Qu'il est difficile parfois d'être témoin du Christ !

Prédication

La mission au nom de Christ est parfois un combat. Aujourd’hui à Genève, on peut avoir du mal à le croire, mais ce n’est de loin pas le cas partout dans le monde, et il ne faut pas l’oublier ! Nombreux sont les chrétiens qui sont persécutés pour leur foi : les attentats de Pâques au Sri Lanka, les fermetures d’églises ces dernières semaines en Algérie nous le rappellent, et je pourrais multiplier les exemples ! Tellement qu’il paraît que les chrétiens sont le groupe religieux le plus persécuté au monde. Il ne faut donc surtout pas commettre l’erreur de généraliser trop vite la situation certes imparfaite, mais confortable que nous avons la chance de vivre ici et maintenant.

Pour beaucoup de chrétiens aujourd’hui, comme pour les disciples de Jésus, vouloir annoncer l’Evangile, c’est donc affronter des loups, c’est s’exposer à des violences physiques ou administratives, à des déchirements familiaux. Bien souvent, cela se produit dans des situations où la religion est intimement liée au politique, suscitant autour d’elle des enjeux de pouvoir forts. C’est dans ces contextes que les disciples du Christ, aujourd’hui comme hier, risquent le plus d’être dénoncés, jugés : ils troublent l’ordre social, politique et religieux établi.

A Genève aujourd’hui, notre situation est moins précaire, et nous avons peut-être plus de mal à entendre une parole qui nous concerne dans ces annonces de persécutions. Et pourtant… les difficultés que nous affrontons – à l’intérieur comme à l’extérieur de nous-mêmes – pour vivre et annoncer l’Evangile sont certes en partie différentes, mais elles existent bel et bien ! Différentes en partie seulement puisque le rejet face au christianisme existe ici aussi, que ce soit dans des familles d’autres traditions religieuses ou dans des familles athées, même s’il ne prend heureusement pas des formes aussi extrêmes que dans d’autres endroits du monde ou à d’autres époques. Il peut donc arriver, à nous aussi, de rencontrer des loups. Mais nous affrontons aussi d’autres adversaires puissants : l’indifférence, qu’il faudrait sans doute plutôt comparer à une anguille insaisissable, et la confusion spirituelle, qu’on pourrait comparer à un papillon qui s’épuise à voler autour d’un lampadaire. Qui n’a jamais fait l’expérience, voulant partager un morceau de l’Evangile, avec un enfant, un petit-enfant, un parent ou un ami, de rencontrer un ennui profond, un silence un peu gêné, un mur d’incompréhension ou de la moquerie ?

Faut-il pour autant renoncer face aux difficultés ? Jésus appelle certes ses disciples, nous appelle, à ne pas chercher les ennuis volontairement : « quand on vous pourchassera dans telle ville, fuyez dans telle autre ». Il nous appelle certes à ne pas non plus nous en vouloir si notre tentative échoue : « au disciple il suffit d’être comme son maître » dit-il. Or, Jésus a certes suscité foi et confiance chez ses disciples, mais combien de refus, de rejet a-t-il essuyé, jusqu’à la croix ? Aucune honte donc à ne pas susciter de conversion au Christ, à ne pas réussir à partager… Suivre le Christ, tenir bon, ce n’est pas s’obstiner à tout prix, ce n’est pas rechercher le martyre, ce n’est pas annoncer l’Evangile n’importe quand n’importe comment, c’est vivre nous-mêmes de la confiance que nous lui faisons, de la certitude de l’amour qu’il a pour nous ne dépend pas du nombre de convertis que nous faisons.

Ce n’est pas si facile de vivre pleinement cela. On se dit qu’on n’est pas assez bon, qu’on aurait dû faire autrement, qu’on aurait dû être autrement, que si nous étions de vraiment des « bons croyants », nos proches le deviendraient aussi, ou au moins s’intéresseraient... Certes il est bon de réfléchir à nos façons d’en parler, d’en témoigner, mais deux choses sont plus importantes encore. La première, c’est de se rappeler que la foi n’est pas une condition à l’amour de Dieu, elle est un moyen qui nous est donné pour mieux vivre de cet amour. Si donc tel proche ne semble pas vivre la foi en Christ – je dis ne semble pas, car nous ne voyons pas tout et nous n’avons pas à juger de la foi des autres, pas plus que de la nôtre d’ailleurs –, si tel proche ne semble pas vivre une foi profonde, cela ne veut pas dire que Dieu ne l’aime pas, que Dieu ne veut pas le meilleur pour cette personne. Et cela vaut aussi pour nous… si parfois notre foi flanche, vacille, ce n’est pas le signe d’un retrait de l’amour de Dieu !

