Le pardon est un processus pour lequel nous avons besoin de Dieu

Prédication

Notre existence est confrontée au mal et au malheur sous bien des formes, personne n’y échappe. Le Dieu dont nous parlent les textes bibliques, le Dieu que Jésus est venu manifester, la confiance que nous plaçons en lui, ne nous épargnent ni cette confrontation au mal, ni la souffrance, le rabbin François Garaï nous l’a rappelé avec force dimanche passé.

Et c’est bien pour cela que la question du pardon se pose. Car si la souffrance et les blessures font partie de toute existence humaine, qu’en faire ? Quel rapport entretenir – ou ne pas entretenir – avec celui ou celle qui est à l’origine de ma blessure, de ma souffrance ? Comment empêcher que le mal ne contamine toute l’existence ?

Face au mal, un premier réflexe peut être la vengeance… qui ne peut qu’ajouter du mal au mal, du malheur au malheur. Il est facile de le voir avec des enfants : si l’un est frappé, ou moqué, le coup ou l’insulte retour partent presqu’aussitôt. Mais du coup un autre coup ou une autre insulte part en retour, et ça peut continuer longtemps ! Sortir de ce schéma est un long apprentissage… et il nous arrive à tous et toutes je crois d’être tenté d’y recourir, voire de céder à la tentation.

Une première restriction du cercle vicieux de la vengeance est la loi du talion, qui circonscrit l’expansion du mal : « œil pour œil, dent pour dent ». C’est déjà une amélioration, puisqu’il y a une sorte d’équivalence et surtout une limite qui permette de ne pas briser complètement la communauté, même si des rancœurs peuvent subsister.

La démarche de pardon tente d’aller plus loin et de permettre la cicatrisation du mal pour retisser les liens au sein de la communauté. Car c’est bien cela qui est en jeu dans le péché, dans le mal commis : la capacité d’être à nouveau en relation ! Le péché, c’est ce qui manque sa cible, c’est ce qui replie, c’est ce qui coupe de soi, des autres et de Dieu tant le bourreau que la victime.

Le pardon n’est pas cependant une injonction, une condition pour être « un bon chrétien », « une bonne personne », au risque que la victime finisse par se sentir coupable de ne pas réussir à pardonner, en plus de se sentir déjà peut-être coupable d’avoir suscité d’une manière ou d’une autre la blessure qu’elle a subie – comme on ne cesse de lui répéter par exemple dans le cas d’un viol (elle portait une jupe trop courte) ou dans le cas des violences familiales (elle n’avait pas accompli sa tâche de la manière correcte). Ce serait une double ou une triple peine qui n’est pas du tout le projet de Jésus. Lui qui dit ailleurs « venez à moi, vous qui êtes fatigués, mon fardeau est léger le mon joug facile », n’est pas celui qui va charger qui que ce soit de fardeaux injustes et inutiles. La difficulté à pardonner est un symptôme que la blessure n’est pas complètement cicatrisée, pas une faute supplémentaire de la victime ! Le pardon n’est une condition ni au salut de celui ou de celle qui a subi le mal, ni au salut de celui ou celle qui a commis le mal. Il est une grâce qui advient comme fruit d’un processus de guérison des personnes concernées. On ne peut pas se forcer à pardonner, pas plus qu’on ne peut forcer un cancer à partir ou un os à se ressouder, on ne peut que poser un diagnostic, se laisser guérir et constater un jour que le mal est délié.

Regardons donc d’un peu plus près ce que Jésus propose ici.

D’abord, la personne qui a provoqué du mal, du malheur, est « un frère » - ou « une sœur » ajouterai-je ! C’est une personne que, en Christ, je suis appelée à regarder encore comme un frère ou une sœur. Il ou elle se trouve avoir fait une erreur, avoir manqué la cible. Cela arrive bien sûr, puisque nous mettre à la suite du Christ ne fait pas de nous immédiatement des êtres parfaits et sans défauts, mais nous prend dans un processus de guérison et de croissance inscrit dans le temps. Comme disait Luther, nous sommes tous et toutes « simul justus, simul peccator », en même temps juste et en même temps pécheur, pécheresse. Et c’est aussi en cela que cette personne fautive est aussi mon frère, ma sœur : c’est qu’il m’arrive à moi aussi de causer, volontairement ou non, du mal, du malheur.

Un frère ou une sœur donc, s’égare. Et Jésus propose un processus en plusieurs étape, qui vise non pas à mettre sous le tapis le mal, mais au contraire à le regarder en face, à le prendre à bras le corps pour qu’il ne prenne pas toute la place dans la communauté. Je ne sais pas si vous avez noté tout à l’heure quand je lisais la répétition du verbe « écouter ». Ce qui est en jeu, c’est l’écoute, donc la relation : comment préserver la relation dans une situation où des blessures ont été infligées ? Par la Parole, la prière, et la remise à Dieu nous dit Jésus. Aller vers celui ou celle qui a occasionné ce mal est déjà un acte de Parole qui lui dit qu’il ou elle reste un être humain, un frère ou une sœur toujours entre les mains de Dieu. Lui parler ensuite : nommer ce qui c’est passé, poser une Parole qui – comme dans le récit de la Genèse – distingue, nomme, met en lumière, pour rendre la vie à nouveau possible.

Jésus recommande aussi de ne pas rester seul.e : aller chercher des témoins, aller devant la communauté, briser le silence, le secret, les arrangements douteux pour préserver les apparences.

