux qu’Hérode fait massacrer dans le récit de Matthieu ? Pas plus que la visite des mages, le récit n’est un documentaire historique, mais il vient nous rappeler que oui nos erreurs sont parfois graves, et qu’il est important de faire attention à ce que nous faisons. Il nous dit aussi que Dieu n’est pas une protection contre tous les malheurs du monde, qu’il fait ce qu’il peut et qu’il a besoin que des hommes, des femmes, de tous les âges, de toutes les couleurs, de toutes les cultures, se lèvent et oeuvrent avec lui pour arrêter tous les massacres d’innocents, afin que la lumière que l’enfant de Bethléem est venue apporter brille de tous ses feux.

Amen

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