La seconde chose à garder en tête, c’est qu’avant de chercher des techniques de transmission, nous avons à vivre par la foi de cet amour reçu. L’Evangile a changé quelque chose dans la vie des disciples de Jésus, il a changé quelque chose dans nos vies, dans votre vie, dans la mienne. Nous avons été relevées, réconfortées, redressées, mises en confiance, réconciliées. Nos expériences sont à la fois toutes semblables et toutes un peu différentes : nous avons toutes et tous été aimé, et cet amour s’est manifesté de manière unique pour chacun, pour chacune. C’est en vivant pleinement cela que nous pouvons transmettre quelque chose de l’Evangile. « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement », dit Jésus à ses disciples quelques versets plus haut. Le fondement est là : c’est parce que l’amour que vous avez reçu, que j’ai reçu, a changé quelque chose, que l’Evangile se transmet, presque malgré nous, dans le simple fait de regarder la vie autrement, de la vivre un peu autrement. Chacun, chacune, a sa façon de l’exprimer, de le vivre, d’en témoigner et c’est très bien ainsi : Jésus ne fait pas passer ses disciples dans un moule, dans un protocole, ils les envoie tels qu’ils sont, ils nous envoie tels que nous sommes, aussi avec nos fêlures, nos fragilités, vivre l’Evangile dans le monde. Ça ne passe pas nécessairement ni exclusivement par des choses qui portent un tampon ostensiblement chrétien : bien sûr il y a la lecture d’un psaume avec un conjoint, la prière personnelle et communautaire, mais il y a aussi un téléphone à un ami déprimé, une visite à une amie isolée, un repas partagé, un engagement auprès des plus démunis de nos sociétés, une activité créatrice, que sais-je ? C’est toujours, Emmanuel nous l’a rappelé la semaine passée, dans le cadre d’une rencontre que l’Evangile se vit, se donne.

Le souci de la performance ne doit donc pas être premier quand il s’agit de vivre l’Evangile dans le monde, mais Jésus nous donne quand même quelques outils bien utiles. L’Evangile que nous tentons de vivre, de partager, n’est pas toujours bien reçu, il est particulièrement bien placé pour le savoir… « Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups » dit le Christ. Le chrétien, la chrétienne, est appelé à être – à la suite du Christ – une brebis, une incarnation de la douceur, de la tendresse de Dieu. Quand le Christ envoie ses disciples en leur recommandant d’être comme des brebis, il sait bien qu’ils ne le sont pas complètement, mais il les appelle, il nous appelle à ne pas être des loups parmi les loups, à proposer autre chose au monde. A rester envers et contre tout des brebis, des doux, des douces, qui répondent à la violence, à l’indifférence, à la confusion, autrement que par la violence, l’indifférence ou la confusion. Ce qui différencie le chrétien, la chrétienne, ce n’est pas d’être étranger au conflit, c’est d’en proposer une autre sortie que la violence et la surenchère.

Jésus sait bien que le rejet est possible, et quand il parle d’être brebis au milieu des loups, il parle d’être une brebis vivante, pas une brebis dévorée ! C’est pour cela qu’il donne encore en guise de conseils deux autres images animales : la ruse du serpent et la candeur de la colombe. Il faut donc être à la fois brebis, serpent et colombe... Une brebis qui sait ruser face au mal, pour ne pas se laisser dévorer, pour ne pas se laisser envahir elle-même par ce mal, pour pouvoir passer malgré la présence du mal, ruser pour défaire ce mal aussi, quand c’est possible. L’usage de la ruse n’est cependant qu’un outil, et un outil qui serait insuffisant voire dangereux sans la candeur et la simplicité de la colombe. La colombe symbolise l’Esprit Saint, ce souffle d’inspiration prophétique, créative, qui nous inspire, qui nous garde sur la route, nous dévoile des chemins inattendus, dans des situations qui paraissaient complètement bloquées, désespérées. Il nous faut les deux pour que la Parole puisse retentir ! Il faut tenir tant que possible ensemble ruse et candeur pour que jaillisse la Parole là où elle a besoin d’être proclamée et entendue, c’est-à-dire aux brebis perdues ! La grande difficulté de la vie du chrétien, de la chrétienne, appelé à agir et vivre dans le monde, c’est précisément de garder un équilibre entre la ruse et la simplicité. De garder un espace en soi pour que, par moment, quelque chose qui vient d’ailleurs puisse s’exprimer, une Parole de vie. C’est ce que Jésus promet à ses disciples, nous promet : l’Esprit de notre Père parle en nous, parle pour nous, parle à travers nous. Et il parle « à cette heure-là », c’est-à-dire à l’heure où le besoin s’en fait sentir, une Parole adaptée, personnelle…

Vivre l’Evangile dans le monde n’est pas toujours aussi facile que nous le voudrions, que nous l’espérerions, voir l’Evangile mis de côté, voire oublié, non plus. Mais la promesse est là : de toutes nos croix, de tous nos échecs, Dieu fera des matins de Pâques. Au cœur de l’épreuve, au cœur du monde, une Parole nous est donnée pour en vivre, tous les jours, jusqu’à la fin du monde.

Amen.

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