Devenir prophètes et prophétesses : entre peurs et responsabilité
Prédication
Dieu recrute à tour de bras : il cherche des prophètes et des prophétesses pour porter sa parole de vie dans le monde. Mais attention, la fiche de poste n’est à première vue pas très attractive : c’est un poste à lourde responsabilité – porte-parole de Dieu quand même ; toute erreur de transmission sera punie de mort ; et les destinataires de la parole risquent de ne pas toujours bien accueillir le message, d’où un risque important de moqueries, de mobbing, de harcèlement, voire de violences physiques. Et pour tout ça, il n’y a même pas de compensation financière… Alors, vous postulez ?
Evidemment présenté comme ça, il y a peu de chances ! Pourtant nous sommes tous et toutes appelées à devenir prophètes et prophétesses et la promesse que nous avons reçue en Christ, c’est que c’est une bonne nouvelle :-)
Reprenons : d’abord, c’est quoi un prophète ? Pour moi qui ai lu Tintin avant de lire la Bible, le prophète c’est Philippus, ce type un peu fou qui, dans l’Etoile mystérieuse, annonce en frappant un gong « C’est le châtiment ! Je vous annonce que des jours de terreur vont venir ! La fin du monde est proche. » Et après avoir lu certains passages bibliques… et bien on pourrait se dire que le personnage d’Hergé n’a pas grand-chose à envier à certains prophètes bibliques, tant certains passages de Jérémie, d’Ezéchiel et des autres ressemblent à celui de Philippus ! Pourtant, quand on regarde mieux, une différence saute aux yeux : ce qui manque au Philipulus d’Hergé, c’est la promesse de vie qui irrigue les prophéties. Car le prophète biblique, s’il dénonce les déviances, y compris parfois en annonçant un châtiment, n’annonce jamais ce châtiment comme la fin du monde : ce que le Dieu biblique vise, ce n’est jamais la destruction de la vie, c’est la destruction de ce qui empêche la vie ! Et c’est cela qu’annonce donc un prophète biblique.
Car contrairement au sens que le mot a pris en langage courant, le prophète n’a pas pour fonction d’annoncer l’avenir. Cela, personne ne le peut, pas même Dieu. Le prophète biblique a pour fonction de porter dans ce monde la Parole de vie du Dieu vivant : une Parole qui dit des futurs possibles et qui garde un avenir ouvert. Les humains ont toujours voulu prédire le mieux possible l’avenir, pour se rassurer souvent, pour s’assurer un pouvoir sur les autres parfois. Un peu partout, on a vite fait de la réalisation d’une prédiction faite par un devin, un liseur d’entrailles ou un prophète un signe du fait qu’il était véritablement inspiré par le ou les dieux du lieu. L’épisode Le Devin d’Astérix tourne précisément autour de ça : quand il est chez les gaulois, le devin a intérêt à passer pour un vrai devin, et donc à ce que ses prédictions se réalisent, fusse à coup de suggestions et de manipulations, afin de gagner en notoriété et en prospérité, alors que chez les romains, qui viennent de décider d’éliminer les diseurs d’avenir de tout poil, il a intérêt à ce que ses prédictions ne se réalisent pas pour sauver sa peau. Le ressort comique de la bd repose sur le fait que rien ne se passe comme prévu.
Dans les textes bibliques pourtant, le prophète n’est pas celui qui annonce les malheurs à venir, et il n’est pas non plus celui dont toutes les prédictions se réalisent, il est celui qui permet à la Parole de Dieu d’accomplir son œuvre de vie. Jonas en est l’exemple parfait : Dieu l’envoie annoncer aux habitants de Ninive sa destruction prochaine du fait de la somme d’injustice qui prospère en son sein. Mais à peine Jonas a-t-il commencé à parler que les habitant.es changent. Et c’est bel et bien cela le rôle du prophète : dire une parole qui soit véritablement Parole, c’est à dire une Parole qui transforme, qui fait bouger, qui ouvre un à-venir inattendu. Au contraire des prédictions des devins et autres auspices qui, elles, tendent à figer le monde, les relations et les êtres dans une fatalité déjà écrite. La Bible nous témoigne d’un Dieu qui ne connaît pas le futur car il ne sait pas ce que nous allons faire. Nous ne sommes pas des marionnettes entre ses mains. Il n’est pas à la fois le scénariste et le metteur en scène d’une pièce dont la fin est déjà écrite, même si les acteurs principaux – nous – l’ignorent. Le Dieu biblique ne cesse de changer ses plans en fonction des réactions des humains.
Quand les habitants de Ninive changent, les raisons de la destruction annoncée disparaissent. Et la prédiction de Jonas ne se réalise donc pas, ce qui le met en rage car il se sent ridicule. Comme le devin d’Astérix quand il est chez les gaulois, il aurait préféré que sa prédiction se réalise pour au moins en tirer la gloire relative d’avoir eu raison et espérer un peu de respect pour cela. Là, il se sent ridiculisé par Celui qui l’a envoyé annoncer quelque chose qui se révèle finalement faux. Il n’est pourtant pas dit que les habitants de Ninive se moquent de lui… au contraire, ils prennent tellement au sérieux ce qu’il dit qu’ils changent. Ce qui est précisément l’espérance de Dieu pour les ninivites comme pour nous. Comme il le dit par la bouche d’un autre prophète, Ezéchiel, « ce n’est pas la mort du pécheur que je veux, mais qu’il change, et qu’il vive. ». Et c’est peut-être pour ça que Jonas est envoyé à Ninive avec une parole dure, annonçant la destruction de la ville : pour essayer – une ixième fois – de faire changer les ninivites, pour qu’ils et elles cessent de pratiquer l’injustice. La parole dont Jonas est porteur pourrait se dire ainsi : « vu la manière dont vous vivez, vous allez droit dans le mur, et c’est la mort qui vous attend à brève échéance. Il est pourtant possible de changer de trajectoire et de choisir la vie, alors choisissez la vie. » Et les ninivites finissent par choisir la vie, ce que Dieu a toujours espéré pour eux comme pour chacun d’entre nous.
