Veillons, parce que lui veille sur nous

Prédication

Je vous le dis très franchement, je ne crois pas en un Dieu qui claque la porte au nez de celles et ceux qui n’étaient pas là à l’heure. Je sais bien qu’on est en Suisse et qu’après l’heure c’est plus l’heure, mais je crois en un Dieu qui est plus grand que nos montres, que nos lassitudes et que nos agacements face aux retards des invité.es.

Je ne crois pas non plus en un Dieu qui encourage le chacune pour soi, dans une course éperdue pour être le premier, la première auprès de Dieu, mais je crois en un Dieu qui prend soin de chacun et de chacune, et qui nous encourage à prendre soin les uns des autres.

Jésus ne cesse de prêcher que Dieu nous appelle à chaque instant à choisir la vie, et que si nous ne sommes pas présent.es à cet appel, Dieu appellera encore, sans relâche, viendra encore à la rencontre, sans se lasser, insistant aussi longtemps qu’il le faudra. Jésus ne cesse de prêcher l’amour du prochain, de la prochaine, il ne cesse de prendre soin de celles et ceux qu’il rencontre.

Alors qu’est-ce qui lui prend tout à coup de nous raconter cette histoire choquante ? En fait, c’est peut-être nous qui avons des schémas mentaux, nés de nos expériences de vie, qui nous font lire assez spontanément ici une parabole dure, excluante alors qu’elle ne l’est pas. La recommandation de Jésus à la fin est d’ailleurs de veiller, pas d’être à l’heure, ni de prendre des provisions d’huile, et encore moins d’écraser nos frères et sœurs en humanité pour se faire bien voir. Veiller, c’est être attentive, ouverte à ce qui se présente. Sans chercher spécialement des signes sans cesse, comme celles et ceux qui ne peuvent faire un pas sans consulter les augures. Sans se décourager non plus et tomber dans un renoncement mortifère. Veiller, c’est garder tout notre être en éveil, c’est sentir à quel point nous attendons un autre, à quel point un Autre nous est nécessaire, c’est habiter l’absence de cet Autre au lieu de la fuir ou de la déserter. C’est laisser l’attente creuser le désir en nous. C’est espérer que ce que le présent donné à vivre ouvrira sur un à-venir qui vient à notre rencontre sans être déterminé ni par le présent ni par le passé.

Il faut veiller oui. Mais pas parce que si nous ne veillons pas nous serons puni.es, exclu.es. Non, il faut veiller parce que cette veille nous garde en vie, nous donne de goûter à la vie offerte à chaque instant, d’en goûter la saveur d’infini au creux de notre expérience finie. Et peut-être aussi parce que cette veille garde l’Autre que nous attendons en puissance d’à-venir. Nous avons ce rôle à jouer, par notre veille et notre prière, d’offrir à cet Autre très-puissant une goutte de puissance supplémentaire, d’être participantes, à notre mesure, à la création du monde et de l’humanité qu’il espère.

Veillons donc. Pas par peur d’être mis dehors. Mais parce que si nous ne veillons pas, notre vie ici et maintenant sera bien triste. Aucune des jeunes filles n’a veillé, et toutes sont accueillies par l’époux, même les imprévoyantes. En revanche, parce qu’aucune n’a veillé, toutes sont tombées dans des ornières mortifères.

Dans la Bible, il est assez courant de représenter l’alliance entre Dieu et l’humanité comme un mariage dans lequel Dieu serait l’époux et l’humanité serait l’épouse. On peut lire cette parabole comme une parabole de l’alliance entre Dieu et l’humanité. Le Royaume de Dieu n’est rien d’autre que cette alliance actualisée, vécue au présent. Les dix jeunes filles représentent l’humanité, leurs attitudes représentent des attitudes présentes en chacun, en chacune. Peut-être que la première chose à relever est que si certaines sont dites imprévoyantes et d’autres avisées, toutes sont de la noce, toutes ont une lampe et de l’huile. Dit autrement : toute l’humanité est invitée à vivre l’alliance avec Dieu qui vient à sa rencontre. Toutes les parties de notre être. Et chaque personne de l’humanité. Pas besoin d’être parfaite, parfait. Nous sommes invité.es. Les jeunes filles de la parabole, quelle que soit leurs qualités ou leurs défauts, sont porteuses de lumière. Elles sont aussi porteuse de bénédiction, symbolisée par l’huile. Et toutes sortent à la rencontre de l’époux. Mais toutes s’égarent, s’épuisent et sombrent dans le sommeil car l’époux tarde.

