« Mon Seigneur et mon Dieu »
Prédication
Christ est ressuscité ! Oui, il est vraiment ressuscité. Nous aimons le répéter à Pâques, et chaque dimanche est l’occasion de le rappeler. C’est que, comme le dit Paul à sa manière radicale, si Christ n’est pas ressuscité, notre foi est vaine.
Pourtant, il est des circonstances dans lesquelles nous oublions que Christ est ressuscité et que notre foi n’est pas vaine : quand la peur nous envahit et étend son empire sur nous. Les déclencheurs de la peur sont multiples, et certains sont des manières de masquer nos peurs plus profondes : une maladie, une personne trop différente de nous, une guerre, le changement climatique, l’extinction massive des espèces, la perte d’un travail, une décision juridique à venir, ou bien simplement la vue d’une araignée, monter dans un avion et autres phobies handicapantes. Chacun.e a sa manière d’y faire face : certaines personnes font des crises d’angoisses, d’autres font l’autruche, d’autres encore prennent des décisions qui précipitent les catastrophes, d’autres restent tétanisées, incapable de faire un mouvement ni de prendre une décision, quelques unes prient, prennent conseil, mais elles ne sont pas les plus nombreuses.
Car les menaces, réelles ou fantasmées, ont ceci de particulier qu’elles nous coupent en premier lieu de nos ressources, elles nous font croire que nous sommes seul.es pour les affronter. La peur fonctionne un peu comme des œillères : concentré.es sur la menace, nous ne voyons plus celles et ceux qui nous soutiennent, qui nous tendent la main, qui peuvent d’une manière ou d’une autre nous aider. Et nous ne voyons plus non plus la présence de Dieu. Pire, nous ne voyons que son absence.
Comme le font les disciples ce soir-là. Ils savent pourtant que le tombeau est vide, Pierre et Jean l’ont constaté, et ils ont reçu de Marie de Magdala la Bonne Nouvelle : « J’ai vu le Seigneur ! ». Mais cela n’a l’air d’avoir aucun effet : tout ce à quoi ils peuvent penser, ce sont les menaces de représailles à leur encontre. Alors ils sont là, rassemblés dans une pièce fermée, bien verrouillée. Terrorisés et désespérés. L’un d’eux, Thomas, n’est même pas venu. Là où ils en sont, la résurrection du Christ n’a pas pris sens pour eux, comme elle perd son sens pour nous quand la peur nous saisit. La manière dont elle prend sens pour eux au fil du récit peut nous aider à retrouver son sens au milieu de nos peurs.
Tout commence par la venue de Jésus : « Jésus vint et se tint au milieu d’eux. Ni une porte fermée, ni un verrou, ni la peur ni le désespoir n’arrêtent Jésus : il est là, tout simplement, au milieu d’eux. Pour le dire avec les mots de l’apôtre Paul : rien ne nous séparere de l’amour de Dieu manifesté en Christ. Il est là, au milieu de leur petit groupe rassemblé, alors même qu’ils ne l’attendent pas, qu’ils n’y croient pas.
Il les salue : « Eirene umin ». Littéralement « La paix sur vous. ». L’absence de verbe exprimé en fait une salutation qui échappe au temps : elle qui souhaite, promet et constate en même temps. Et dans la bouche de Jésus, c’est aussi une parole qui fait ce qu’elle dit, qui amène la paix, et qui suscite un espace de paix dans lequel la joie des retrouvailles peut s’exprimer.
Jésus poursuit en montrant ses plaies, ce qui a au moins trois significations : d’abord marquer le fait que c’est bien lui, celui qui a été mis en croix, qui est là au milieu d’eux ; ensuite montrer que la résurrection n’efface pas mais traverse la souffrance et la mort ; et enfin souligner que la souffrance et la mort ne sont choses honteuses qu’on devrait cacher. Nous avons tendance à cacher nos cicatrices, qu’elles soient physiques, psychologiques ou spirituelles, parce qu’elles dévoilent un moment de vulnérabilité ou un échec qu’on n’a envie de ramener ni à notre mémoire ni à celle des autres. Jésus montrant ses blessures balaie ces réserves, affirme que les blessures font partie du chemin, sans en être le tout.
