Quand Dieu s'incarne dans nos histoires familiales

Saint-Pierre, Genève

Prédication

Dans le langage savant des théologiens, Noël est la fête de l’Incarnation. Qu’est-ce que c’est ? C’est un mot qui veut dire que nous fêtons à Noël un Dieu qui choisit de dire oui à la vie humaine, telle qu’elle est, avec ses ombres et ses lumières. Un oui qui n’est pas résignation au malheur, mais premier pas vers sa traversée ou sa transformation.

A Noël bien sûr nous nous réjouissons de la naissance de Jésus, même si on ne sait pas quel jour de l’année il est né. On ne sait pas mais on a eu envie d’en choisir une pour pouvoir ce jour-là se réjouir spécialement de cette naissance, et placer Noël au cœur de l’hiver, juste après le solstice, au moment où les nuits commencent imperceptiblement à rallonger, est une manière symbolique de dire la lumière que Jésus apporte jusque dans nos désespoirs les plus noirs, dans nos tristesses les plus profondes, dans nos culpabilités les plus honteuses. Oui, fêter le 25 décembre la mémoire de la fête de Jésus est une belle chose !

Mais à Noël nous ne faisons pas seulement mémoire d’une naissance qui a eu lieu il y a bien longtemps, et bien loin de chez nous. Car Noël nous parle aussi de nous, et de la manière dont Dieu veut venir habiter dans nos vies, dont il cherche à y faire naître quelque chose de l’ordre du Christ, c’est-à-dire quelque chose de l’ordre de la vie éternelle. Oui, la vie éternelle, au cœur même de notre finitude. Cette part de vie qui n’est pas engloutie par la mort. C’est cela que Dieu veut faire naître dans nos vies chaque jour. Comment cela ? Et bien comme il l’a fait pour Marie et Joseph…

Reprenons les choses depuis le début : quelles sont les conditions à remplir pour devenir parents de Jésus – ou, pour ce qui nous concerne et puisque les rôles sont déjà pris, pour voir naître dans nos vies quelque chose de l’ordre de la vie éternelle ? Qu’est-ce Marie et Joseph avaient de si spécial ?

Commençons par Joseph. On a beaucoup glosé sur l’âge, la piété ou le caractère du père de Jésus. Parce que oui, Joseph est le père de Jésus : il lui a donné un nom, le faisant ainsi son fils aux yeux de la société, il a protégé – et sans doute aimé – l’enfant et sa mère, il leur a donné les moyens de vivre, il a transmis à Jésus son métier. Que fait d’autre un père ? Joseph est le père de Jésus, et nous ne savons rien de lui, sinon qu’il a existé, et qu’il était charpentier… Vous admettrez que c’est peu. Vous me direz : « on sait quand même de quelle famille il vient, nous venons d’entendre son arbre généalogique, plutôt prestigieux d’ailleurs, et qui est peut-être la raison pour laquelle il a été choisi ».

C’est vrai qu’il y a cet arbre généalogique. D’abord, quel statut lui donner ? Si vous avez déjà tenté de faire votre propre arbre généalogique, vous savez à quel point remonter à 42 générations en arrière relève de l’exploit, faute de sources… Alors inutile de vous dire que dans l’Antiquité, où les registres d’état civil n’existaient pas, c’est impossible. L’auteur de l’Evangile de Matthieu le sait, et il sait que ses lecteurs et lectrices le savent. Il ne prétend donc pas dire quelque chose de scientifiquement exact, mais dire quelque chose de la manière dont Dieu agit dans nos vies.

Il est organisé, vous l’avez peut-être noté, en trois grandes périodes : d’Abraham à David, de David à la déportation, et de la déportation à Jésus. Périodiser l’histoire, c’est une démarche qui permet d’orienter son interprétation, et ici Matthieu interprète l’histoire comme le lieu de l’accomplissement de la promesse de Dieu qui traverse les générations : la généalogie commence par Abraham qui a reçu la promesse d’être une bénédiction, passe par David qui reçoit la promesse que de sa descendance naîtra un roi qui sera le sauveur de son peuple, et se termine par Jésus qui est cette bénédiction et ce salut pour le monde.

Matthieu accentue cela par la répétition du nombre 14 : chacune de ces trois périodes comprend 14 générations. 14, c’est 2 fois 7, et 7, c’est le nombre qui marque la perfection divine. La répétition de ce chiffre, au prix de quelques approximations (Matthieu compte ou pas les premiers et derniers noms de chaque période, et saute ici ou là quelques noms pour faire coller à son schéma symbolique) accentue cette idée que c’est bien dans l’histoire d’Israël que Dieu agit.

Mais l’histoire n’est pas achevée : la naissance du Christ ouvre une septième période de 7 générations, celle qui correspondrait au shabbat dans l’ordre des jours de la création et qui devrait commencer par « Jésus engendra... » Mais Jésus n’a pas eu d’enfants, c’est quasi certain, car un fils ou une fille ne serait pas passé.e inaperçu.e au moment des débats sur la succession spirituelle de Jésus dans la communauté des disciples… Jésus n’a pas eu d’enfants né de sa chair, mais il a fait de chacun, de chacune qui s’intéresse à lui des enfants spirituel.les. Nous sommes donc la suite de cette généalogie, appelé.es nous aussi à engendrer des fils et des filles spirituelles, à être des matrices pour la vie que Dieu vient apporter au monde.

La généalogie que Matthieu nous présente comporte de tout. Des hommes importants comme David, et des inconnus. Des hommes généreux et des salauds. Des bons, des brutes et des tyrans. A travers leur histoire, connue ou inconnue, Dieu s’est manifesté. Elle comporte même des femmes ! Dit comme ça ça paraît absurde parce que bien sûr qu’il a fallu des femmes pour que tous ces hommes engendrent. Mais la lignée présentée ne remonte que les pères. Sauf quatre femmes. Des femmes dont les histoires sont connues dans l’Ancien Testament, mais pas des femmes parfaites, et surtout pas au regard des règles religieuses et morale en vigueur dans l’Israël ancien. Ce sont au contraire des femmes qui ont soit été victimes des usages en vigueur, comme la femme d’Urie que David s’est appropriée comme un objet (mais si vous la connaissez : c’est Bethsabée, la mère de Salomon), soit des femmes qui ont su briser ou contourner les règles pur faire passer la vie, comme Rahab la prostituée étrangère qui a choisi le Dieu d’Israël. Si donc au départ la généalogie semble prestigieuse, notamment avec la présence d’Abraham et de David, elle ne comporte en fait rien que la vôtre ou la mienne ne comporte. Y compris des rois et des reines, parce que si vous remontez suffisamment loin dans le temps, le rétrécissement des populations fait que nous avons tous et toutes des princes, des reines, des rois, des princesses dans nos ancêtres. Des hommes et des femmes ordinaires, avec des ombres et des lumières, qui donnent naissance chacun à leur tour à d’autres hommes et femmes ordinaires qui se débattent avec la vie comme elle est.

Dernier point à relever pour aujourd’hui, la pirouette finale de la généalogie : après nous avoir bercé.es à coup de X engendra Y, voilà qu’elle se termine par « Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle est né Jésus, qui est appelé Christ », là où on attendait « Joseph engendra Jésus. » Manière de dire que ce n’est pas la généalogie qui compte… Nos héritages nous façonnent en partie, pour le meilleur et pour le pire, mais ils ne nous enferment pas. Et – plus important encore peut-être – ils n’enferment pas Dieu, ils n’empêchent pas son action.

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