Se reposer vraiment !
Prédication
« Moi vous savez, en ce moment je suis athée, je suis trop fatiguée de vivre pour croire en Dieu. » C’est ce que m’a dit une dame juste avant le culte que j’étais venue célébrer dans l’EMS où elle réside jeudi après-midi.
En écoutant ce cri du cœur, j’ai été frappée par le lien que cette dame faisait spontanément entre sa fatigue de vivre et son athéisme du moment, sorte de négatif – au sens photographique du terme – du lien que Jésus fait dans l’exhortation que nous venons d’entendre entre la fatigue et la nécessité de venir à lui.
Jésus ne précise pas vraiment la fatigue dont il parle, et le terme qu’il utilise désigne aussi bien la fatigue qui suit un travail accompli qu’une lassitude plus générale. C’est qu’il y a bien des fatigues. Il y a la bonne fatigue qui suit un effort intense couronné d’un certain succès. A la fin de cette année paroissiale, nous pouvons songer au travail accompli ensemble, aux moments de partage, aux nouvelles rencontres qui ont enrichi notre vie, à un ou plusieurs cultes qui nous ont touchés et aidés sur notre chemin. Mais il y a aussi bien sûr la fatigue lourde, insidieuse, qui vient du travail qui n’a pas été fait, des attentes qui n’ont pas été entendues, des tensions interpersonnelles, des projets qui n’ont pas abouti ou qui ont généré de l’hostilité, des erreurs commises, des coups encaissés, des injustices subies. En paroisse comme ailleurs, il y a aussi la fatigue de vivre dont parlait cette résidente et qui n’est pas réservée au grand âge. On connaît aussi la fatigue de porter le souci de proches malades et celle d’avoir pris des engagements qui se sont avérés trop lourds sur la durée, la fatigue de voir sans cesse déçu ses espoirs de justice et de paix et celle qu’engendrent la pauvreté ou la maladie, la fatigue spirituelle de ne plus trouver de sens à rien et celle toute simple et ordinaire d’une nuit sans sommeil.
Tant de fatigues...
Et si peu de repos !
Nous avons tous et toutes entendu enfant qu’il ne faut pas trop s’écouter, qu’il faut se forcer un peu, sous peine de se ramollir et de sombrer dans la paresse. Et, pour la plupart d’entre nous, tout, y compris burn out, dépression sévère, ruptures, conflits, fuite ou abandon, oui tout vaut mieux que d’être soupçonné-e de paresse ou d’oisiveté, mères de tout les vices. Ce qui revient en fait à dire que tout vaut mieux de se montrer vulnérable, fatigué-e, humain.
Jésus, lui, sait toutes ces fatigues qui nous pèsent. Il les sait, il les voit, et il nous propose un autre chemin que de se cravacher jusqu’à s’écrouler ! Il nous propose le chemin du repos véritable, celui qui permet la vie.
Lui qui est venu pour les personnes malades, faibles, fatigué-es nous regarde et il voit nos fatigues, nos faiblesses, nos vulnérabilités. Il voit celles que nous essayons de cacher, celles que nous ne voulons pas voir, et celles que nous ne voyons que trop, au point de nous identifier à elles.
Il voit, il nomme et il dit : « venez à moi ». Car il sait que la fatigue, quelles que soient sa forme et son origine, peut nous éloigner de lui. C’est bien ce qui arrive à cette dame que j’ai rencontré à l’EMS, et à bien d’autres personnes. Alors Jésus exhorte : « venez à moi ! » Et il faut bien reconnaître que c’est rarement notre premier réflexe en cas de fatigue que d’aller à Jésus. Pour ce qui me concerne, j’ouvre instagram et je scrolle pour oublier les échecs et les déceptions, je me noie dans un livre ou une série pour ne surtout pas penser à la montagne de travail qui m’attend, je mange une tablette de chocolat plutôt que de m’allonger 10 minutes, je rumine mes soucis et mes déceptions plutôt que de marcher jusqu’à la cathédrale pour m’y asseoir un instant en silence. Ou bien à l’opposé je serre les dents, je m’exhorte à continuer, à oublier la lassitude et la fatigue, et je continue comme si de rien n’était. Et je sais que je ne suis pas seule dans mon genre, même si chaque personne développe ses propres faux repos…
Dans tous ces réflexes face à différents types de fatigues, il y a un point commun : nous restons seul-es et si nous bougeons, ce n’est que pour fuir et mettre la tête dans le sable. Jésus propose l’attitude opposée : se mettre en mouvement et venir à lui. Ne pas rester seul-e, regarder en face la fatigue, cesser de ne compter que sur ses propres forces. C’est peut-être ça aussi qui nous épuise parfois : ne vouloir compter sur nous-même !
Jésus appelle et il promet : « je vous donnerai le repos ». Le mot grec utilisé ici est un verbe qui souligne qu’il s’agit du repos qui vient d’une tâche accomplie. Faut-il comprendre que Jésus va finir ce que nous n’arrivons pas à finir ? J’avoue que s’il pouvait m’aider très concrètement à abattre la masse de travail qui a pris du retard pendant que j’étais en arrêt maladie… je ne dirais pas non ;-) !
