Psaume 41 : un chemin de résurrection

Prédication

Le verbe prier est un verbe actif. Ainsi quand on dit « je prie », on à l’impression qu’on est auteur et moteur de la prière, et que la prière correspond à une action bien précise qu’on peut isoler dans le temps et identifier à des marques extérieures (une attitude corporelle, des mots qu’on utilise). Et c’est juste.

Pourtant c’est seulement une partie de ce qu’est la prière. Car la prière est aussi une action dont nous sommes, non pas le sujet, mais l’objet. Et elle est un processus plus qu’un moment précis et identifiable. On pourrait presque dire que d’une certaine manière nous sommes priés, ou, pour le dire avec les mots de Paul, que l’Esprit prie en nous et travaille en nous, avec nous parfois, et parfois sans que nous en ayons vraiment conscience.

Les psaumes tels que nous les découvrons aujourd’hui dans nos bibles, tels que nous les lisons ensemble semaine après semaine, portent la trace de ce processus continu, de ce travail qu’un Autre fait en nous. Vous le savez maintenant, les psaumes ne sont pas la transcription immédiate d’une prière spontanée. Ils sont la mise en écriture poétique d’une transformation vécue dans la prière à partir d’une situation vécue par le priant. Dans le psaume 41, la situation de départ est une situation de souffrance extrêmement mortifère et profonde.

Car il y a des profondeurs différentes de souffrances… Il y a le malheur qui nous arrive, la maladie qui nous tombe dessus. C’est déjà tout un gouffre ! Peut venir s’y ajouter, comme dans ce psaume, la présence d’ennemis qui se réjouissent de votre malheur, ajoutant à votre souffrance par des murmures, des moqueries, des bavardages à votre sujet, une joie mauvaise à vous voir si mal. Pour vous, le gouffre s’approfondit encore. Et puis, parfois malheureusement, s’ajoute encore une autre souffrance : celle d’être trahi.e. L’amie sur laquelle vous comptiez s’éloigne ou, pire, se retourne contre vous. Le gouffre de la souffrance n’a plus de fond… s’y perdre semble la seule issue.

Et cela arrive parfois qu’on s’y perde, car la trahison fragilise notre capacité à faire confiance. Pour le dire avec des mots d’Eglise, elle fragilise notre foi. Et si la foi est fragilisée de manière répétée, elle peut se briser… Or, sans cette capacité à faire confiance, la capacité à espérer vacille, la capacité à aimer disparaît. C’est ce qui a failli arriver au psalmiste.

Comme toute expression poétique, les psaumes sont extrêmement travaillés dans leur forme. Lors de la traduction de l’hébreu au français, on perd beaucoup du rythme et de la musicalité, mais on garde l’accès au moins à la structure du psaume. Pour le psaume d’aujourd’hui, la structure nous aide à retracer le processus de résurrection vécu dans la prière. Ici, on repère facilement la partie centrale du psaume, dans laquelle le psalmiste s’exprime en « je » et s’adresse directement à l’Eternell, rapportant une prière qu’il a exprimée dans un moment de grande détresse.

Encadrant la description de sa souffrance propre, augmentée par la réjouissance que cette situation provoque chez ses adversaires, se trouvent l’expression de deux trahisons, se faisant écho : « j’ai péché contre toi » et « même l’ami sur qui je comptais et qui partageait mon pain a levé le talon contre moi ». Dans le psaume, la confession de la trahison envers Dieu – qu’est-ce que le péché sinon cette trahison ? – précède la plainte au sujet de la trahison de l’ami. Dans la « vraie vie », c’est souvent l’inverse : on commence par se plaindre des autres avant de, peut-être, regarder se propres erreurs. C’est justement par la prière que le psalmiste peut, en mettant par écrit l’aventure de sa prière – car la prière est une aventure – inverser les deux, commençant par reconnaître sa faute envers Dieu avant de se plaindre de celle des autres envers lui.

Et ça change quoi me direz-vous ? En apparence pas grand-chose. En réalité, ça change tout. Parce que ce travail intérieur effectué par la prière renverse les perspectives et donne un nouveau regard qui permet de vivre de cette vie promise. On en voit la trace dans l’ouverture et la conclusion du psaume, qui viennent comme contenir, embrasser la souffrance du psalmiste et les trahisons qui le blessent – tant la trahison commise que la trahison subie. Au cœur de la souffrance, dans la plainte qui met en lumière tout ce qui manque, tout ce qui fait mal, tout le besoin, la prière réoriente le projecteur sur la présence soignante attentive de l’Eternell, mais comme l’aide-soignante qui était là à chaque instant pour rafraîchir le lit, éponger le front du malade, tous ces petits gestes essentiels pour soutenir le chemin de guérison, presqu’oubliée et invisible.

Et le processus de la prière débouche sur une transformation, rapportée dans la conclusion du psaume. Une chose concrète change : les ennemis qui faisaient tant de bruit se sont tus, ou au moins ils ne sont plus entendus par le psalmiste, ce qui assure déjà un certain repos. Mais une autre chose, au moins aussi importante, c’est produite depuis la prière initiale : la relation brisée entre le psalmiste et son Dieu a été rétablie. Ou, plus exactement, le psalmiste a pris conscience qu’elle n’a jamais été brisée, que son Dieu a toujours été là et sera toujours là. : « tu soutiens mon intégrité, et pour toujours tu m’établis devant toi. » Et cette prise de conscience débouche sur la louange « béni soit l’Eternell, le Dieu d’Israël » et sur la confiance : « Amen, oui, amen ! ».

Amen, en hébreu, c’est l’expression qui dit la confiance en la fiabilité, la solidité de ce qui vient d’être dit. D’une situation marquée par la trahison, la prière débouche sur une confiance redoublée jusque dans les mots. Pas juste « amen », mais « Amen, oui, amen ». Comme si la double expression de la confiance venait soigner la double trahison.

En ce début du temps de la Passion qui va nous conduire à Pâques, il n’est sans doute pas anodin de souligner que l’un des versets de ce psaume est mis par l’Evangéliste Jean dans la bouche de Jésus, précisément celui qui évoque la trahison subie : « celui qui mange le pain avec moi a levé le talon contre moi » dit Jésus, juste après avoir lavé les pieds de tous ses disciples. L’Evangile de Jean ne rapporte pas le dernier repas de Jésus avec ses disciples. Ou plutôt il en rapporte autre chose que le partage du pain et du vin justement : il met l’accent sur le lavement des pieds accompli par Jésus pour ses disciples avant le repas. Et immédiatement après, vient cette mention de l’ami, du co-pain, qui trahit… Citant ce psaume à ce moment-là, Jésus en a vécu tout le processus de résurrection : il a pu laver les pieds de Judas comme il a lavé ceux de tous les autres disciples – qui eux aussi allaient le trahir au moins un peu et au moins un temps – il a pu partager le pain et le vin avec lui comme avec tous les autres disciples. Dans la confiance, au-delà ou en deçà de la trahison. Confiance qui connaît les failles des autres – je connais ceux que j’ai choisis dit-il – et qui les aime au-delà ou en-deça de ces failles. Confiance surtout en ce Dieu qui, lui, garde confiance, espérance et amour pour chacune de ses créatures, quels que soient ses errements et ses trahisons.

Ce chemin de résurrection vécu par le psalmiste, vécu par Jésus, c’est aussi le nôtre. Nous en avons reçu la promesse, et nous pouvons le vivre dans la prière, quelles que soient nos trahisons, commises et subies.

Amen, oui, amen !

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