Où est la joie de Pâques ?

Saint-Pierre, Genève

Prédication

Ce matin, nous célébrons la joie de Pâques, née de la bonne nouvelle de Pâques.

Pourtant au tombeau, le matin de Pâques, les femmes ont peur et elles se taisent pendant un moment. Les jours suivants, les onze plus proches disciples de Jésus, mis au courant des rencontres de Marie de Magdala et de deux autres personnes avec le ressuscité refusent de les croire. Alors de quelle joie parle-t-on quand on parle de Pâques ? Elle ne semble pas dominante dans cette fin de l’Evangile de Marc.

Et peut-être n’est-elle pas non plus dominante aujourd’hui dans votre cœur. Même le jour de Pâques des gens meurent, et peut-être venez-vous d’apprendre la mort d’un être cher ou accompagnez-vous sa fin de vie. Même le jour de Pâques des gens souffrent, dans leur corps ou dans leur esprit, et peut-être est-ce votre cas, ou peut-être accompagnez-vous une personne aimée sur son chemin de maladie et de douleur. Même le jour de Pâques la guerre se poursuit, et peut-être connaissez-vous des personnes qui vivent dans des zones de conflit armés, ou êtes-vous simplement touché.es par ces guerres qui enflamment diverses parties de notre terre et font des dizaines de milliers de morts…

Alors, où est-elle cette joie de Pâques ? Où était-elle ce matin-là, il y a deux mille ans ? Et où est-elle aujourd’hui ?

La bonne nouvelle qui devrait susciter la jioe est celle qu’annonce le jeune homme vêtu de blanc que les femmes rencontrent dans le tombeau, là où elles s’attendaient à trouver le cadavre de Jésus. « Jésus est revenu à la vie, il n’est pas ici. Il vous précède en Galilée. C’est là que vous le verrez,comme il vous l’avait promis. » Mais cette bonne nouvelle suscite d’abord la peur, puis le silence, voire le déni. Comment l’expliquer ? D’abord par la surprise : les femmes ne s’attendaient pas à cela, et la surprise suscite d’abord la peur, plus ou moins grande et durable. Ensuite par l’incompréhension : ce que les femmes observent, à savoir un tombeau vide et un inconnu qui dit des choses incroyables, ne peut pas s’appréhender facilement. Pour un cerveau humain qui cherche sans cesse à rattacher ce qui lui arrive à ce qu’il a déjà vécu, il y a là un saut dans l’inconnu trop important qui le met hors circuit pour un moment. Et puis, passée la surprise et l’incompréhension, surgit une autre forme de peur face au tombeau vide, qui appartient plutôt au registre de ce que la Bible appelle la crainte de Dieu : une forme de respect devant une puissance de vie qui nous dépasse infiniment, devant l’inouï de la résurrection. C’est du même ordre que le vertige qui saisit un père qui tient son enfant nouveau-né dans les bras pour la première fois, ou celui qui nous saisit un soir d’été quand dans la contemplation d’un ciel étoilé on se sent soudain à la fois si petit, insignifiant et unique dans l’univers. Crainte respectueuse aussi peut-être devant l’altérité radicale, irréductible, de Jésus, au moment même où il semblait avoir rejoint définitivement le lot commun de l’humanité qu’est la mort. Peut-être encore aussi les femmes vivent-elles une forme de honte : ai-je été, suis-je à la hauteur de la puissance d’amour et de vie qui se manifeste là ? Les femmes ont, comme les autres, laissé Jésus seul au moment de son arrestation et de son procès. A la croix elles se sont tenues à l’écart. Au tombeau elles sont venues embaumer un mort alors qu’elles avaient entendu Jésus annoncer sa mort et sa résurrection. Si leur amour leur a donné le courage de se rendre au tombeau malgré les possibles représailles, leur confiance en lui n’est pas allée jusqu’à penser réellement une seule seconde que le tombeau serait vide. Et voilà qu’il l’est, vide ! Alors si Jésus est vivant que va-t-il se passer pour elles ? Oui, ce matin-là les femmes ont bien des raisons d’avoir peur.

Les disciples, eux, refusent de croire ce qu’on leur raconte, de faire confiance à ceux qui leur racontent l’incroyable. Peut-être ne veulent-ils pas être déçus et blessés une nouvelle fois ? Leur maître est mort, trahi par un des leurs, mis à mort par leur peuple, et aucune de leurs espérances ne s’est matérialisée. Dans ces circonstances, refuser de croire c’est peut-être simplement une question de survie : ils n’ont tout simplement pas la force pour encaisser une nouvelle déception, et il vaut mieux vaut rester avec leur espérance blessée, leurs souvenirs et leurs larmes.

Décidément, la bonne nouvelle annoncé au tombeau n’est pas d’abord prise comme une vraie bonne nouvelle pouvant éveiller la joie. Et comme les hommes et les femmes d’alors, nous avons de la peine à lever le nez de nos sombres certitudes sur nous-mêmes, sur les autres et sur la vie et à faire place à une autre parole, à une autre vie possible. C’est qu’il faut du temps bien souvent pour appréhender une bonne nouvelle, pour lui faire confiance, pour réaliser, et bien souvent cela passe par les mots : dire, à soi, à d’autres, ce qui se passe aide à en vivre.

C’est ainsi qu’après le temps de la peur et du silence, après le temps du refus et du déni, vient le temps de la parole. Marie de Magdala d’abord passe du silence à la parole. Puis deux disciples. Puis les onze, eux-mêmes.

