Le silence au milieu de l'agitation

Prédication

Voilà un récit construit de manière concentrique : au début et à la fin deux scènes impliquant Pierre dans la cour de la maison de Caïphe ; en position médiane deux scènes impliquant le grand prêtre et d’autres personnes à l’intérieur de la maison. Et au centre Jésus, un silence, et une parole.

Dans toutes ces scènes, sauf la scène centrale, il y a beaucoup de bruit et d’agitation, et même pour les deux scènes après la scène centrale, de la violence.

Il y a du bruit et de l’agitation dans la cour de la maison Caïphe quand on amène Jésus au début de la nuit : il y a beaucoup de monde qui arrive, gardes, badauds, amis de Jésus, témoins, membres du sanhédrin, et les serviteurs qui doivent accueillir tout ce monde vont et viennent à pas pressés pou allumer les lampes et les feux, préparer les sièges, les boissons. Dans ce brouhaha et ce fourmillement, Pierre a le courage de se glisser au milieu de la foule pour suivre son maître, son ami, celui en qui il a placé son espérance.

Il y a du bruit et de l’agitation encore à l’intérieur de la maison, dans la grande salle : enfin on a trouvé moyen d’arrêter ce trublion de l’ordre religieux et politique. On frémit de soulagement, de joie contenue… mais tout n’est pas encore joué, il faut encore trouver une façon de l’écarter définitivement. Et pour ça il faut un motif suffisamment grave pour faire intervenir les romains. Dans l’agitation, dans l’excitation, on oublie les règles fondamentales, comme « tu ne porteras pas de faux témoignages » ou « tu ne tueras pas ». On écoute tout et son contraire, les fake news sont acceptées du moment qu’elles permettent d’arriver au but : écarter Jésus définitivement. L’engrenage se met en place… On crie, on s’interpelle, on s’insulte sans doute, on se tire ici ou là, on donne des ordres contradictoires…

Il y a du bruit et de l’agitation à nouveau après l’échange entre Jésus et Caïphe, mais orientée différemment. Là où cela partait un peu dans tous les sens auparavant, là où régnait la confusion, désormais on décèle une orientation claire : la mécanique de la violence et de la mort est enclenchée. Coups, insultes, moquerie, gestes visant à humilier, à nier l’humanité de Jésus : tout est permis maintenant, les verrous moraux ont sauté. Tout à l’heure la violence était potentialité contenue, maintenant elle explose dans cette salle où les esprits et les cœurs se sont échauffés.

Il y a du bruit et de l’agitation toujours dans la scène finale à l’extérieur : la violence déborde de l’intérieur de la maison dans la cour. On presse les personnes étrangères à la maison, on les interroge avec une flamme inquiétante dans le regard. Et Pierre, inquiet pour sa sécurité, se protège en niant par trois fois tout lien avec Jésus : violence symbolique du rejet d’un tout proche. Violence bien réelle de celles et ceux qui le pressent et le poussent à cette extrémité.

Tout s’agite, tout bouge, tout bouillonne dans ce récit terrible… Sauf au centre. Comme dans un cyclone, le centre est calme. Au centre de toute cette agitation, Jésus. Jésus qui garde le silence d’abord. Un silence et un calme si profonds qu’on oublierait presque que Jésus est là. Comme si, au pire moment, Dieu était absent. Comme si, justement là où on aurait besoin d’un geste ou d’une parole forte, Dieu se retirait. Le silence de Jésus sonne d’abord comme une manifestation de sidération ou de déni, comme une absence, comme une démission, comme un renoncement. Beaucoup de nos silences sont de cet ordre.

Jésus reste silencieux. Jésus garde le silence.

En fait, si on écoute bien ce silence et les mots qui le disent, le silence de Jésus est plutôt une offrande : dans ce tourbillon de bruit, de mouvement et de fausses paroles, il reste dans le silence, il garde le silence, il prend soin du silence, il s’assure qu’il reste une place pour le silence.

Ce silence protégé préserve la possibilité d’autre chose que cette agitation et ces fausses paroles. Il maintient la possibilité du regard, de la relation. Il accomplit la promesse que la mort et le mal n’ont pas le dernier mot sur l’humain, même quand on a l’impression qu’ils prennent tout l’espace disponible. Il donne justement de l’espace pour qu’autre chose que ce qui est là puisse se manifester. Le silence de Jésus est gros de la possibilité de la résurrection. C’est dans ce silence préservé qu’une parole autre, une parole de vérité peut advenir.

« vous verrez le Fils de l’humain siégeant à la droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel »

A ceux qui cherchaient le Fils de Dieu, Jésus promet qu’ils verront le Fils de l’Humain. A ceux qui cherchaient des manifestations spectaculaires, Jésus promet qu’ils verront une simple assise. A ceux qui cherchaient un Dieu qui juge sévèrement, Jésus promet une puissance de vie qui s’approche de chacun. A ceux qui l’ont arrêté, qui sont sur le point de le livrer à la mort, Jésus promet la puissance de vie pour eux.

Moment suspendu. La promesse est dite. La promesse est ferme. Comme celle faite auparavant à Pierre : avant que le coq chante tu n’auras renié trois fois… Pierre bien sûr l’avait pas entendu comme une condamnation : tu me renieras… et donc tu seras dans le mauvais camp, tu seras rejeté de Dieu. Maintenant, alors que le coq chante et qu’il prend conscience que Jésus avait raison, il découvre que ce n’était pas condamnation mais promesse : tu me reniera… mais moi je serai là, comme j’ai toujours été là, comme je serai toujours là. Il a fallu du temps à Pierre pour entendre la promesse derrière la parole. Un temps nécessaire, incompressible sans doute.

Alors n’allons pas trop vite justement pour condamner ceux qui condamnent Jésus : depuis ce silence sauvegardé, Jésus a prononcé une promesse pour celles et ceux qui sont là… à chercher comment le faire mourir. Personne n’y croit pour l’instant à cette promesse. Pire, entendre cette promesse ne fait de déchaîner plus encore la violence… C’est qu’il faut du temps pour oser s’appuyer sur une telle promesse. Un temps qui peut être long, qui dépend de chaque personne, de son chemin de vie, de ses blessures. Il faut de temps pour oser la confiance. Il faut du temps pour tester la solidité cet amour offert. Un temps de violence parfois. La violence ne fait que commencer. L’amour reste offert. La promesse reste vraie.

Au cœur même de nos agitations, de nos violences, de nos renoncements, Dieu se tient, silencieux, et nous promet qu’il reste là, qu’il ne sera pas emporté parce qui nous emporte, et qu’il restera l’appui sur lequel bâtir notre vie.

Amen.

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