Sortir de la logique du donnant-donnant

Prédication

Nous, on a tout fait juste, alors on sera récompensés n’est-ce pas ? C’est en substance ce que dit Pierre, et il dit sans doute tout haut ce que les autres pensent tout bas, et ce qu’il nous arrive de penser avec eux. C’est qu’il leur semble quand même que ce fameux jeune homme riche est un bon candidat pour obtenir le salut. De ce qu’on nous en dit, c’est un type vraiment bien. Il respecte les commandements, y compris celui d’aimer son prochain, ce qui franchement n’est pas le plus facile, il cherche à s’améliorer, il s’approche de Jésus avec intérêt, il le reconnaît comme celui qui donne la clé de la vie éternelle, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Et ça ne suffit pas encore ? Ça ne suffit pas pour que Dieu le regarde avec un peu de bienveillance ? Dans ce cas on est tou.tes vraiment mal parti.es, parce que, c’est bien connu, la perfection n’est pas de ce monde !

Les disciples le savent bien qu’ils ne sont pas parfaits eux non plus… Mais ils essaient de se rassurer : ils quand même fait un truc que le jeune homme riche n’a pas fait, alors ils auront bien une petite récompense non ? Ils ont effectivement tout laissé et ont suivi Jésus. Ça, ça devrait compter non ?

Il y a entre Jésus et les disciples le même malentendu qu’entre Jésus et le jeune homme riche. Jésus parle d’être là, d’un Dieu qui aime sans condition, et eux sont dans la logique du faire, dans la logique du mérite.

Ils y sont tellement pris qu’ils n’entendent pas vraiment ce que dit Jésus, ou plutôt ils le déforment, comme le serpent de la Genèse, pour le faire entrer dans leur logique qui est mortifère. Là où Jésus a dit : « si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres et suis-moi », puis « un riche entrera difficilement dans le Royaume de Dieu », les disciples concluent, « qui donc peut être sauvé ? ». Ils posent donc une équivalence entre « être parfait » et « être sauvé », comme si la perfection était une condition d’accès au salut. Mais Jésus n’a pas dit cela, au contraire ! Et ils utilisent une formule passive et figée « être sauvé », là où Jésus parle d’entrer dans le Royaume, une formule active et qui désigne une réalité en mouvement. Et quand Jésus leur répond « C’est impossible aux humains, mais à Dieu tout est possible », ils semblent ne même pas entendre, puisque Pierre tente de se rassurer et de rassurer tout le monde en rappelant que eux, les disciples, ils sont quand même meilleurs que ce jeune homme, alors ils auront bien mérité d’être sauvés. Eux qui ont tout laissé pour suivre Jésus sont meilleurs que lui, peut-être parfaits mêmes, à supposer qu’ils observent déjà tout ce que le jeune homme fait. Pierre n’a pas entendu que se sauver soi-même est impossible. Et il croit que le salut est un état stable qui s’obtient en étant conforme aux attentes de Dieu telles qu’elles sont exprimées par Jésus, ou une récompense qu’on pourra posséder. C’est que la logique qu’essaie de leur montrer Jésus est en fait scandaleuse ! Si rien de ce qu’ils font, rien de ce que nous faisons, ne nous obtient le salut, alors à quoi bon tenter de faire quelque chose de bien, de bon, de beau ? Franchement, tout ça nous coûte bien des efforts et si ça ne nous rapporte rien, autant laisser tomber tout de suite ! Si le salut est gratuit, à quoi bon tout ces commandements, tous ces efforts, toutes ces prises de tête pour tenter de discerner la volonté de Dieu et de s’y conformer ? Jésus, quand les disciples parlent du salut, répond en parlant de tout autre chose : le Royaume de Dieu, ou le Règne de Dieu. Ce n’est pas une récompense que certains obtiennent et d’autres pas, c’est une autre manière de vivre ensemble et avec Dieu, accessible ici et maintenant à tous. C’est une manière d’habiter le monde et d’y vivre que Jésus ne cesse ne montrer à ses disciples et à toutes celles et ceux qui s’approchent de lui : c’est un royaume où chaque être humain est regardé, nommé, aimé, par Dieu. C’est un royaume où Dieu offre sa puissance d’amour à ce qui, en chaque personne, est déjà beau pour le faire fructifier. C’est un royaume où il offre sa puissance de guérison à ce qui, en chaque personne, a besoin de soin et relèvement. C’est un royaume où ce qui, en chaque personne, pousse vers la mort et la souffrance est regardé, nommé, et passé au feu purificateur. C’est un royaume où il n’y a rien à prouver, rien à gagner, où il y a assez pour tous et toutes. Dans ce royaume, chaque être est renouvelé et devient un peu plus à l’image de Dieu. Ce royaume n’est pas un état, c’est un processus, un chemin.

