Où trouver la force de vivre encore quand tout s'effondre ?

Prédication

Vous est-il déjà arrivé de vous retrouver en état de sidération après avoir reçu une nouvelle bouleversante dont vous aviez de la peine à mesure l’ampleur ? Ça peut être le médecin qui, lors d’un examen de routine, vous dit tout-à-coup : « il y a quelque chose d’anormal Madame, il va falloir faire des analyses plus poussées. » Votre conjoint qui vous annonce qu’il ou elle a besoin « d’un peu de distance et de temps pour réfléchir à l’avenir de votre relation. » Ou bien votre père qui vous appelle de l’hôpital et vous annonce d’une voix étranglée : « c’est fini chérie… ta mère nous a quitté. » D’autres chocs sont collectifs. Si je vous demande où vous étiez le 11 septembre 2001, quand vous avez appris que les tour du World Trade Center s’effondraient suite à un double attentat terroriste, il est probable que vous saurez me répondre. Plus récemment, il y a trois ans, le 16 mars 2020, le conseil fédéral annonçait qu’il prennait le pouvoir et, quelques heures plus tard presque tout les lieux où l’on peut se rencontrer sont fermés : commerces « non essentiels », bureaux, restaurants, musées, cinémas. Aujourd’hui dans la région de Marrakesh, de nombreuses familles ont tout perdu et pleurent des êtres aimés. Plusieurs d’entre vous ont connu dans leur pays, dans leur chair, la guerre, l’exil, le viol, ou d’autres traumatismes.

Dans ces situations, on n’est plus vraiment en état de réfléchir et on réagit comme on peut : sidération, déni, silence, repli, paroles sans queue ni tête, concentration sur un détail en apparence futile, hyper lucidité, prise de décision éclair, effondrement, fermeture pour ne pas craquer. L’avenir prévu s’est tout à coup prodigieusement éloigné, le gouffre du présent est trop profond. Où trouver la force de vivre encore ?

Dans le récit que nous venons d’entendre, les disciples sont dans un de ces moments : les tensions autour de leur maître s’accentuent, Judas a été désigné par Jésus comme traître sans que personne ne bouge, et Jésus vient de leur annoncer, pour la troisième fois, sa mort. Ils sont sonnés par ces effondrements successifs annoncés, effrayés au point de ne plus savoir ni quoi dire ni quoi faire. Sans doute aussi se sentent-ils terriblement abandonnés par celui dont ils pensaient qu’il serait toujours là.

C’est là, du cœur même du maelström qui est en train d’emporter leur vie, que Jésus leur parle. Pour nous, c’est un rappel que Dieu est là, précisément dans ces moments où il semble le plus éloigné, alors même que nous nous sentons si seul.es et vulnérables. Il leur donne quelques ressources pour rester vivants dans ce tourbillon. Trois me semblent particulièrement importantes : l’amour, la foi, et l’espérance.

D’abord l’amour. Dans l’évangile de Jean, l’amour est l’un des modes de présence de Jésus. « je suis pour un peu de temps encore avec vous », commence-t-il par dire, et nous nous sentons peu concerné.es. Mais Jésus souffle aussi à ses disciples qu’il est présent auprès d’eux autrement : « À ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les un pour les autres ». Oui, Jésus est présent dans l’amour qui peut circuler entre eux, fruit de la transformation qui s’opère en eux depuis qu’ils se sont mis à vivre avec lui. Si Dieu est amour, comme le dit la première lettre de Jean, alors c’est l’amour en nous qui nous unit à lui, qui nous vient de lui et qui nous ramène à lui. Cet amour-là, présence de Jésus dans notre vie, nous est offert, comme il a été offert aux disciples, pour que nous nous en saisissions et que nous en vivions ; « pour que tous connaissent que vous êtes mes disciples » dit Jésus. L’amour n’est pas une obligation morale, il est le souffle qui ouvre un chemin et donne la force d’y avancer.