Il reprend ensuite la salutation « La paix soit sur vous », il y a souvent besoin de répéter les paroles guérissantes, tout comme il y a souvent besoin de prendre un traitement médical pendant plusieurs jours pour soigner réellement. Mais ce n’est pas une simple répétition puisque Jésus ajoute une autre parole, une parole d’envoi : « comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ». Il faut bien voir que c’est aux disciples enfermés, repliés sur eux-mêmes, que Jésus dit cette parole. Elle sonne alors moins comme un ordre que comme une promesse : vous ne serez pas toujours enfermés dans vos peurs et vos regrets, vous sortirez d’ici pour annoncer une Bonne nouvelle. C’est une manière de représenter à leur esprit que la peur n’est pas le bout du chemin.
Le ressuscité souffle ensuite l’Esprit sur les disciples rassemblés. On appelle parfois ce texte la petite Pentecôte. J’ai quant à moi assez envie de l’appeler Nouvelle Création. Jésus souffle l’Esprit sur le chaos intérieur des disciples et dit une parole, pour que ce ce chaos jaillisse la capacité d’aller dans le monde, comme l’Esprit de Dieu plane sur le chaos de la genèse et comme la Parole fait jaillir la lumière et la vie. En recevant l’Esprit et la Parole, les disciples sont créés à nouveau comme êtres humains à l’image de Dieu, appelés à croître et à multiplier ce qu’ils ont reçu.
Après cette visite, les disciples devraient être prêts à vivre en hommes qui ont reçu une Bonne Nouvelle et la force de l’annoncer, en hommes que la peur ne paralysent plus, n’est-ce pas ? Et bien non. Il est des peurs si profondes, des blessures si infectées, qu’il y faut plusieurs passages pour retrouver le chemin de la vie. Les disciples ont bien commencé à bouger, puisqu’ils rapportent à Thomas, l’absent, « Nous avons vu le Seigneur », comme Marie de Magdala leur avait rapporté sa rencontre. Ils vivent un petit bout de cet envoi auquel Jésus les a promis. Mais pas plus.
Thomas a souvent mauvaise presse, parce qu’il semble se faire le champion du doute et que le doute est perçu comme le contraire de la foi. Mais le contraire de la foi, c’est la peur, pas le doute. Et Thomas plus que le doute, vit l’impuissance à croire, à faire confiance. En recevant le témoignage de ses amis, il ne peut que constater que cela ne lui suffit malheureusement pas. Il y a chez Thomas l’élan, l’envie, la graine de la foi, et l’aveu qu’il n’y arrive pas. Souffrance terrible ! Et impression que s’il avait vécu la même chose que les autres, tout lui serait plus facile… Que celui ou celle qui n’a jamais pensé « Bien sûr que moi aussi si j’avais vécu une expérience mystique / bénéficié d’un miracle / reçu une vie pleine de bénédictions et de facilités (cochez la case que vous préférez), j’aurais la foi chevillée au cœur » lui jette la première pierre ! Mais en fait Thomas se fait des idées sur la foi qu’il suppose aux disciples, comme nous nous faisons probablement des idées sur la foi que nous supposons à nos idoles...
Et en fait, leur rencontre avec le ressuscité n’a pas suffit aux autres non plus : huit jours plus tard, ils en sont plus ou moins au même point, la présence de Thomas mise à part, et peut-être un espoir plus affirmé de voir le ressuscité se manifester à nouveau. Les portes sont toujours fermées… Dans une répétition quasi à l’identique de la scène de la semaine précédente, Jésus vient, pas plus arrêté par les portes et les peurs que la fois précédente. Cette fois le verbe est au présent, pas au passé, comme pour marquer justement que la venue du ressuscité n’est pas un événement ponctuel du passé mais bien une action continue. Et même plus que cela : être en train de venir est l’être même de Jésus.
Il se tient au milieu d’eux, et il dit cette même parole, qu’il a déjà dite deux fois : « La paix avec vous ». La paix n’est pas non plus quelque chose qui se produit une seule, c’est un processus qui s’installe dans la durée.
