La rencontre qui a bouleversé Matthieu

Prédication

Shalom, je suis Matthieu. Oui, celui que Jésus a appelé ce jour-là.

Ce fameux jour avait débuté comme tous les autres, un jour tout ce qu’il y a de plus normal. Le travail avait commencé, avec le même défilé de masques que d’habitude, les mêmes obséquiosités, les mêmes insultes à mots couverts, les mêmes sous-entendus… C’est que j’étais collecteur d’impôts c’est-à-dire que je percevais les taxes sur les marchandises en transit pour le compte des romains… Autant vous dire que je vivais plutôt seul ! D’un côté les romains pour lesquels je travaillais me méprisaient comme un subalterne. De l’autre, mon peuple me méprisait, peut-être encore plus, parce que je me compromettais avec l’occupant. Certains avaient peur de moi car je risquais de leur prendre le nécessaire pour vivre, d’autres tentaient de me corrompre pour baisser leurs charges. Quand aux religieux de tous poils, ils me voyaient comme perpétuellement impur, puisque j’étais en contact permanent avec les païens. Il faut bien comprendre qu’être impur c’est grave pour soi, en tant qu’individu, puisque ça empêche toute relation à Dieu, mais c’est aussi grave pour le peuple, car laisser entrer l’impureté dans le peuple c’est risquer d’attirer la colère Dieu sur tous. Impur, j’étais donc dangereux et les gens se détournaient de moi. Tout à basculé pour moi au moment où Jésus, un rabbi itinérant arrivé depuis peu, s’est mis en route pour quitter le village avec ses sympathisants. Il arrivait de temps en temps que de tels rabbis charismatiques passent, et même restent quelque temps. Rien que de très normal. Et puisque ces rabbis prêchaient un Dieu qui ne voulait avoir aucun rapport avec moi, je ne me sentais pas très concerné !

Mais Jésus est passé devant ma table et il m’a vu. Vraiment vu je veux dire. Il m’a vu moi Matthieu, avec mes faiblesses et mes espérances, mes souffrances et mes élans, moi qui jusque là l’avais à peine regardé. Il s’est arrêté, et j’ai senti son regard sur moi. Un regard qui ne me méprisait pas, qui ne me condamnait pas, qui n’avait pas peur du pire en moi. Je ne sais pas comment dire… il me regardait avec son cœur, vous comprenez ? Je me suis senti reconnu, vivant, vibrant comme je ne l’avais plus été depuis tellement longtemps, si même je l’avais déjà été !

Et puis il m’a parlé. Deux mots seulement : « Suis-moi. » Deux tout petits mots, à la fois ordre et prière, ordre parce que prière. C’était à la fois une vraie prière – j’aurais pu dire non – et un ordre dit avec une telle autorité, adressé à moi personnellement, parce que je suis moi et pas un autre, que je ne pouvais pas rester là sans rien faire. Je me suis levé, je l’ai suivi. Je me sentais infiniment heureux, et en même temps comme atteint d’ivresse. Une part de moi hurlait que je faisais une erreur monumentale, qu’il fallait que je reprenne ma place, mon rôle, ma vie, que cela ne me mènerait nulle part, que ce type était au mieux un charlatan, au pire un démon… Mais le regard de Jésus posé sur moi m’avait comme immunisé contre cette voix. J’ai donc suivi Jésus et, je ne saurais pas trop dire comment, nous nous sommes retrouvés à table dans ma propre maison. Nous étions chez moi, mais c’était lui qui nous rassemblait, lui qui nous accueillait, lui qui ordonnait le repas autour de ce que nous avions à partager (d’où tout cela est-il sorti, je suis incapable de vous le dire, mais nous avons eu en abondance!). Nous étions nombreux, sans qu’aucune invitation formelle ait été lancée. Rien que des marginaux, même ses disciples : des sans famille, des sans protection, des sans place, des sans honneur, des sans pureté… Rien que des gens qui normalement se cachent, évitent le contact, évitent la pleine lumière tant ils sont honteux d’être ce qu’ils sont, d’être comme ils sont. Mais nous étions là pourtant, tous ensemble et avec lui. Et lui avait pour chacun ce regard qui m’avait bouleversé profondément. Je voyais bien que mes nouveaux compagnons vivaient quelque chose du même ordre que moi, quelque chose qui nous redressait intérieurement, quelque chose qui nous donnait la force de lever les yeux vers lui, de lever les yeux les uns vers les autres, et… tout à coup j’ai eu la certitude que Dieu était là, présent au milieu de nous. Comme si manger et boire ensemble, c’était déjà faire peuple ensemble ; comme si manger et boire ensemble avec Jésus, c’était déjà retrouver notre Dieu, un Dieu bien différent de celui dont nous parlait les rabbis habituels !

