Dieu a-t-il besoin de nous ?

Prédication

« S’ils se taisent, les pierres crieront. » répond Jésus à ceux qui lui demandent de faire taire la foule des disciples. C’est dire que ce que la foule crie est essentiel !

Elle disait : « Que Dieu bénisse le roi qui vient au nom de l’Eternel ! »

A première vue, ça a l’air stupide : le type qui arrive là, couvert de la poussière des chemins qu’il arpente depuis des lustres, monté sur un ânon à peine assez grand pour le porter, entouré d’une troupe de va-nu-pieds tout aussi gris de poussière que lui, n’a pas du tout l’air d’un roi. Du point de vue des soldats romains chargés d’assurer la sécurité dans Jérusalem pour la fête de la Pâque, ça ressemble à une farce. Vraiment pas de quoi s’affoler. Et d’ailleurs les soldats ne bougent pas d’un millimètre. Les pharisiens, eux, s’affolent. Car ils savent, contrairement aux soldats, que la foule voit Jésus à la lumière d’une Parole qui a précédé ce moment et que cette Parole peut faire des choses étonnantes, des choses qui changent le monde. Cette Parole-là est celle qui retentit dans tous les commencements du monde : elle nomme ce qui ne se voit pas encore, et en le nommant elle le fait advenir. Cette Parole-là a promis au peuple hébreu un roi qui viendrait, monté sur un ânon. À la lumière de cette Parole, la foule voit Jésus pour ce qu’il est : le roi tant attendu.

Ce jour-là, la foule voit donc la véritable nature de l’homme qui vient vers elle, au-delà du visible. Elle voit et elle pose des mots qui se font Parole pour dire cet invisible, pour le rendre visible. Pour un bref instant, la foule regarde Jésus comme Jésus regarde les personnes qu’il rencontre. Pour un bref instant elle pose une Parole de vie sur Jésus comme Jésus pose des Paroles de vie sur les personnes qu’il rencontre. Pour un bref instant, la foule est l’humanité qu’espère Dieu : capable de regarder pour voir vraiment et de dire une Parole qui fait advenir à la vie. Au moment où la foule proclame qui est Jésus, elle fait advenir sa royauté.

Humanité à l’image de Dieu, la foule accomplit sa vocation de voir les choses et les êtres tels qu’ils sont vraiment – c’est-à-dire encore riches de possibles – et de dire les paroles qui feront advenir ces possibles à l’être. Voir le monde et ses habitant-es tel-les qu’ils et elles sont, et dire une parole qui ne les enferme pas dans leur état, mais dit aussi les devenirs possibles. C’est notre vocation, mais ce n’est certes pas facile !

Nos descriptions sont partiales autant que partielles… et les tentatives brutales de contraindre le langage pour imposer une lecture du monde qui se manifestent avec force de l’autre côté de l’Atlantique le montrent de manière effrayante. Mais même sans cette volonté de tordre le langage, on voit bien qu’une langue véhicule une représentation du monde, une attention à telle partie de la réalité qu’une autre langue, née dans un autre environnement, ignore pratiquement.

Comment dire le monde, ses beautés et ses horreurs, dans une Parole porteuse de vie ? Comment dire l’injustice, le mal, la souffrance, le malheur, sans tomber dans le puits sans fond du désespoir, sans les minimiser ? Comment les assumer complètement et garder l’espérance ouverte ? C’est notre vocation d’êtres humains : dire le monde pour l’appeler à être ce qu’il est déjà en germe : cette création dont Dieu dit qu’elle est bonne. Assumer toutes les horreurs et les difficultés de notre monde, passées, présentes, et celles que nous redoutons pour l’avenir, et crier pourtant que de ce chaos « la lumière est et sera », la vie est et sera, l’être humain est sera véritablement à l’image et à la ressemblance de Dieu.

Comment dire qui est réellement une personne, avec ses ombres et des lumières, ses gouffres, ses violences, ses tendresses et ses élans créatifs ? Comment la dire d’une manière qui la laisse libre de devenir ce qu’elle est ? C’est notre vocation d’êtres humains : nous dire les un-es aux autres que nous sommes enfants bien-aimé-es de Dieu et que rien ne pourra jamais nous ôter cela. Et en nous le disant, nous autoriser à le vivre. Ça paraît simple ? Ça ne l’est pas : on n’a jamais fini de devenir enfant de Père-là. Ça paraît insignifiant ? Ça ne l’est pas : se découvrir enfant de ce Père-là fonde une dignité, donne une place, engage sur un chemin de vie.

Voir, dire et agir avec lucidité, amour, confiance et espérance : c’est ce que fait Jésus tout au long des évangiles. C’est ce que ne font pas les soldats romains, qui ne comprennent pas ce qui se passe. C’est ce que ne font pas les pharisiens qui comprennent ce qui se passe mais ne veulent pas que cela advienne car cela va contre leurs représentations et, peut-être, leurs intérêts. C’est ce que ne fera pas, quelques jours plus tard, une autre foule – ou la même – qui criera à Pilate demandant ce qu’il doit faire de Jésus : « Crucifie-le ! Crucifie-le ! »

Mais c’est ce que fait la foule ce jour-là à Jérusalem. C’est ce que nous sommes appelé-es à faire pour vivre en fils et filles de ce Dieu qui a choisi de nous appeler ses enfants bien-aimé-es. Dieu a besoin de nous pour que la lumière et la vie surgissent du chaos du monde, par la parole, non par la force. Dieu a besoin de nous améliorer le monde a écrit un jeune lors d’une séance, il a besoin de nous pour que la paix advienne a écrit un autre. Dieu a besoin de nous pour dire qui il est, ce qu’est le monde et ses habitants, ce que sont les êtres humains.

Et si nous ne le disons pas, si nous nous taisons… les pierres le crieront ! Il y a là une promesse : même si nous baissons les bras, même si l’on nous fait taire, même si notre parole est pervertie, dévoyée, pour ne plus avoir de parole que le nom, la Parole de vie continuera de retentir. D’autres nous la rappelleront, d’autres la proclameront dans le monde. Et si les humains ne le disent plus, les pierres le crieront ! Que cela nous encourage à dire le monde et les autres, à les voir à la lumière de la Parole.

Amen

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