En plus du soutien de la communauté visible, Jésus recommande, de se tourner vers Dieu. Non pas pour chercher son soutien, qui est toujours déjà acquis, à la victime comme au bourreau. La première pour se relever, le second pour grandir en humanité. Mais pour se placer ensemble sous le regard de Dieu, pour prendre le temps de s’exposer consciemment à son amour et à son Esprit de vie, pour puiser dans cette prière des ressources nouvelles qui permettront d’ouvrir des chemins de vie dans ce qui semble une impasse. Autrement dit se tourner vers Dieu pour prier. Se réunir dans nom de Jésus, c’est se placer ensemble face à la puissance de vie qui nous traverse tous et toutes, c’est déjà reconnaître que chacun, chacune est également appelé.e et aimé.e de Dieu. C’est constater peut-être l’échec de nos forces humaines dans une situation bloquée. Faire ce travail d’exposition consciente dans la prière, c’est faciliter le travail de Dieu, c’est lui permettre de venir plus facilement « au milieu de nous ». Dans ce contexte, « au milieu de nous », c’est l’espace entre l’offenseur et l’offensé. Laisser Jésus habiter cet espace, c’est mettre de la distance et de la distinction là où était la confusion. Les travaux de psychologie montrent que dans les traumatismes liés à des agressions physiques, le psychisme de l’agressé se protège en intégrant une partie du mécanisme psychique de l’agresseur. C’est un mécanisme de survie psychique, nécessaire sur le moment peut-être, mais qui instaure une confusion mortifère. Dieu procède toujours par séparation, par distinction, et c’est ce que Jésus promet ici : venir mettre de la clarté et de la distinction là où était la confusion, pour que chacun puisse marcher sur son chemin, et pas sur celui d’un autre. Et alors, et peut-être recevoir comme une grâce la capacité de délier, de laisser aller, de pardonner.

Car le pardon c’est bien cela, le fruit d’un processus plus ou moins long, mais en tout cas inscrit dans le temps, qui vient comme une grâce. En aucun cas ce n’est quelque chose d’automatique, à quoi il faudrait se contraindre impérativement pour être juste ou aimable aux yeux de Dieu. Il a déjà choisi de nous aimer. Et parce qu’il a déjà choisi de nous aimer, il travaille en nous, avec nous, à guérir se qui doit l’être, pour que nos blessures passées cessent d’infecter le présent et l’avenir. Le fruit de ce travail est le pardon, mais il vient en bout de processus, une fois la blessure cicatrisée (et non pas disparue, car nos blessures restent bel et bien présentes, un peu sensible, pouvant se réveiller à chaque changement de temps comme un vieux rhumatisme). Le pardon vient comme une grâce. Quand Pierre demande, combien de fois pardonnerai-je ? Il ne dit pas « combien de fois faut-il pardonner ? ». Il est certes dans une sorte de logique comptable que Jésus va faire exploser, mais pas dans une logique de « il faut/je dois ». Le futur exprime ici une espérance, une attente : « quand j’aurais grandi en humanité, combien de fois serai-je capable de pardonner ? » En proposant le chiffre 7, Pierre va déjà bien au-delà de ce qui était recommandé par les rabbins pour la vie quotidienne, à savoir 3 ou 4 fois.

Ici et maintenant, c’est toujours chacun face à lui-même et face à Dieu qui voit ce qu’il ou elle a la force de faire pour cette relation blessée par le mal commis. Quelle que soit l’issue de ce débat intérieur, il reste que chacun est appelé à prier pour ses ennemis, et que cette prière change et soi et l’ennemi. Les psaumes sont remplis de ces retournements où le psalmiste commence par mettre en scène un « moi seul contre tous les autres », par demander que Dieu massacre ses ennemis, ce qui – au passage – est déjà un progrès par rapport à les massacrer soi-même, avant de terminer dans la louange et dans le « nous ».

Le futur qu’utilise Pierre n’invalide pas la proposition classique des rabbins, qui peut être la voie la plus sage, et qui finalement n’est pas si loin de ce que propose Jésus au début de son enseignement puisque sa conclusion si l’auteur d’un mal n’écoute ni un ni plusieurs frères assemblés est de le considérer désormais comme un païen ou un collecteur d’impôts. Evidemment dans la bouche de Jésus ce n’est pas une condamnation à l’enfer éternel : Jésus a appelé Matthieu le collecteur d’impôts à le suivre, il a dîné chez Zachée, il a loué la foi du centurion romain qui était païen, et sur la croix, il demande le pardon de Dieu pour ceux qui sont en train de le tuer : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. » Et souvenez-vous de ce qui précède immédiatement l’enseignement que nous tentons de comprendre aujourd’hui : la parabole de la brebis perdue, que nous avons entendue la semaine dernière. Considérer l’autre comme un publicain ou un païen, c’est considérer qu’il a besoin que Jésus s’occupe de lui et le remettre entre ses mains ! Si donc à vues humaines rien ne fonctionne, lâcher, et remettre la situation entre les mains de celui qui est plus grand que nous, lui demander de guérir nos plaies et celle de l’autre. C’est déjà énorme ! Le pardon c’est encore autre chose, à venir. Et Jésus balaie l’avancée déjà notable de Pierre : ce n’est pas 7 fois, mais 77 fois 7 fois que le pardon sera donné. Une surabondance, un débordement, un passage hors logique comptable : quand nous serons pleinement humains, comme le Christ l’était et l’est pour nous, alors nous serons capable de pardonner – ce qui n’est pas passer l’éponge – ou au moins, quand le pardon nous sera encore inaccessible, de dire « Père, pardonne-leur, car je n’y arrive pas. » Amen.

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