Prédication
Imaginez un manager qui envoie son équipe conquérir de nouveaux marchés. Il leur donne un territoire précis, des objectifs – rencontrer tant de clients potentiels chaque jour – des éléments de langage et des échantillons à placer, une présentation powerpoint toute prête soigneusement revue par l’équipe marketing. Quant à l’équipe qui doit partir, elle se prépare soigneusement, étudie les docs, répète quelques phrases clés, la manière de se présenter et de présenter l’entreprise, prépare les tenues adéquates, avec éléments de rechange dans la voiture en cas de tâche au restaurant, prépare de quoi s’occuper pour les longues soirées à l’hôtel…
Rien de tout ça dans l’envoi des disciples ! C’est que Jésus n’est pas un manager, les disciples ne sont pas des VRP et l’Evangile n’est pas un produit à vendre grâce à quelques arguments bien placés et une ristourne commerciale sur le prix. Jésus envoie ses disciples sans rien ou presque, sans feuille de route ou presque.
Regardons d’abord ce que les disciples prennent avec eux. Rien ou presque. Si vous avez eu à préparer les bagages de jeunes enfants qui partaient en camp, vous avez probablement reçu la liste des affaires à prendre. Elle est plus ou moins longue selon les camps, mais jamais aussi courte que celle que Jésus donne à ses disciples. 4 choses à prendre seulement : un bâton à la main, des sandales aux pieds, une tunique sur le dos et une ceinture à la taille. Cette liste vient comme en écho à l’équipement que les israélites devaient prendre pour quitter l’Egypte au moment de l’Exode : une manière de dire qu’être envoyé.es par Jésus, c’est une nouvelle Pâques. 4 objets donc, à emporter sur les chemins. Pas grand-chose, mais cela suffit pour marcher sur les chemins de la libération ouverts par Dieu :
- Un bâton pour s’appuyer dans les passages difficiles, pour tester le terrain, et pour se défendre aussi, si besoin ;
- Des sandales pour pouvoir marcher loin sans se blesser les pieds ;
- Une tunique pour protéger sa peau du froid, du vent, du soleil et des égratignures ;
- Une ceinture pour pouvoir s’accrocher si nécessaire, relever la tunique si besoin, pour traverser un cours d’eau sans devoir poursuivre le chemin en étant trempé par exemple.
Jésus donne aussi la liste des choses à ne pas prendre. 4 objets là aussi : un sac, du pain, de l’argent et une tunique de rechange. Sans sac, pas possible de faire des provisions. Sans nourriture ni argent, les disciples vont devoir demander de l’aide. Sans vêtement de rechange, ils ne vont pas pouvoir compter sur leur belle apparence pour obtenir cette aide : leur tunique portera comme leur visage les marques du voyage, poussière, accrocs, et tâches. Ils n’auront rien de reluisant à présenter. En somme, Jésus les met en position de vulnérabilité visible, ouverte et assumée, en position de dépendance radicale à autrui. Il leur demande de renoncer à l’illusion de puissance et de contrôle que procure la dépendance au matériel pour accepter pleinement la dépendance aux autres.
Regardons maintenant ce que Jésus leur demande de dire et de faire. Là encore, rien, ou presque. Les disciples n’ont pas d’objectif précis ni de discours tout prêt à asséner mais, par les conditions de leur voyage, ils sont forcés à la rencontre. Pour manger, pour se mettre à l’abri, pour se laver, ils devront demander de l’aide, aborder les gens dans une situation de fragilité et de dépendance. Pour obtenir cette aide, impossible d’avoir une attitude arrogante ou dominante, impossible d’asséner sa vérité, il faut entrer dans le monde de l’autre. En fait, Jésus demande en quelque sorte à ses disciples d’entrer chez les gens, de s’asseoir à leur table, en assumant leur vulnérabilité, et d’écouter d’abord, bien avant d’essayer de parler. Il leur demande d’oser la vulnérabilité et la gratuité de la rencontre : les disicples n’ont rien à apporter, ils ont besoin de tout : gîte, couvert, buanderie, sans aucune contrepartie puisqu’ils n’ont pas d’argent à offrir et rien dans leurs poches pour troquer.
En leur donnant autorité sur les esprits impurs, il leur donne aussi la promesse qu’ils peuvent apporter quelque chose de beau et de bon dans la vie des personnes qu’ils vont rencontrer. Dans notre vocabulaire et à notre époque, libérer des esprits impurs sonne assez étrangement. Nous pouvons l’entendre simplement comme une manière de dire que les disciples reçoivent l’assurance qu’ils sont capables d’ouvrir un chemin de libération pour les personnes qu’ils rencontreront. En leur donnant cette assurance, Jésus souffle un désir : celui de voir l’autre libre, debout, en marche. En d’autre mot, le désir d’aimer l’autre qui croise leur chemin.
