Après le baptême, un chemin de croissance spirituelle
Prédication
Etes-vous frappé.e.s comme moi par cet enchaînement rapide entre le baptême et le désert, marqué par l’adverbe « aussitôt ». Pas de temps d’intégration, de temps de festivité, de temps de repos, pas même de temps d’émerveillement après le baptême. Ce n’est pourtant pas rien ce qui vient de se produire ! Mais non, tout de suite, « aussitôt », au désert, comme s’il ne fallait pas se reposer sur les lauriers du baptême, mais tout de suite passer à la suite du programme, ne pas perdre de temps. Il y a vraiment de cela dans tout l’Evangile de Marc : une conscience de l’urgence, du temps limité, du moment présent de la rencontre avec Jésus. Le ministère public de Jésus n’a duré que quelques mois, il n’y a donc pas de temps à perdre effectivement pour le commencer.
Il y a une autre dimension à l’urgence. Avez-vous noté c’est l’Esprit, celui-là même qui était descendu sur Jésus au baptême, qui le pousse au désert, ou même, pour traduire au plus près du grec, qui le chasse au désert, ajoutant la brusquerie à l’urgence.
L’urgence d’abord : c’est précisément juste après le baptême, encore tout rempli de l’Esprit, tout proche de cette expérience de proximité avec Dieu, plein de force spirituelle, qu’il vaut mieux affronter ce qu’il y a à affronter au désert.
La brusquerie ensuite : le mouvement naturel quand on vient de vivre une expérience spirituelle forte, c’est de vouloir s’y installer, y rester, la faire durer ou la reproduire. Il faut donc un peu de brusquerie pour faire quitter cet état et repartir vers le quotidien, qui est parfois aride comme le désert...
L’Esprit donc assume ici le rôle d’un parent qui accompagne la croissance de son enfant. Il ne peut pas faire le chemin à la place de Jésus, ni l’emmener directement à l’arrivée, mais il le met dans des conditions favorables pour que ce chemin puisse avoir lieu : il s’assure qu’il commence rempli de force et d’esprit, il s’assure qu’il se fasse dans un lieu propice. C’est ce que font des parents avec un enfant qui apprend à marcher : ils ne peuvent pas le lui apprendre, ni l’empêcher de tomber encore et encore pendant cet apprentissage de la marche, mais ils doivent laisser à l’enfant l’occasion de s’entraîner, avec assez de force et de soins, dans un cadre sécurisé.
L’Esprit chasse donc Jésus au désert pour qu’il commence une nouvelle étape de sa vie avec les meilleures conditions possibles. Plus qu’une nouvelle étape, c’est même une nouvelle naissance et une nouvelle création qui nous sont racontées dans ces quelques versets qui commencent avec le baptême au Jourdain. Comme lors d’une naissance, Jésus sort des eaux, comme un nouveau-né, il est mis à l’écart et nourri, comme un enfant, il prononce ses premières paroles. Comme lors de la création, l’Esprit plane sur les eaux, la Parole dit ce qu’elle fait et fait ce qu’elle dit.
Le désert, dans la Bible, c’est un lieu qui a plusieurs colorations. C’est le lieu où l’on est confronté à ses ennemis intérieurs, un lieu dangereux, où l’on peut s’égarer, manquer d’eau, se décourager, s’impatienter, un lieu où on ne peut pas rester, s’installer, seulement passer, mais aussi un lieu où Dieu se donne à rencontrer peut-être plus facilement, où les autres voix finissent par s’éteindre et où on entend donc plus facilement celle qui vient de lui. Il nous arrive à nous aussi de nous retrouver au désert, que ce soit de manière volontaire ou non. Le désert, ce n’est évidemment pas nécessairement aller au Sinaï ou au Sahara, mais ça peut être une période difficile, par exemple l’isolement et l’incertitude constante que la situation sanitaire nous impose, ça peut être un temps de méditation, ou de retraite.
Au désert, Jésus fait une poussée de croissance spirituelle si j’ose dire. C’est en quelque temps le temps de maturation de son baptême. Un temps qui dure quarante jours. Quarante, c’est une durée symbolique, qui renvoie aux quarante ans du peuple dans le désert après la sortie d’Egypte et le passage de la mer rouge, aux quarante jours que met Elie à atteindre le Sinaï. Quarante, c’est aussi une durée symbolique qui évoque une gestation, une croissance cachée qui va porter du fruit après une nouvelle naissance.
Jésus reste donc dans le désert le temps d’une gestation, et quand il en sort, il prend la parole pour « proclamer la Bonne Nouvelle de Dieu ». Quelle Bonne Nouvelle ? « Le moment est venu, le règne de Dieu s’est approché ; convertissez-vous et croyez à l’Evangile ». C’est le résumé, en quelques mots, de toute la prédication de Jésus. C’est l’inverse de celle de Jean, qui proposait un baptême de conversion en vue du pardon des péchés. Jésus dit ici : il n’y a rien à faire, rien à gagner, à mériter : le moment est déjà là, le Royaume de Dieu est déjà là, tout proche, pour vous ici et maintenant. Il vous suffit de le regarder pour le voir. Le Royaume de Dieu, ou le règne de Dieu, ce n’est pas un endroit parfait et hors du monde, c’est un état en mouvement, un état dynamique de vie, dans lequel on peut s’appuyer sur l’amour inconditionnel pour regarder nos monstres intérieurs. C’est une relation avec un Dieu qui n’est pas un juge sévère qui nous menace au moindre faux-pas, mais un Dieu qui construit en nous, avec nous, la justice, la paix et la joie.
