Prédication
Dans le silence d’un temple que Dieu semble avoir déserté, une voix résonne. Dans l’obscurité de la nuit, une lumière brille : la lampe du sanctuaire brillait encore nous précise le récit. Mais qui reconnaît cette voix ? Qui reconnaît cette lumière ? Personne… En tout cas pas Samuel. Et pas non plus Elie, au moins au début. Ce n’est pas grave, l’Eternell est patient… il appelle encore. Autant de fois que nécessaire pour que Samuel lui réponde.
Combien de fois nous décourageons-nous quand nous ne nous sentons pas entendu, quand on essaie de dire quelque chose d’important à l’autre et qu’il détourne la conversation ou le regard, quand nos mots semblent tomber dans le vide abyssal de l’indifférence ? Dieu, lui, ne se décourage pas. Il appelle, inlassablement : Samuel ! Jusqu’à obtenir une réponse. Il parle à Elie, de plusieurs manières différentes, y compris en passant par d’autres voix que la sienne, jusqu’à être entendu.
L’Eternell appelle Samuel donc.
Mais Samuel ne connaît pas l’Eternell, tout au plus connaît-il l’image dévoyée d’un dieu qui laisse les fils d’Elie extorquer de l’argent à ceux qui viennent sacrifier au sanctuaire. Un dieu qui exige pour l’exaucement de la prière d’une femme le don d’un enfant à son service. Un dieu avec lequel il faut marchander sans cesse. Il ne se connaît pas non plus lui-même, vivant selon le vœu de sa mère, dans la soumission à Elie, sans savoir que devant Dieu comme devant les humains il peut se tenir debout et dire « je ». Comment donc pourrait-il reconnaître cette voix et lui répondre de manière adéquate ? Samuel ne peut que se lever et se rendre auprès du seul maître qu’il connaît, Elie, pour répondre à sa volonté.
Ce n’est qu’à la troisième fois qu’Elie comprend d’où vient la voix qui réveille Samuel. Samuel lui ne peut pas comprendre, il n’a pas les outils. Il lui faut l’aide du vieil Elie, qui semblait pourtant avoir tout oublié de Dieu. Peut-être d’ailleurs l’appel de l’Eternell s’adresse-t-il aussi, indirectement, à Elie : il lui a parlé déjà, il lui a envoyé un prophète, et maintenant il va lui envoyer Samuel. Samuel a besoin d’Elie pour comprendre qui est cette voix qui l’appelle par son nom. Elie a besoin de Samuel pour prêter à nouveau attention à ce Dieu qui appelle Samuel.
Elie n’entend pas la voix qui s’adresse à Samuel : l’appel de Dieu est personnel, non public. On ne peut pas écouter à la porte de ce qui se passe entre Dieu et une autre personne. Elie n’entend pas, mais il constate que Samuel est réveillé, mis debout, par un appel qui ne vient pas de lui. A quoi comprend-il que c’est l’Eternell qui appelle ? Peut-être précisément à l’insistance de l’appel ? Si Samuel rêvait, le triple réveil l’aurait sorti de son rêve. Si la voix était celle d’un mauvais plaisant, il aurait fini par pouffer de rire ou se dévoiler. Seul Dieu peut insister ainsi, tranquillement, calmement.
A travers cet appel insistant, Elie comprend : Dieu est là. Tout près. Elie comprend et, dans un sursaut de responsabilité, il fait comprendre à Samuel. Mais il tente de garder la main sur ce qui arrive en donnant à Samuel les mots exacts par lesquels répondre à l’appel qu’il entend, s’il devait se renouveler. Et il se renouvelle.
Les deuxièmes et troisièmes appels étaient présentés comme des « recommencements » : ils étaient introduits par le verbe « waioseph », et il recommença. Le quatrième appel est une répétition : il est introduit par la locution « comme les autres fois ». La répétition qui se retrouve aussi dans l’appel : « Samuel, Samuel ! » Comment comprendre cette répétition présentée comme la reproduction des appels précédents alors même que les appels précédents disaient une seule fois Samuel ? Les fois précédentes aussi l’Eternell a sans doute appelé deux fois, mais Samuel n’a entendu qu’une fois. Les fois précédentes aussi l’Eternell était venu et s’était tenu là, mais Samuel ne le savait pas.