Soudain un petit groupe de ces pharisiens est arrivé. Ils ont brisé cette atmosphère incroyable, sûrs de leur droit à le faire, sûrs qu’un rabbi prétendant enseigner la loi de Dieu ne pouvait pas, ne devait pas, de se mélanger ainsi à des impurs comme nous, les réprouvés de Dieu. Il y a eu comme un moment de flottement : les pharisiens s’étaient adressés aux disciples de Jésus, qui restaient muets de stupeur.

La part de moi qui avait tenté de me mettre en garde, s’est engouffrée dans la faille : « mais oui, ils ont raison et tu le sais. Bien sûr que Dieu ne va pas se mélanger avec vous autres ! Bien sûr qu’il lui faut de la pureté, de l’intégrité, qu’est-ce que tu croyais ? Retourne donc à ton boulot, laisse le contact avec Dieu à ceux qui en sont dignes, aide-les, sert-les, mais rappelle-toi bien de rester à ta place, à ta minuscule place, rappelle-toi bien que tu es indigne de cela, rappelle-toi bien que tu n’y arriveras pas. Et regarde avec qui tu te retrouves : des pires que toi, tu aggraves ton indignité, ton impureté ! Fuis, pendant qu’il est encore temps, et dès demain tâche de te racheter. Pour une fois, suis les recommandations des vrais rabbis, offre les sacrifices de repentance. »

Je m’étais déjà levé pour partir loin de tout cela quand j’ai réalisé que je n’avais nulle part où aller : nous étions chez moi ! C’est alors que, très doucement, Jésus a répondu : « Ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. »

ça les a arrêtés net les pharisiens – et ma voix intérieure aussi ! Tout à coup, j’ai compris les choses autrement : quand je suis malade, je n’ai pas à me soigner seul, je n’ai ni les compétences ni les forces pour cela. De la même façon, je n’ai pas à me rendre digne de Dieu tout seul. En ce sens les pharisiens avaient toujours eu raison : je n’arriverai jamais au degré de perfection nécessaire pour m’approcher dignement de lui, c’est vrai ! Mais là où ils avaient tort, c’est qu’ils me commandaient d’essayer plus fort, d’essayer mieux, de faire preuve de plus de volonté, de plus de piété, de plus de repentance. Alors que ce dont j’avais besoin, c’était de quelqu’un qui prenne soin de moi, qui me rende pur, qui me rendre digne, par le regard qu’il poserait sur moi, par la main tendue, par le chemin parcouru ensemble ! Et c’était bien cela que Jésus avait fait pour moi quelques heures plus tôt, il m’avait regardé, et j’avais été remis debout, en marche, en relation. Digne à ses yeux, j’étais devenu digne à mes propres yeux, et à ceux de mes compagnons d’un soir, comme eux l’étaient devenus aux miens et j’étais devenu digne aux yeux de Dieu, je l’avais senti.

Pour tout vous dire j’ai eu un vertige quand tout ceci a effleuré ma conscience ! Et je ne crois pas avoir encore fait le tour de ce que cela change pour moi, de ce que cela change pour ma relation à celles et ceux que je croise, pour ma relation à Dieu. Mais je sais que depuis ce jour plus rien n’est comme avant : j’étais là, assis, coincé sur ma chaise et dans ma vie, et il m’a fait lever, il a ouvert les portes de ma maison et de ma vie, il m’a mis en marche vers autre chose qu’un avenir tout tracé, en route vers les autres.

Après cet étonnant repas, j’ai choisi de suivre Jésus sur les routes : je suis allé, et avec lui j’ai appris ce que signifie : « c’est la miséricorde, la tendresse, que je veux et non le sacrifice », mon image de Dieu a été entièrement redessinée. Bien sûr qu’il y a eu pour moi – et sans doute pour les autres – des jours de doute, des jours de vide, des jours d’angoisse, des jours de honte, mais quelque chose avait changé, s’était déplacé à l’intérieur de moi : j’avais été déplié de l’intérieur, et le doute, le vide, l’angoisse ou la honte n’étaient plus le seul horizon possible. Ils étaient des passages à traverser avec lui. Il y a eu aussi des relations difficiles, des personnes que j’ai voulu mépriser, des personnes que j’ai voulu haïr, et – je ne vais pas vous mentir – je l’ai fait. Bien sûr que j’ai haï et méprisé Judas, bien sûr que j’ai méprisé et haï les responsables de la mort de Jésus ! Mais quelque chose là aussi avait changé : le regard de Jésus sur moi venait, par fulgurance, habiter mon regard sur elles, sur eux, - un regard du cœur, et le mépris et la haine n’étaient plus les seuls horizons possibles.

Après les événements de Jérusalem, j’ai repris mon bâton et j’ai marché, j’ai parlé, j’ai raconté, comme je vous raconte aujourd’hui, en espérant que quelque chose de cette rencontre passe jusqu’à vous. Pas pour me faire mousser, mais parce que l’appel que j’ai reçu vous est adressé tous les jours de votre vie comme il m’a été adressé tous les jours de la mienne. Vous faites partie, vous ferez partie, du peuple que Dieu aime parce qu’il l’a choisi. A vous aussi il dit : « suis-moi ».

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