Pour tous le chemin du silence à la parole est un appel, un ordre qui leur vient d’ailleurs, d’une parole initiale, celle qui a d’abord portée la bonne nouvelle de Pâques. La parole est ordonnée par le jeune homme du tombeau aux femmes comme remède à la peur. La parole est ordonnée par le ressuscité aux onze comme remède à leur dureté de cœur et leur incrédulité.

Parler pour surmonter la peur et le déni, et accéder à la joie contenue dans la nouvelle, pour vivre de cette bonne nouvelle : « il n’est pas ici, il vous précède en Galilée », pour en rayonner comme le jeune homme en rayonne dans le tombeau, comme le ressuscité en rayonne lorsqu’il vient à la rencontre des onze. Parler, dire l’à peine croyable, alors même qu’on a de la peine à faire confiance à cette nouvelle. Le ressuscité indique aux onze quoi faire : aller, sortir, rencontrer. Il indique quoi dire aussi : « celui qui croira sera sauvé, celui qui ne croira pas sera condamné ». Eux-mêmes, les onze chargés d’annoncer cela, n’ont pas cru… et ils sont donc sous le coup de cette condamnation. Condamnation à quoi ? À recevoir une parole de vie qui les bouscule et les relève, et à prêcher la bonne nouvelle. Ils sont en quelque sorte condamnés à des travaux spirituels d’intérêt général : condamnés à annoncer et proclamer cette bonne nouvelle à laquelle ils n’ont tout d’abord pas cru, pour apprendre à lui faire confiance et à en vivre, autrement dit pour être sauvés, guéris de leur désespoir, libérés de leur enfermement mortifère.

Les disciples semblent des messagers bien imparfaits, comme je le suis, comme vous l’êtes ! Et pourtant ce sont bien eux qui sont envoyés, comme nous le sommes, pour annoncer une bonne nouvelle tellement étonnante que nous peinons à en prendre la mesure et à lui faire entièrement confiance. Jésus lui croit, il fait confiance à ses disciples, tout incroyants qu’ils soient ! Lui croit en eux, il croit en nous, même quand nous ne croyons pas en lui…

Il nous répète un message à transmettre : le crucifié est le ressuscité, il n’est pas dans le tombeau, il nous précède en Galilée, c’est-à-dire dans nos lieux de vie les plus modestes, les plus ordinaires, de ceux dont on est bien certain qu’ils n’ont rien de digne de sa présence. Si Jésus ordonne à ses disciples d’annoncer cela, c’est qu’il sait qu’en le faisant les disciples vont retrouver le chemin de la vie, que nous retrouverons le chemin de la vie, car cette parole à annoncer est une parole qui fait ce qu’elle dit, une parole qui – annonçant la vie plus forte que la mort, donne envie de vivre de cette vie et en montre le chemin. Pour le dire autrement, par la parole, la résurrection annoncée devient résurrection vécue. Le ressuscité se fait ressuscitant. Les disciples incrédules, les femmes terrorisées, sortent des trous dans lesquels ils et elles s’étaient caché.es. Ils et elles parlent avec de plus en plus d’assurance d’une vie plus forte que la mort, de ce Jésus qui, après sa mort sur la croix, n’est pas un cadavre dans un tombeau, mais une puissance de vie qui accompagne leur chemin à tous et toutes, de manière différente – le récit insiste bien sur le fait que Jésus se manifeste de manière différente selon les personnes qu’il veut toucher.

La résurrection du matin de Pâques ne produit pas un retour au passé : Jésus prêchant, agissant et guérissant, entouré de ses disciples, hommes et femmes qui le suivent sur les routes de la Galilée ou à Jérusalem. La résurrection du matin de Pâques ouvre de nouveaux possibles : les disciples, et nous après eux, vivant en enfant du Dieu vivant, prêchant, agissant guérissant, chacun.e à notre manière, là où nous sommes, dans la confiance qu’il est là avec nous, dans chacune de nos tentatives pour dire l’amour et la justice, la tendresse et la justesse, œuvrant avec nous. Car annoncer la bonne nouvelle, ce n’est pas, ou pas seulement, sortir de cette cathédrale et crier « Christ est ressuscité ». C’est affronter le serpent des paroles fausses, tordues, médisantes, pleines de fausses promesses. C’est refuser de se laisser endormir par le poison des forces internes et externes qui nous disent que tout est fini, que rien ne vaut plus la peine ni ne sert à rien. C’est tendre la main à celui qui tombe, s’asseoir à côté de celle qui pleurent, parler pour défendre celui qui n’a plus de mots, offrir à manger à celle qui ne peut plus se nourrir. C’est guérir ainsi les solitudes ravageuses, non choisie, atténuer la misère qui enferme. C’est retrouver et restaurer la confiance abîmée, rallumer l’espérance. Et c’est se réjouir de découvrir ainsi que l’altérité radicale du ressuscité ne rompt pas la relation mais la nourrit autrement, qu’il continue à travailler, avec nous, à infuser l’amour et justice dans notre monde.

Croire que Jésus est ressuscité, c’est croire qu’il est ressuscitant pour moi et pour chacun.e, c’est avoir confiance que les forces de mort qui frappent parfois à ma porte n’auront pas le dernier mot sur ma vie. Le dernier mot de ma vie, de chacune de nos vies, appartient à ce Dieu qui nous dit : « Viens, je t’aime, je te choisis, je te donne la force de me choisir et de choisir la vie. »

Là réside la joie de Pâques.

Joyeuses Pâques !

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