On peut y lire une constatation de l’échec de toutes nos tentatives humaines pour aller au devant de Dieu. Nous nous croyons assez forts, assez croyantes, assez purs, assez ceci ou cela, pour faire un bout du chemin. Et on s’égare, et on s’écroule de fatigue. Parce qu’on est resté dans la logique du faire : on croit qu’il faut mériter d’être rencontré par Dieu, se montrer à sa hauteur tant que possible. Il est important de redire que toutes les jeunes filles s’endorment, celles qui ont des provisions d’huile et celles qui n’en ont pas. Comme les disciples s’endorment à Gethsémané. Il est des attentes où seul Dieu lui-même peut veiller.

C’est aussi à toutes les jeunes filles qu’est adressée la parole qui annonce l’arrivée – enfin ! – de l’époux et qui réveillent les jeunes filles. On pourrait aussi traduire, la parole qui ressuscite les jeunes filles, qui les sort de leur torpeur. Et toutes paniquent alors et deviennent insensées. Toutes se préoccupent de leur lampe, comme si c’était cela le plus important. Toutes se rendent compte de la faiblesse de leur lumière. Pour le dire autrement : une part de nous, à l’approche de Dieu, se croit obligée de montrer à quelle point elle brille bien, à quel point elle a bien mérité, parce qu’elle voit en Dieu un juge implacable. Et cette part se rend aussitôt compte que tout ce qu’elle peut mettre en avant est bien peu.

Face à cette même panique, deux attitudes se font jour : le repli sur soi et la tentative d’acheter du mérite. Les jeunes filles avisées, qui étaient parties avec une réserve d’huile, refusent de partager. Les autres, celle qui étaient parties confiantes dans la venue proche de l’époux, s’égayent pour trouver au milieu de la nuit de l’huile à vendre. Comme si la bénédiction s’achetait. Comme si la bénédiction pouvait se garder pour soi seule. Comme s’il fallait être présentable. Alors que tout l’Evangile nous parle d’un Dieu qui va à la rencontre des gens de peu, de ceux qui ont les mains vides, de celles dont la vie est tordue et faussée. Alors que dans bien des textes bibliques on trouve l’idée que la bénédiction surabonde et atteint les proches et les plus lointains. Pensez par exemple au psaume 23 qui commence par l’Eternel est mon berger. On y trouve cette belle image à propos de la bénédiction : « tu oins d’huile ma tête, et ma coupe déborde. »

Toutes les jeunes filles, dans la panique, ont donc une attitude faussée par la peur. Cela n’empêche pas que l’époux vienne. Ça n’empêche pas que Dieu s’approche. Il vient. Et si quand il arrive il manque une partie des jeunes filles, il commence avec celles qui sont là.

Qui ferme la porte à clé derrière elles et lui ? Vu ce qui précède, j’ai tendance à penser que ce sont les jeunes filles… et quand les autres reviennent, appellent devant la porte close, l’époux rouvre la porte, il leur parle. Et il constate : je ne vous connais pas ». Et elles ne le connaissent pas non plus : elles ont cru qu’il était de ceux qui vous repoussent si vous n’avez pas assez d’huile, pas une lampe assez brillante… La parabole s’arrête là. Nous projetons une porte claquée. Ne pourrait-on y entendre une invitation : « faisons connaissance » ?

Dans cette histoire, l’époux vient, en retard et autrement que ce qui était attendu, mais il vient et il vient pour toutes. Dieu est toujours autre que celui que nous projetons, que celui que nous attendons. Il vient quand nous ne l’attendons plus, au milieu de la nuit quand nous ne l’espérons même plus et que notre lumière vacille. Il n’a pas besoin que nous lui montrions à quelle point nous sommes aimables, à quel point notre lumière brille fort et longtemps pour venir. Il vient de toute manière, il vient et il demande à nous connaître. Nous n’avons pas à voir peur de lui. Nous avons à veiller. Et quand nous ne veillons plus, lui continue à veiller pour nous, lui continue à nous espérer, à nous donner la force d’exister et de vivre encore cela.

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