Comment lire les miracles de guérison ?
Prédication
Dans la Bible, la montagne est le lieu symbolique où Dieu vient à la rencontre de l’humain pour lui confier des paroles de vie et de liberté, depuis les tables reçues par Moïse dans la montagne de l’Horeb au sermon de Jésus sur la montagne, en passant par le murmure d’un fin silence qui offre à Elie une autre compréhension de Dieu au mont Carmel.
Quand les Evangiles nous racontent que Jésus se retire dans la montagne, comme on le voit le faire régulièrement, et être suivi par les foules, comme c’est le cas à chaque fois, c’est donc une façon de dire qu’en Jésus, Dieu vient nous offrir des paroles de vie et de liberté, des paroles qui relèvent, qui remettent en marche pour la vie pleine et entière que Dieu veut pour chacun, pour chacune. La montagne n’est donc pas un lieu où Jésus se retire pour être tranquille, mais un lieu où il entraîne les foules pour qu’elles perçoivent Dieu autrement que dans les habitudes installées, transmises par les générations précédentes. Il met les foules en marche hors du traintrain habituel, pour leur offrir une parole autre, une parole qui est pain pour chaque jour. C’est ce que nous faisons aussi le jeudi midi, ou le dimanche matin, nous quittons nos lieux habituels de vie pour recevoir une parole autre.
Ce jour-là dans la montagne, Jésus ne donne pourtant pas d’enseignements, il ne parle pas beaucoup, il guérit. C’est un autre type de parole. Dans la compréhension hébraïque du monde, toute parole est un acte. Il n’y a d’un seul mot – davar – pour dire la parole qui sort de ma bouche et l’action de j’accomplis. Toute parole est un acte qui a un effet, et c’est encore plus vrai de la parole divine. C’est ce que nous dit ce verset bien connu d’Esaïe : « La parole qui sort de ma bouche ne retourne pas à moi sans effet, sans avoir accomplit ma volonté et exécuté mes desseins. », c’est ce que nous raconte aussi le célèbre poème de la création. Jésus guérissant offre donc aussi dans cet acte de guérison une parole de vie de la part de Dieu.
Les récits de guérison sont à manier avec précaution, parce qu’ils peuvent donner lieu à des attitudes qui font grandir les parts les plus souffrantes de nous au lieu – c’est le comble – de les guérir. Ils peuvent donner renforcer une image déformée de Dieu. Par exemple un Dieu qui pourrait guérir d’un claquement de doigts, mais qui ne le fait pas parce que toutes les conditions qu’il a fixées ne sont pas remplies. Ces conditions imaginaires peuvent être une prière suffisamment fréquente et fervente, une vie vertueuse, l’accomplissement de rites ou que sais-je. Quand la souffrance ou la maladie vous frappent ou frappent quelqu’un que vous aimez, ce serait presque rassurant en fait de se dire que si on fait tout bien comme il faut, la maladie ou le handicap vont partir en fumée et ne seront plus qu’un mauvais souvenir. Cela redonne prise sur une situation dans laquelle on se sent impuissant. Quand votre enfant se trouve entre la vie et la mort pendant des mois à l’hôpital, vous aimeriez bien oui, vraiment, pouvoir vous dire qu’en faisant ceci ou cela, qu’en priant comme ci ou comme ça, alors tout ira bien et votre enfant sera de nouveau à la maison. Retrouver une marge d’action, arrêter de se sentir impuissant, trouver une cause à cette horreur pour pouvoir agir sur cette cause. On peut marchander aussi avec la souffrance, la sienne ou celle des autres : d’accord Seigneur, j’accepte la souffrance, et je peux même en prendre encore un peu plus, mais alors épargne-la à mon mari, à mes enfants, à ma famille. On peut lui donner un sens de leçon, de mise à l’épreuve, de punition. Ce sont des réactions très humaines, et elles ne sont pas condamnées, elles sont même le plus souvent des mécanismes de survie psychique et spirituelle dans une situation qui autrement pourrait faire perdre complètement pied. Face au malheur, on fait comme on peut pour préserver suffisamment de force pour tenir le coup. Il n’y a vraiment rien de mal à ça, sauf si de telles attitudes sont imposées de l’extérieur. C’est une chose toute différente de décider soi-même de réciter 3 fois par jour des séries de 10 Notre Père pour hâter la guérison d’un frère aimé, parce que c’est la façon que nous trouvons de tenir le coup dans la tempête. C’en est une autre quand une personne « bien intentionnée » vient vous dire que si ce frère est malade, c’est parce que vous n’avez pas assez prié et qu’il a eu une vie dissolue, et vous recommande pour le guérir de prier 3 fois par jour le Notre Père par série de 10 ! Dans le premier cas vous faites comme vous pouvez avec vos ressources pour affronter la douleur et l’impuissance qui, frappant votre frère, vous frappent aussi. Dans le second on essaie de vous imposer, de l’extérieur, une interprétation discutable et un remède tout-aussi discutable. Pour le dire en langage biblique, on se comporte avec vous comme les amis de Job après la série de malheur qui le frappent. Et cela n’aide pas Job, cela n’aide personne. Ce qui peut aider par contre, c’est quand des amis se comportent comme ces gens qui amènent à Jésus leurs proches souffrants, comme ceux qui ouvrent le toit d’une maison pour lui amener leur ami paralytique : déposer devant Jésus ceux qu’on aime, les porter dans la prière quand eux-mêmes ne peuvent plus, pour s’ouvrir à l’action de Dieu dans la souffrance aussi, dans toute vie, quelle que soit les épreuves. Dans le récit qui nous occupe aujourd’hui, on ne voit aucune explication donné au malheur qui frappe ces gens sous différentes formes. Dans la compréhension de l’époque, les maladies ou handicaps étaient l’action de forces mauvaises et/ou envoyées par Dieu comme punition ou épreuve. En amenant toutes ces infirmités à Jésus, ces gens manifestent l’espérance que tout cela est faux : ils espèrent que Jésus manifestera un autre Dieu, un Dieu qui n’envoie rien de malheureux, mais qui offre la vie en abondance.