Le jeune homme parle de faire quelque chose et d’avoir la vie éternelle. Jésus lui parle du désir d’entrer dans la vie. Sentez-vous le décalage que cela produit ? Là où le jeune homme s’agite et cherche que faire de plus, se sentant insuffisant, inquiet, là où il voudrait posséder la vie éternelle pour pouvoir peut-être enfin s’arrêter, Jésus lui dit « si tu veux entrer dans la vie » et plus loin « si tu veux être parfait ». « Si tu veux » : c’est une invitation à arrêter un instant cette fuite en avant, cette quête éperdue de perfection et de mérite, pour sentir ce qui ce cache derrière. Que veux-tu au fond ? Quel est ton vrai désir derrière cette question ? Est-ce que ce que tu veux vraiment c’est « entrer dans la vie » ? Alors ta fuite t’en empêche parce qu’elle est mal orientée, elle cherche un « avoir la vie éternelle », plus tard, alors qu’il s’agit « d’entrer dans la vie » qui est déjà là. D’y entrer pour la vivre, pour la laisser vivre en toi. Entre simplement et vis.

« Si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements, veille sur eux. » Les commandements sont un trésor sur lequel il faut veiller, ils donnent les clés de cette vie, en rompant les logiques d’emprise mortifères. Ils ne sont pas des exigences impossibles à remplir, et qui pèsent, mais une direction qui nous est donnée et une promesse qu’un jour nous y serons conformes. Le jeune homme ne comprend pas : pour lui les commandements ne sont pas un trésor, mais une règle de vie, un poids, une exigence qui lui pèse mais à laquelle il s’astreint pour gagner la vie éternelle. Il n’arrive pas à sortir de cette logique et il insiste auprès de Jésus. Jésus cherche un autre biais : le décalage entre la logique faire et de l’avoir et celle de l’entrée dans la vie n’a pas suffi, alors il tente de pousser au bout la logique du jeune homme. « Si tu veux être parfait ». Là encore il le renvoie à son désir : que cherches-tu au fond ? La vie ? Ou une illusoire perfection ? Jésus a déjà fait remarquer au jeune homme que seul Dieu est bon… Alors vouloir être parfait, c’est vouloir être Dieu ! Ce qui évidemment est absurde et devrait briser les illusions du jeune homme. On ne sait pas ce qui se passe ensuite pour lui, on sait juste qu’il s’éloigne. Et les disciples ne comprennent pas plus que lui, parce qu’au fond il sont un peu dans la même idée : il faut faire quelque chose pour que Dieu nous accepte. Et eux ils ont fait, alors Dieu va les accepter. Ils n’entendent en fait pas plus que le jeune homme ce que dit Jésus : « Les humains ne peuvent rien faire pour leur salut, seul Dieu peut faire quelque chose. » Il n’y a rien à faire, le salut est déjà là, Dieu nous aime déjà, la vie est déjà là, tout proche, il n’y a qu’à y entrer en poussant la porte. Et alors des transformations sont possibles.

Là où Pierre dit à Jésus : « nous, nous avons tout laissé et nous t’avons suivi », Jésus lui répond « vous qui m’avez suivi ». C’est la seule chose qui compte en fait : se mettre à suivre Jésus. Suivre Jésus, c’est cesser de vouloir être Dieu à la place de Dieu, c’est se savoir aimé alors qu’on n’est pas aimable, et alors la vie est déjà là, offerte, nos yeux s’ouvrent pour la voir, nos jambes et nos pieds se délient pour y entrer, la joie nous habite et elle fructifie en nous. C’est choisir d’entrer dans la vie plutôt que d’être parfait.

Amen.

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