Reste qu’effectivement la place de Jonas n’est pas facile… et ce n’est pas Jonas qui vous dira le contraire, lui qui, à l’appel de Dieu, par en courant le plus loin possible de Ninive ! D’une certaine manière ça décomplexe : si Dieu peut appeler même un Jonas, et faire passer son projet de vie à travers tous ses refus et ses mécompréhensions de ce que devrait être un prophète, nous ne sommes peut-être pas si disqualifié.es d’avance que ça non ? Déjà nous sommes venu.es ce matin, nous ne sommes pas parties en courant en entendant les cloches de St-Pierre sonner !
Devenir prophète, prophétesse, c’est vrai que ça peut sembler écrasant au départ et que le passage du Deutéronome que nous avons entendu est bien solennel. C’est que c’est effectivement une vraie responsabilité à ne pas prendre à la légère que de porter autour de nous une parole qui appelle à la vie et cela demande un certain courage pour aller arpenter nos Ninive intérieures ou relationnelles. Et il y a des risques aussi, le risque de se laisser tenter et griser par le pouvoir que cela semble donner, comme le devin d’Astérix qui, semblant posséder une science qui échappe aux autres, exerce un abus de pouvoir sur celles et ceux qui viennent le consulter. Quand le Dt menace le prophète qui dirait au nom de Dieu une parole qui ne vient pas de Dieu de mort, c’est de cela qu’il est question. Evidemment ce n’est pas qu’on va être foudroyé sur place, mais c’est qu’on va se mettre à la place de Dieu et que c’est un chemin de mort… Alors oui, il faut faire attention à ce qu’on dit et à ce qu’on fait. Toujours chercher la manière de dire la vie, avec tendresse et délicatesse. Cela n’exclut pas la fermeté, comme Jonas à Ninive, ou comme un médecin peut avoir à dire à un fumeur invétéré qu’il met sa santé en danger.
Le signe qu’une parole rejoint la parole de Dieu nous dit le Dt, c’est qu’elle devient davar, une parole qui dit ce qu’elle fait et qui fait ce qu’elle dit. Autrement dit une Parole qui suscite la transformation et la vie. Une Parole qui advient plus qu’elle ne se réalise. Ainsi l’annonce de la destruction de Ninive ne se réalise pas factuellement. Et pourtant, d’une certaine façon, la Ninive vivant d’injustice a bel et bien été détruite, brisée par la Parole annonçant la destruction physique de Ninive. Et c’est bel et bien cela qui était visé par l’Eternell : briser ce qui empêchait un retour sur le chemin porteur de vie.
La responsabilité de porter la Parole de Dieu pourrait nous écraser : après tout qui suis-je, qui êtes-vous, pour prétendre la porter ?
Nous sommes des êtres humains, porteurs de son image. Alors c’est vrai, nous ne sommes pas Dieu lui-même et nous pouvons nous tromper. Nous nous sommes même déjà trompés et nous nous tromperons encore. Mais comme Jonas a été récupéré dans le ventre de la baleine, nous sommes récupérés dans tous les chemins de mort que nous sommes tentés d’emprunter pour échapper à cette responsabilité.
Et puis nous ne sommes pas seul.es : Dieu recrute à tour de bras, et nous sommes prophètes les un.es pour les autres, porteurs d’une parole qui ne nous appartient pas et qui passe par là où on ne s’y attend pas. Porter une parole de Dieu ce n’est pas porter une parole moralisatrice, qui prétend dire à l’autre comment il ou elle doit agir. C’est porter une parole qui ouvre des chemins de vie à travers les marasmes que l’autre traverse parfois. Je cite souvent l’exemple de cette personne rencontrée au mariage d’une amie, alors que j’étais complètement égarée dans un brouillard spirituel dense, et qui m’a parlé de son église. Sans m’expliquer que c’était la seule et la meilleure possible. Sans me dire que je devais y entrer moi. Juste en me partageant son chemin à elle. C’était la première protestante que je rencontrais. En rentrant chez moi j’ai poussé la porte de l’église protestante la plus proche, d’une autre branche que la sienne. Cette personne, à ce moment-là, a été pour moi porteuse d’une parole de Dieu, sans probablement en avoir complètement conscience. Vous avez certainement eu, dans votre vie, des paroles qui vous arrivées ainsi, à point nommé, comme faites exprès pour vous, que la personne les ayant prononcé l’ait su ou pas. Et vous avez été, vous aussi prophète ou prophétesse pour d’autres.
Nous pouvons aller dans nos vies avec cette confiance qu’en nous ouvrant à l’amour offert en Christ, nous pouvons laisser passer – parfois – une parole qui change une vie. Pas forcément de manière spectaculaire, et ce sera même rarement le cas, au moins à court terme, mais une parole qui fait la différence parce qu’elle pousse une personne qui va très mal à demander de l’aide, parce qu’elle console qui a besoin de l’être, parce qu’elle ouvre une toute nouvelle fenêtre sur un pan de réalité jusque là complètement ignoré, parce qu’elle est un îlot de stabilité dans un océan houleux. Et nous pouvons oser d’autant plus librement que nous faisons confiance à Dieu pour trouver, au-delà de manquements, de nos erreurs et de nos faiblesses, des chemins pour faire passer sa Parole jusqu’à chacun et à chacun.
Amen