Et c’est ce qui se produit : Jésus rétablit la circulation de la vie, de la santé physique et spirituelle, tant il est vrai que la souffrance peut nous couper des autres et de Dieu. Jésus ne pose pas de question sur l’origine du mal, il ne pose aucune condition, il laisse venir à lui, il est pris aux entrailles, la racine du verbe désigne un frémissement de l’utérus : c’est l’amour frémissant de celle qui donne la vie pour cette vie qu’elle a nourrit en son sein qui se manifeste là.
La guérison des aveugles, des boiteux, des sourds est par ailleurs un signe messianique. Vous le savez, les juifs de l’époque de Jésus attendaient un être exceptionnel, le Messie. Beaucoup d’attentes contradictoires reposaient sur cette figure du Messie. Jésus manifeste un Messie aimant, compatissant, guérissant (et non un Messie guerrier, un Messie politique, ou un Messie justicier), il manifeste la venue de Dieu telle qu’annoncée en Esaïe 35 : « Il viendra lui-même et vous sauvera. Alors s’ouvriront les yeux des aveugles, s’ouvriront les oreilles des sourds, le boiteux sautera comme un cerf et la langue du muet éclatera de joie car les eaux jailliront dans le désert et des ruisseaux dans la solitude. »
Dans Esaïe comme dans Matthieu, il faut sans doute entendre des handicaps physiques effectivement guéris : dans le Royaume de Dieu, celui qu’il œuvre chaque jour à bâtir, la souffrance physique n’a pas de place, pas plus que la souffrance psychologique ou spirituelle. Et si Jésus a probablement effectivement guéri des gens, aujourd’hui ce sont les médecins qui œuvrent à repousser les problèmes physiques qui s’imposent à nous. Mais ces récits nous parlent aussi d’autres handicaps, d’autres blessures, qui touchent tout le monde, malade ou bien-portant : des handicaps et des blessures psychologiques, spirituels, qui sont eux aussi guéris par la parole et les gestes de Jésus. Nous avons tous un peu de mal à discerner les chemins de la vie en abondance parmi tous ceux qui se présentent à nous, comme si nous étions aveugles spirituellement. Nous avons tous un peu de mal à y avancer quand nous les avons discerner, comme si nous étions boiteux spirituellement. Nous avons tous un peu de mal à écouter vraiment ce que nous disent nos proches et nos moins proches, à les voir tels qu’ils sont. Choisir la vie, ce n’est pas si facile. Mais il n’y a pas de culpabilité à avoir, il n’y a pas besoin de se dire qu’on manque de volonté, que si seulement on était plus ferme dans nos résolutions, qui si seulement on était ceci ou cela, tout irait bien. Nous sommes tous imparfaits, car l’être humain que nous sommes est en cours de création, et nous avons tous été blessés plus ou moins profondément au cours de notre vie. Pas de culpabilité donc, mais juste la promesse que l’aide dont nous avons besoin pour sortir de l’ornière nous est offerte gratuitement, Jésus nous met en relation avec celui qui, en guérissant les blessures et handicaps qui ne se voient pas, nous donne la force de traverser les souffrances et douleurs que causent les blessures et handicaps bien visibles, pour que ces souffrances et ces douleurs ne soient pas un obstacle à une relation belle, vivante, à nous-mêmes, à Dieu et aux autres humains, proches et moins proches. Quand les gens viennent à Jésus, ils viennent seuls, ou à quelques-uns, enfermés dans leur histoire particulière de souffrance, de limitation, coupés du monde. Quand ils repartent, ils rendent gloire ensemble à Dieu : ils ont été dépliés, ouverts, remis en relation les uns avec les autres, guéris de l’isolement, du repli, du péché qui est la coupure de la relation. Puissions-nous, chaque jour à nouveau et quelles que soient nos souffrances, nos douleurs, être ainsi dépliés, ouverts, remis en relation les uns, les unes avec les autres, parce que la promesse que nous avons reçue, c’est que rien, ni la mort ni la vie, ni les puissances d’en haut ni celles d’en bas, ne pourra nous éloigner de l’amour de Dieu manifesté en Christ.