Peut-on démontrer la foi ?

Prédication

Hier matin, au petit déjeuner, nous étions en train d’expliquer aux enfants les nouvelles mesures prises en France à propos de l’épidémie de Covid, et notamment l’extension de notre périmètre de promenade de 1 à 20 km pour les deux prochaines semaines. Mon fils a aussitôt demandé : « Pourquoi Macron il a fixé 20 km ? ». A quoi mon mari a répondu : « A Noël, nous pourrons normalement être avec tes cousines, ton papi et ta mamie. » Et mon fils s’en est contenté. Pourtant cela ne répondait pas directement à sa question. Il n’avait pas eu de réponse à son pourquoi… C’est qu’au fond il sait bien pourquoi il y a des restrictions, et sa vraie question était ailleurs : est-ce qu’à Noël nous pourrons voir celles et ceux que nous avons prévu de voir et qui nous manquent ? C’est à cette question-là qu’il fallait répondre.

C’est la même chose que fait Jésus ici. Quand les disciples lui demandent « pourquoi les scribes disent-ils qu’Elie doit venir d’abord ? », ils connaissent bien la réponse : parce que le livre du prophète Malachie et celui de l’Ecclésiastique l’annoncent ainsi. Dans une certaine tradition apocalyptique juive, Elie – dont l’histoire est racontée dans le livre des rois – reviendra un jour du ciel où il a été enlevé et sa venue apportera la réconciliation qui précédera la venue du Messie. D’autres traditions proposent d’autres signes, notamment la venue d’un second Moïse. Les disciples savent cela, ils n’ont pas besoin que Jésus le leur rappelle. Leur vraie question, qu’ils ne peuvent ou n’osent formuler aussi clairement, c’est « pourquoi nous interdis-tu te dire que nous venons de voir Moïse et Elie alors que cela correspond aux signes annoncés et que cela pourrait convaincre tout le monde – à commencer par nous-mêmes – que tu es bien le Messie qui doit venir ? »

Ils ont l’impression que tout s’emboîte parfaitement, et qu’ils pourraient donc emporter la conviction de tous ceux qui attendent fébrilement, qui guettent les signes, le retour de tel ou tel, Elie ou un autre. C’est à cela que Jésus répond, pour déplacer complètement leur attente : aucune certitude n’est possible, c’est de foi qu’il est question.

Jésus confirme d’abord qu’Elie vient, effectivement, comme annoncé, mais aussitôt il décale cette petite certitude : il est déjà venu et il a été rejeté. Ce que les disciples croyaient avoir compris de ce qu’ils venaient de vivre sur la montagne tombe donc à l’eau : ils ne viennent pas de voir le signe qui désigne avec certitude Jésus comme Messie, ils ont, comme tous les autres, raté quelque chose. Et ils cherchent donc qui était cet Elie revenu, et ils trouvent Jean le Baptiste. Chaque évangéliste a sa propre compréhension de l’identité et du rôle du Baptiste – comme ils ont leur propre compréhension de l’identité de Jésus. Pour Matthieu, Jean était effectivement l’Elie annoncé par Malachie comme précédant la venue du Messie, mais de manière détournée. Là où beaucoup cherchaient Elie exactement, avec sa puissance de dénonciation et de réformation, avec sa force contre les pouvoirs en place et les faux dieux, Matthieu voit dans le prophète Jean le Baptiste mis à mort cet Elie revenu. Il met en scène les vêtements de Jean, la force de sa parole, dérangeante, dénonciatrice, pour que l’identification avec Elie puisse jouer. Mais à la transfiguration, c’est bien Elie et non pas Jean qui apparaît. Et Jean le Baptiste échoue face aux puissants, il est mis à mort, rejeté, il n’est pas entendu. Il n’y a pas d’immédiateté de l’identification, mais une occasion de foi : pouvez-vous reconnaître que Jean le Baptiste et Elie étaient des prophètes du même Dieu, un Dieu inattendu, un Dieu qui ne se révèle pas dans la puissance, mais dans le fin murmure d’un silence ou dans la mort non vengée de son prophète ?

Et Jésus va plus loin encore, même si les disciples ne le relèvent pas : il annonce que lui aussi sera rejeté, lui qui pour ces disciples là qui ont assisté à la transfiguration est à ce moment-là avec une certitude quasi absolue le Messie annoncé ! Il n’annonce pas ici la résurrection, seulement la souffrance débouchant sur la mort. Il attire l’attention sur le fait qu’il est un Messie inattendu, ne répondant pas aux images toutes faites, aux attentes faciles, aux interprétations « à vues humaines ». Il est un Messie qui vient s’offrir à ce que l’humain a de pire, s’en faire la proie, et qui manifeste là l’amour de ce Dieu qui avait juré après le déluge de ne plus recourir à la violence quand l’humanité sombre dans les ténèbres.

Les scribes, les disciples, et plus largement une bonne partie de la population, attendent de Dieu du déjà connu – Elie, Moïse – du déjà annoncé, du reconnaissable à coup sûr, de la puissance manifeste. Ils guettent des signes qu’ils pensent certains, et ils passent à côté de ce qui est là, pire, ils le mettent littéralement à mort. Et ils vont continuer, parce qu’une fois qu’on a commencé ce chemin de négation, l’ornière se creuse vite et profond, et il devient difficile d’en sortir. Seul le Dieu de l’inattendu peut en faire sortir, ouvrir d’autres chemins.

Il en va parfois de même avec nous : nous nous attendons à rencontrer Dieu dans la prière, ou dans le silence, ou dans la lecture de tel livre. Et parfois cela arrive. Mais parfois aussi nous ne rencontrons là que notre brouhaha mental, que nous-mêmes, et par contre dans ce film léger, quelque chose nous touche, nous arrive de la part de Dieu. Je suis tombée l’autre jour sur cette phrase de John Lennon – dont j’ignore quelle était la spiritualité  : « La vie, c’est ce qui vous arrive quand vous êtes occupé à planifier autre chose. » Je n’attendais rien de particulier à ce moment-là, j’étais en train de préparer le repas, l’esprit tout occupé de problèmes domestiques et familiaux, mais cette petite phrase m’a parlé de ce Dieu inattendu qui vient à moi précisément quand je suis occupée à enfermer ma vie dans des choses bien rangées, connues, quand je cherche à retrouver ce que je connais déjà pour me rassurer, quand le quotidien me rattrape et me déborde. Cela m’a parlé de ce Dieu qui vient s’incarner dans l’humanité, qui se fait fragile jusqu’à s’offrir dans un bébé démuni, dans l’homme mis à mort sur la croix, qui me demande chaque jour à nouveau « que veux-tu que je fasse pour toi ? », faisant appel à mon désir de vie le plus profond sans s’imposer à moi. Et cela m’a parlé dans un moment où précisément je ne m’y attendais pas du tout !

Notre Dieu est le Dieu des fragilités et des lumières, le Dieu des surprises et du hors-cadre, le Dieu qui fait du neuf sans cesse à nouveau, qui ne revient pas en arrière mais qui ouvre des chemins d’à-venir.

Amen.

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