Cette fois, éclairé par les mots d’Elie, Samuel peut le double appel et percevoir la présence légère comme un souffle de l’Eternell. Un double appel pour se lever physiquement et se lever intérieurement, ce qui n’était pas encore advenu. Samuel s’était levé physiquement, il avait grandi, était devenu beau et bon, mais ne vivait pas comme tel. Maintenant il peut se lever physiquement, se tenir solidement sur ses deux pieds, la tête haute, et se lever intérieurement, avec une parole propre, la sienne : « Parle, ton serviteur écoute ». La parole de Samuel est inspirée des mots donnés par Elie, dont il a ôté le nom propre de Dieu. Par cette parole, Samuel se lève, pleinement lui, et se met à l’écoute de celui qui lui parle, tout prêt cette fois à en faire connaissance personnellement. Il apprendra à connaître l’Eternell que lui désigné Elie, mais prononcer maintenant ce nom, ce serait bien trop présomptueux. Ce serait prétendre le connaître, alors que précisément il ne le connaît pas encore. Ce serait prétendre lui l’enfermer dans une étiquette, fut-elle juste, alors que précisément son nom propre dit qu’il échappe à toute étiquette ! Là où Elie lui proposait de se placer sur un pied d’égalité avec Dieu, connaissant comme Dieu connaît, Samuel choisit une posture plus adéquate.
Il se met à l’écoute d’un Tout-Autre à découvrir, prêt à une rencontre véritable. Car si Dieu connaît Samuel, Samuel, lui, ne connaît pas Dieu et pourra jamais prétendre le connaître comme Dieu le connaît. C’est que la connaissance humaine tend à figer ce qu’elle connaît, là où la connaissance de Dieu libère de tous les enfermements et apprend à libérer.
Les disciples de Jean qui deviennent des disciples de Jésus en font l’expérience : Jean leur désigne Jésus non pas comme Jésus de Nazareth, son cousin, fils de Joseph et de Marie. Cela, ce serait la connaissance humaine. Il leur dit : « voici l’agneau de Dieu » : Jean le Baptiste s’est suffisamment mis à l’écoute de l’Eternell pour connaître un peu à sa manière, une manière qui voit au-delà des apparences et des étiquettes. Le regard de Dieu voit l’avenir qui vient, les possibles qui cherchent à germer et à croître. Jean regarde Jésus ainsi à ce moment-là, comme Elie avait perçu l’Eternell dans la voix qu’il n’entendait pas parler à Samuel. Fulgurance parfois de notre regard et de notre écoute.
Les disciples de Jean sont ouverts et rendus disponibles à la rencontre par les mots de Jean, comme Samuel avait été ouvert et rendu disponible par les mots d’Elie. Duand ils rencontrent Jésus, ils ne répètent pas les mots de Jean, ils osent les leurs : « Maître, où demeures-tu ? où te tiens-tu ? » L’Eternell vint et se tint là. Jésus passe et se tient là. Ce ‘là’ est le même dans les deux cas : aux côtés de la personne qui interroge. C’est là la place de Dieu : à nos côtés, toujours, que nous en ayons conscience, ou que nous l’ignorions.
Et quand la rencontre a eu lieu, les disciples en parlent autour d’eux, comme Samuel et Jean l’avaient fait avant eux. André en parle à son frère, Simon : « nous avons trouvé le Messie » lui dit-il. Parole personnelle, différente de celle qu’avait posée Jean, fruit d’une rencontre personnelle avec celui qu’il avait d’abord appelé Maître. La rencontre personnelle permet de connaître, sans enfermer. Jésus n’a pas plus l’air d’un messie qu’il n’a l’air d’un agneau de Dieu. La rencontre de Jean et celle d’André et de l’autre disciple leur donne de connaître un peu comme Dieu connaît.
Et la manière dont Dieu connaît, Jésus en donne un aperçu lorsque Simon est amené devant lui. Simon à ce moment est aussi passif que Samuel au début du récit que nous avons entendu. Il se laisse entraîner par son frère mais semble n’avoir aucune volonté, aucune parole. Jésus le regarde et le voit tel qu’il est vraiment et il nomme ce qu’il voit : « Tu es Simon, fils de Jean, on t’appellera Pierre. » Le présent : tu es Simon. L’origine qui a façonné ce présent : fils de Jean. Et l’à-venir possible qui remodèle ce même présent et ouvre de nouveaux chemins : on t’appellera Pierre. Le regard de Jésus ne fige pas, il remet en mouvement. Il nomme d’un nom qui ne se fait pas étiquette mais souffle de vie. Un nom qui ressemble au nom propre de Dieu que Samuel n’ose prononcer : YHWH. Un nom qui reprend la racine du verbe être en mélangeant l’accompli et l’inaccompli dans sa forme. Simon, fils de Jean, qu’on appellera Pierre : accompli et inaccompli ensemble, pour relever une personne. Relever physiquement peut-être, relever intérieurement surtout. Comme avec le double appel de Samuel.
Un appel, un cri, une nomination qui rendent capable de se tenir debout, prêt à écouter et à vivre, au lieu d’une posture de soumission – pour Samuel – ou de résignation et de passivité – pour Pierre.
Que l’appel de Dieu résonne ainsi pour nous, et fasse de nous des adultes en devenir devant lui !
Amen