Mais ce n’est évidemment pas de cela qu’il s’agit : le repos que nous donne Jésus répond à la fatigue qui naît du sentiment d’insuffisance qui vient teinter toutes nos situations de fatigue, celle qui naît de cette fausse certitude que le repos se mérite et que la vie se gagne. Or Jésus nous offre de fonder notre vie sur une autre certitude, bien plus solide : il n’y a pas de sentiment d’insuffisance à avoir devant Dieu. Il nous accueille, nous accepte et nous aime quelle que soit notre fatigue. C’est cela qui est déjà accompli ! Il nous espère moins fatigué-es et en meilleure santé bien sûr, et il travaille pour que cela advienne. Mais il accueille, même quand ce n’est pas le « bon moment », comme dans cette histoire où Jésus cherche la solitude et se retrouve avec sur les bras une foule épuisée et affamée. Il prend soin et il donne du repos : un repos qui relie, qui rassasie et qui rend vivant.
Comment le donne-t-il ? « Venez à moi et prenez sur vous mon joug. »
Disons-le, c’est franchement contre-intuitif… d’autant que dans le langage courant quand on utilise le joug au sens figuré c’est pour parler du joug d’un tyran sur son peuple, donc de quelque chose qui pèse extrêmement lourd, imposé de manière injuste, par la violence et par la peur ! C’était déjà le cas à l’époque de Jésus, et il répond à cette image en précisant aussitôt : « moi je suis doux et humble de cœur. » Pas un tyran donc.
Dans le monde agricole dans lequel vivait Jésus, l’image du joug a aussi et surtout une connotation positive, que nous avons un peu perdue de vue : le joug, c’est un outil qui permet aux animaux de tirer de lourdes charges sans se blesser, des charges bien plus lourdes que celles qu’ils peuvent porter sur leur dos, et ce d’autant plus que, la plupart du temps, le joug est double : on atèle deux animaux ensemble. C’est d’ailleurs de joug que le mot « conjugalité » est dérivé : dans la conjugalité, on marche sous le même joug, en tirant à deux la charge, en partageant les joies et les peines. Et c’est bien cela que propose Jésus ici : de s’atteler au même joug que nous, afin de tirer avec nous ce qui nous pèse. Il propose, il n’impose pas : « prenez mon joug », pas « je vous mettrais de force sous le joug ». Nous sommes libres de répondre ou non à sa proposition.
Jésus propose donc de tirer ce qui nous pèse, plutôt que de le porter, au risque d’être écrasé-es. Et il nous propose surtout de ne pas tirer seul-e : il se place à nos côtés sous le joug. Jésus ne promet pas que plus rien ne pèsera, que tout sera facile, mais il promet que, quelles que soient les épreuves, les charges ou les difficultés, elles seront plus faciles à traverser avec lui tirant avec nous, à côté de nous, plutôt que seul en ployant sous la charge qui s’amasse sur nos épaules. Ainsi compris, le joug et le compagnon qui le portent avec nous nous donne quasiment des ailes ! En tout cas l’espérance et de courage nécessaires pour continuer à vivre. Avec Jésus comme compagnon de joug, il nous est promis que rien ne nous écrasera définitivement, que derrière tous nos vendredis saints d’épreuves, tous nos samedis saints de silence, de douleur, de peur et de solitude, un matin de Pâques se prépare.
C’est ainsi qu’il nous offre du repos, le repos de tout l’être. C’est peut-être ce repos-là qu’était venue chercher malgré tout cette résidente de l’EMS : elle qui se disait trop fatiguée de vivre pour croire était quand même la première arrivée pour le culte, cherchant la discussion avec moi, installée au premier rang, saluant les arrivées d’un sourire, dernière restée, me disant s’être reconnue dans le récit des disciples découragés fuyant Jérusalem pour Emmaüs, partie sur un merci rayonnant. Ce qu’elle a reçu dans ce culte lui appartient, mais j’ai eu l’impression qu’en venant à ce culte malgré sa fatigue et son sentiment qu’elle la coupait de Dieu, elle répondait à cet appel « venez à moi, vous tous que êtes fatigués, et je vous donnerai le repos. » Mon sentiment en la voyant partir, c’est qu’elle avait reçu au moins un petit peu de repos de son immense fatigue de vivre. Oui, le repos véritable, celui qui délasse en profondeur notre être, c’est de laisser Dieu nous regarder tel-le que nous sommes, fatigué-es, épuisé-es, blessé-es. Le laisser faire et accepter son aide pour tirer nos fardeaux plutôt que de s’obstiner à les porter seul-e, au risque de l’écrasement.
Alors pour ce temps estival qui s’ouvre, je vous souhaite, je nous souhaite un sain(t) repos en Dieu : laissez-le s’approcher, vous regarder, vous ouvrir les bras, vous serrer contre son cœur, caresser doucement votre visage, décharger vos épaules de vos fardeaux mal équilibrés dans un sac qui vous scie les épaules. Laissez-le vous nourrir de pain, comme il a nourri les foules et ses disciples, placer vos fardeaux dans une charrette, vous tendre le joug, s’installer le premier dessous et placez-vous dessous avec lui pour découvrir à quel point c’est beaucoup plus facile ainsi !
Que votre été soit doux et reposant !
Amen