Deuxième ressource : la foi, ou la confiance, vous savez que c’est le même mot en grec. « Que votre cœur ne se trouble pas. Ayez confiance en Dieu, ayez confiance en moi. » Le trouble dont il est question ici, c’est le trouble – bien normal – devant la mort et devant la catastrophe. Le remède à ce trouble, c’est la confiance. C’est là le véritable commandement : il est formulé à l’impératif, alors que le commandement nouveau de l’amour est formulé comme un souhait. La confiance donc. Mais la confiance n’est précisément pas ce qui nous vient en premier quand tout s’écroule, que le danger est partout, que le sens de la vie disparaît dans le brouillard et que le malheur semble vouloir durer toujours. Jésus indique le chemin pour retrouver la confiance : « ayez confiance en moi », en ce que vous avez vécu avec moi et qui vous assure que je serai là pour vous. Les disciples, depuis le temps qu’ils marchent avec Jésus, ont été transformés par l’amour qu’ils ont reçu et qui les a sortis du besoin de mériter la confiance et l’amour de Dieu. L’amour reçu gratuitement de Jésus les a relevés, a fait d’eux des disciples, des enseignant.es, des organisateurices, des soutiens pour leur maître. Il en sera de même à partir de maintenant : l’amour sera toujours là, il continuera à les transformer, à les relever, à leur donner la force d’aimer encore, de vivre encore. Ils peuvent avoir confiance en cela. Et vous, à quel moment de grâce pouvez-vous revenir, pour y puiser la force et la confiance ? Qu’est-ce qui a été transformé, même un tout petit peu, en vous, dans votre vie, qui peu vous donner une graine de moutarde de confiance ?

Troisième ressource : l’espérance. « Je vais vous préparer une place. Et puis je reviendrai et je vous prendrai à moi, afin que là où je suis, vous y soyez aussi. » Peut-être pendant l’été avez-vous reçu des ami.es ou de la famille, et préparé avec soin, avec amour, une chambre pour eux et fait en sorte que votre maison soit particulièrement accueillante. Peut-être aussi avez-vous été reçu.es chez des proches et goûté à l’espérance joyeuse d’arriver dans une maison où vous étiez attendu.es, où vous alliez vivre un moment avec des personnes aimé.es. Quelle légèreté cela donne au trajet, fusse-t-il long, pénible, fait en pleine chaleur ou l’esprit tourmenté ! C’est cela que Jésus promet à ses disciples, qu’il nous promet : auprès de Dieu une place nous est réservée, nous sommes attendu.es, désiré.es. L’image de la demeure dans la maison du père dit aussi l’intimité recherchée : les personnes que vous invitez à séjourner chez vous ou chez qui vous acceptez de séjourner, ce sont les personnes dont vous acceptez qu’elles vous voient le matin au réveil, la mine chiffonnée, l’haleine peu fraîche, le soir fatigué.e et irascible, peureux devant la moindre araignée, bref, sous votre jour le moins apprêté. C’est une marque de la confiance. Dieu nous prépare une demeure dans sa maison. Il nous invite à l’intimité avec lui. Mais Jésus est un hôte plus prévenant encore : il ne se contente pas de préparer la chambre d’amis, ni même d’aller chercher ses amis à la gare la plus proche, il promet de revenir les chercher là où ils seront, pour les guider, pour leur donner la force, l’amour, la foi et l’espérance nécessaires pour le chemin. La promesse suit immédiatement l’annonce du triple reniement de Pierre, comme pour étayer la confiance : rien n’ébranlera l’amour donné, ni l’amour encore à donner. Quand bien même Pierre reniera Jésus, quand bien même les autres l’abandonneront, Jésus leur prépare soigneusement une place et reviendra les chercher là où ils se seront égarés. Cela est vrai pour nous aussi. Oserons-nous suivre le Christ sur ce chemin ?

L’évangile de Jean s’était ouvert sur une annonce renversante : « La parole est devenue chair, et elle a habité en nous, peine de grâce et de vérité. » Au point de basculement de l’évangile vers les événements de la Passion, se niche une autre annonce, tout aussi renversante : « Je vais vous préparer une place puis je reviendrai et je vous prendrai à moi, afin que là vous je suis, vous soyez aussi. » Il y a dans ces deux annonces tout l’Evangile : Dieu a fait sa demeure en nous, pour que nous puissions rejoindre la demeure qu’il nous a préparée en lui.

L’amour, la foi et l’espérance pour tout bagage dans le trouble jeté par la mort, la trahison et l’angoisse. C’est ce que propose Jésus. Cela semble peu ? C’est vrai, la peur en nous souhaiterait d’autres assurances. L’enfant du Père en nous sait que cela suffira, comme cela a suffit pour les disciples. Pour arriver là où il nous attend, nous espère, Dieu sait le chemin. Il l’a déjà arpenté pour nous. Et si nous nous égarons, il partira à notre recherche, il aimera, il aura confiance et il espérera pour nous, en nous. Il nous amènera à la maison.

Amen.

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