Si Jésus envoie ainsi ses disciples tout neufs – on est encore au début de l’évangile – loin d’avoir tout compris et d’avoir réponse à tout, c’est qu’il n’y a pas besoin d’être parfait pour une rencontre, quelle qu’elle soit ! Tels qu’ils sont, les disciples sont suffisants. C’est vrai d’abord parce que Jésus les envoie comme Dieu avait envoyé Abrahma : munis de l’essentiel, à savoir la rencontre avec lui et l’appel qu’ils ont reçu. L’essentiel est une Parole qui met debout, en vie, en marche. Abraham et les disicples ont reçu un appel à la vie, une Parole qui les tourne et les retourne vers l’altérité, hors des habitudes qui se font vite certitudes et idoles. Sur ce chemin de l’altérité, chacun.e est invité à la confiance, à la foi.
Et si les disciples sont envoyés sans attendre, sans « éléments de langage » pour convaincre, sans ordre de mission ni cahier des charges bien précis, c’est aussi parce que l’essentiel c’est la rencontre véritable, possible seulement quand on se montre tel qu’on est, vulnérable et humain, tout simplement. Cela semble peu ? C’est pourtant beaucoup : dans cette attitude de rencontre dans l’humilité et la vulnérabilité, les disciples aident les gens à changer de regard sur leur vie – en langage biblique ils les appellent à la conversion. Ils aident à sortir des enfermements, des schémas relationnels mortifères – en langage biblique ils chassent les esprits impurs et ils guérissent.
En se présentant comme vulnérables et dépendants, les disciples sont envoyés rencontrer l’humanité de l’autre. Ils sont invités à rencontrer celui ou celle qui se fera leur prochain, comme dans la parabole de l’homme blessé secouru par un samaritain de passage. A le ou la rencontrer et à l’aimer. Comme Jésus a été envoyé parmi nous, sans arme, sans effet spécial, sans pouvoir de persuasion lui permettant de convertir tout le monde, à la rencontre de notre humanité. Cela comporte un risque : celui de rencontrer non pas le meilleur mais le pire de l’humanité. C’est vrai. Et c’est vrai aussi que ça fait peur, car le risque est réel : Jésus en est mort. Il a rencontré ce pire de l’humanité, il en est mort, et il a été relevé par le père. A ses disciples qui partent sur les routes, Jésus dit aussi qu’ils rencontreront peut-être le rejet, la violence. Et il recommande de simplement partir, calmement, sans rajouter du mal au mal, de la violence à la violence, sans menaces ni imprécation, simplement en coupant la relation et en laissant Dieu leur ouvrir un nouveau chemin par Dieu.
Car les disciples, pas plus qu’Abraham, ne sont seuls. Abraham a trouvé Dieu partout sur son chemin, et il a parsemé les routes d’autels comme témoignages de cette découverte incroyable : Dieu n’est pas un Dieu qui s’attache aux lieux, mais aux personnes. Il les accompagne sur leurs chemins. Les disicples, eux, vont par deux, avec un compagnon, ou peut-être une compagne, de route. Aller à deux, c’est déjà rencontrer, c’est déjà composer avec un ou une autre que soi, qui a peut-être d’autres idées sur le meilleur chemin, la meilleure heure de départ, quelqu’un qui dira autre chose, qui écoutera autrement que moi. C’est renoncer à l’orgueil d’être celui qui apporte la solution, c’est travailler sa propre jalousie aussi, apprendre à ses réjouir que l’autre fasse autrement, et même mieux que moi un certain nombre de choses. C’est aussi recevoir soutien et encouragement, pouvoir se reposer sur l’autre, apprendre à l’aider et à être aidé.e. Mais c’est peut-être surtout se souvenir que, comme l’a promis Jésus, « là où deux ou trois sont réunis en mon nom, il est au milieu d’eux », précisément dans l’espace de la rencontre.
Sur nos routes de l’été, où qu’elles nous conduisent, que nous nous y engagions seul.e, à deux ou en tribu, que nous voyagions presque aussi légèrement que les disciples ou chargés de bagages comme Abraham, souvenons-nous que nous sommes envoyé.es, comme les disciples, pour oser une rencontre en vulnérabilité et en vérité. Souvenons-nous que la foi n’est pas un savoir à apprendre ni à apporter, c’est une attitude à adopter. C’est une confiance à vivre, cet été et tous les autres jours de l’année. Allons vers les pays qu’Il nous montrera, béni.es et sources de bénédiction !
Amen