Ensuite, Jésus s’adresse directement à Thomas, honorant son appel au secours. Il attire son attention qu’il croit déjà : il lui dit littéralement « ne devient pas non-croyant, mais croyant ». Thomas, comme nous tous.tes, porte en lui tant la foi que la peur. Accueilli ainsi inconditionnellement, Thomas découvre qu’il n’a pas besoin de toucher ni d’explorer les plaies du ressuscité. Que l’accueil et la parole reçues lui suffisent pour laisser se déployer sa foi et la dire : « Mon seigneur, et mon Dieu ». C’est la confession de foi la plus « élevée » qu’on trouve dans l’ensemble des Evangiles. Je ne veux pas dire ici qu’elle est la plus juste – chaque confession de foi est juste en ceci qu’elle est sincère –, simplement qu’elle reconnaît pleinement et complètement la divinité du Christ. Ce Thomas qui clamait son impuissance à croire est à présent empli d’une foi qui fait notre admiration… En proclamant le ressuscité son Seigneur et son Dieu, il dit aussi que la peur n’est pas – ou plus – son Seigneur, ni son sentiment d’impuissance et d’insuffisance. La confession de foi de Thomas nous invite à répondre à la question : qui règne dans ma vie ? Ou qu’est-ce qui règne dans ma vie et guide mes décisions ? La peur ? L’envie ? La colère ? La recherche du plaisir ? La joie ? La confiance ? L’espérance ? En qui, en quoi ? Qui est mon Seigneur et mon Dieu ?
Quoi qu’il en soit pour nous, le retournement de Thomas semble avoir entraîné celui des autres, qui réalisent ensuite pleinement la promesse que Jésus leur avait faite : ils sont envoyés et vivent et annoncent la résurrection du Christ, qui les a eux-mêmes ressuscités. L’auteur de l’Evangile le fait à sa manière : en écrivant. Pour que ces récits soient des occasions de résurrection pour d’autres.
Et c’est là que nous pouvons revenir à la question de notre manière de vivre nos peurs : nous vivons des situations dans lesquelles nous sommes aussi tétanisé.es et désorienté.es que pouvaient l’être les disciples. Cela nous coupe parfois des autres, de nous-mêmes et de Dieu. Que faire ? Peut-être d’abord reconnaître qu’on a peur, se mettre un tant soit peu dans des conditions de sécurité, comme le font les disciples qui s’enferment. Oser clamer sa peur, son manque de confiance, son impuissance, comme Thomas le fait. Et laisser Dieu guérir à sa manière cette peur paralysante, pour en faire une compagne acceptable sur le chemin. Cette manière prend du temps, et elle ne sera pas la même pour vous que pour moi, comme elle n’a pas été la même pour Thomas et pour les autres disciples ou pour Marie. Dans ce travail de guérison, nous pouvons trouver des points d’appui : ouvrir une page de la Bible qui rappelle la confiance possible, chanter un cantique aimé, se rappeler les moments où la confiance était évidente, demander de l’aide à un.e ami.e. Se rappeler oui, que d’autres avant nous ont écrit, transmis, médité, prié, chanté ces textes pour témoigner qu’en Christ, avec lui, il est possible de retrouver le chemin de la confiance et de la foi au milieu de nos peurs, le chemin des l’espérance au milieu de nos désespoirs, le chemin de l’amour au milieu de nos hontes. Le récit d’aujourd’hui nous indique que cela peut prendre du temps, que Dieu doit parfois s’y reprendre à plusieurs fois, et qu’il en a la patience et l’amour. Il revient, autant de fois que nécessaire, il apporte la paix, autant de fois que nécessaire pour que nous puissions la vivre.
Alors la prochaine fois que la peur menace de prendre tout pouvoir dans votre vie, la prochaine fois que vos décisions sont placées sous le signe de l’angoisse, souvenez-vous : Christ est ressuscité, ni la mort ni la peur n’ont plus le dernier mot sur notre vie. Avec lui vous pouvez choisir d’avancer non pas sans la peur, mais malgré la peur, en la déposant devant Dieu et en sachant qu’elle n’est pas la puissance qui dirige votre vie, qu’un autre est votre Seigneur. Un autre qui souffle sur vous son esprit, vous apporte la paix et vous envoie dans le monde.
Amen