Le verbe metanoiete, « convertissez-vous », dit en grec le changement d’esprit. « Tournez votre esprit autrement ». Il reprend l’hébreu shouv qui veut dire se convertir, au sens très concret de se retourner, comme on fait une conversion à ski. Se convertir ne fait pas venir le Royaume de Dieu, ça permet de le voir. Et ça, c’est une vraie bonne nouvelle : il n’y a aucune menace dans cet appel à la conversion, aucun chantage, mais un appel à la vie. Car si vous voyez ce Royaume de Dieu qui s’est approché, si vous vous mettez à en vivre, alors toute votre vie s’en trouve colorée, changée.
« Convertissez-vous et croyez à l’Evangile ». Croire, en grec comme en hébreu, c’est avoir confiance, avec une notion de solidité. C’est choisir de s’appuyer sur quelque chose ou quelqu’un qui est fiable, qui va tenir le coup. Et ce royaume qui s’approche sans condition, c’est la preuve de la fiabilité de Dieu : puisqu’il est déjà là alors que nous ne le méritons pas, que nous ne le voyons même pas, que nous ne voulons pas le voir, combien plus sera-t-il encore là quand nous aurons commencé à en vivre ! On pourrait dire que la charge de la preuve est renversée : si dans la prédication de Jean-Baptiste l’humain devait faire ses preuves devant Dieu pour être pardonné, c’est maintenant Dieu qui prouve à l’humain qu’il est fiable pour faire grandir la vie en lui.
Que s’est-il passé dans le désert pour que cet homme inconnu se mette à parler ainsi, lui qui n’avait pas prononcé un seul mot qui vaille la peine d’être rapporté ? « Il fut tenté par le Satan. Il était avec les bêtes sauvages et les anges le servaient. »
Tenté, mis à l’épreuve par le Satan. Car il y a bien un article, qui évite de personnaliser ce que Jésus affronte – comme nous tous et toutes – d’en faire un Dieu du mal. Le Satan, c’est en hébreu une fonction judiciaire, c’est l’accusateur. On dirait peut-être aujourd’hui l’avocat de l’accusation. C’est cela que Jésus affronte pendant 40 jours:cette petite voix qui susurre, ou qui crie, en permanence : « tu n’es pas suffisant, tu n’es pas digne, tu es mauvais, tu ne le mérite pas, tu ne vaux rien », cette petite voix qui juge « tu ne sais pas parler, tu ne sais pas écouter, tu ne sais pas faire ceci ou cela, tu n’as pas les compétences ». Cette petite voix qui répète en boucle : « Dieu s’est trompé de personne, ça ne peut pas être toi, tu n’as rien pour plaire, tu ne viens pas de la bonne famille, de la bonne région, tu n’as pas la bonne éducation, c’est une erreur, il va s’en rendre compte. Comment pourrait-il dire « tu es mon fils bien-aimé, en toi j’ai mis toute ma joie » alors que tu n’as encore rien fait qui prouve qu’on peut compter sur toi ? Regarde tout ce qui en toi te disqualifie, tes manques, tes ambitions et désirs douteux. » Etc., etc. Cette voix, vous la connaissez sans doute ous aussi. Ici, elle est démasquée par Jésus : elle est nommée comme ce qu’elle est : le Satan, et pas comme le jugement de Dieu ! Et ça change absolument tout !
Et Jésus est avec les bêtes sauvages et les anges le servent. Ne trouvez-vous pas curieux qu’on dise « Jésus était avec les bêtes sauvages et les anges le servaient. » plutôt que « Jésus était avec les anges et les bêtes sauvages le servaient. » ? Moi ça m’interpelle, je m’attendrais à ce que les bêtes, domptées, soient au service de Jésus qui converse agréablement avec les anges non ? Jésus est avec les bêtes sauvages, qui ici symbolisent les instincts qui peuvent déchirer l’humain, les pulsions destructrices qui peuvent l’emporter. Etre avec, c’est l’expression qui sera quelques chapitres plus loin utilisée pour désigner la relation de Jésus avec ses disciples, quand il instituera les 12 d’abord pour « être avec lui ». Cela marque donc une amitié, une intimité. Ces bêtes sauvages déchaînées par le Satan semblent ici bien sages. Il est avec elles, dans une nouvelle amitié, une nouvelle intimité. Cela suppose deux choses en apparence, mais en apparence seulement, simples : d’abord les regarder, les nommer, les identifier, et ensuite rester là, sans fuir, sans nier, sans tenter d’effacer, sans minimiser ni gonfler. Une fois que vous avez regardé et nommé les choses, vous pouvez les accepter. Cela demande certes de la force, de la lucidité, de l’énergie, et elles viennent de Dieu, c’est ce que nous raconte la mention des anges qui servent Jésus. Quand il a commencé, il sortait juste de l’expérience du Jourdain qui l’avait rempli de force, mais le temps passant, il reçoit la nourriture nécessaire à la poursuite du chemin, à la poursuite de la croissance, par ces anges, ces messagers, quelle que soit leur forme. L’expérience que fait Jésus au désert, c’est que le salut promis par Dieu n’est pas : « si tu es parfait, tu seras récompensé par une vie paradisiaque après la mort, dans un château avec des serviteurs et sans aucun effort à faire » mais « je te donnerai la force, jour après jour, de te regarder tel que tu es et de t’aimer comme moi je t’aime, de trouver la joie en toi comme moi je la trouve en toi. Et c’est celui qui nous est promis à nous aussi, à chacun et à chacune.
Car ce processus de naissance et de croissance spirituelle qu’a connu Jésus, il nous est promis à nous aussi, qui sommes ses frères et ses sœurs, enfants d’un même Dieu qui nous dit à chacune, à chacun : « tu es mon enfant bien-aimé.e, en toi j’ai mis toute ma joie ».
Amen