Une mission de confiance : retenir ou délier les péchés

Temple de St-Pierre, Genève

Prédication

Jésus n’a pas peur de jouer à la roulette russe parfois… ce qui témoigne sans doute de son immense confiance dans les humains. On l’avait déjà vu, au début de l’évangile de Jean, alors qu’on lui amenait une femme surprise en flagrant délit d’adultère et que la foule avait déjà les pierres en main pour appliquer la sentence de lapidation, s’accroupir pour tracer des signes dans le sable et dire « que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ». Tous s’étaient retirés, en commençant par les plus vieux. Franchement, à part lui qui aurait parié là-dessus ?

Ici, le voilà qui confie à ses disciples une immense responsabilité : « Celles et ceux à qui vous délierez les péchés, ils leur seront remis. Celles et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. » Et on n’est pas tout à fait sûr-es que ce soit une bonne idée… eux qui n’ont pas tout compris à son enseignement, qui sont prompts à juger les marginaux qui s’approchent trop de Jésus, qui se demandent qui sera le plus grand, qui l’ont abandonné à l’heure de sa mort, qui tremblent de peur malgré l’annonce de la résurrection… En un mot eux qui sont comme nous ! Est-ce que ce n’est pas une trop grande tâche pour des humains faillibles ? À travers les siècles, les Églises et les chrétien-nes de toutes les confessions ne se sont pas privées de retenir des péchés à tout un tas de gens, et surtout pour ce qui concerne la sexualité, ou le suicide, rajoutant ainsi de la souffrance à la souffrance !

Alors pourquoi Jésus fait-il cela ? Qu’est-ce qui lui fait croire que c’est une bonne idée ?Et comment comprendre cette responsabilité confiée aux disciples qui ont rencontré le ressuscité ?

Le ressuscité s’est montré à Marie de Magdala, puis à ses disciples quelques fois, et cette rencontre a tellement bouleversé leur vie que nous sommes encore aujourd’hui les héritiers et héritières de ces rencontres. Mais il ne se montre pas à tout le monde, partout, tout le temps. S’il choisit de se montrer à ses plus proches, c’est pour les relever de leur désespoir, afin qu’ils puissent continuer à vivre et à faire vivre autour d’eux en transmettant l’Evangile. On le voit bien ici : le ressuscité leur annonce « comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ». Il y a une démultiplication de la mission : Jésus a transformé la vie de quelques personnes, qui transformeront à leur tour la vie de quelques personnes, qui chacune à leur tour transformeront la vie de quelques personnes… c’est bien ce qui s’est passé puisqu’en quelques décennies l’Evangile était prêché dans toutes les grandes villes de l’Empire et qu’aujourd’hui encore il est prêché dans le monde entier.

Mais ce soir-là, celui où Jésus vient à la rencontre de ses disciples, ça ne paraît pas gagné du tout ! La transformation profonde opérée par le long cheminement avec Jésus semble s’être complètement volatilisée au moment de son arrestation ! Les disciples sont abasourdis, anéantis, par les quelques jours qu’ils viennent de vivre. Ils n’arrivent ni à leur donner sens, ni à y intégrer les étranges nouvelles du matin, rapportées par Marie de Magdala, Pierre et Jean. Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire au premier abord, ils n’ont pas tout perdu ! Peut-être que la rencontre avec Jésus, c’est comme le vélo, ça ne se perd pas ? C’est juste bousculé et passé loin en arrière-plan dans la tempête qu’ils traversent.

Mais, pour paraphraser le prophète Esaïe : si pour les disciples les collines ont chancelé, les montagnes se sont effondrées, si tout ce en quoi ils croyaient a perdu tout sens… l’amour de Dieu pour eux, manifesté en Christ, n’a pas faibli. Alors qu’ils n’y croient plus, lui croit en eux. Jésus vient vers eux, là où ils sont et procède par étapes pour les ramener à la vie, hors des tombeaux intérieurs où ils se sont enfouis.

D’abord il leur dit : « la paix sur vous ! », forme usuelle de salutation certes, mais lourde de sens ici. Rien autour d’eux ni en eux n’est en paix ! Et Jésus, parole devenue chair, apporte dans ses mots la paix dont ils ont tant besoin. Pas d’abord la paix des événements extérieurs, mais celle de l’intérieur, qui permet de ne pas se noyer dans les tempêtes extérieures.

Puis il leur montre ses blessures, pour à la fois montrer que c’est bien lui et que les forces de la mort ont été vaincues, qu’elles n’ont pas eu le dernier mot. La résurrection n’efface pas Vendredi Saint, elle l’ouvre.

Et les disciples commencent à réagir : ils ressentent de la joie, peut-être la joie mêlée de soulagement de ceux qui se réveillent d’un cauchemar. Jésus répète alors : « la paix sur vous. Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. » La paix, encore, comme si les débordements de joie risquaient de faire perdre de vue que, non, tout ne va pas redevenir comme avant. La joie débordante des disciples est peut-être du même ordre que Marie qui cherche à retenir Jésus, comme pour effacer ces derniers jours si affreux. Mais non, la résurrection n’efface pas ce qui vient de se passer. Le ressuscité est vivant oui, mais il ne va pas revenir parmi les siens comme avant. Et il le leur rappelle : à présent, c’est à leur tour d’être envoyés, comme lui l’a été. A ce stade, il ne précise pas envoyés auprès de qui, ni pour quoi. Il suffit de recentrer tout le monde sur l’essentiel : il faut vivre de nouveau, il faut sortir de nouveau.

Jésus ne s’arrête donc pas là, il poursuit son œuvre de résurrection : il souffle sur ses disciples. Le verbe qui est utilisé là en grec, c’est le même que celui qu’on trouve dans la version grecque de l’Ancien Testament, quand Dieu souffle dans les narines de l’humain qu’il vient de façonner à partir de l’argile pour faire de lui un être vivant. Jésus souffle sur ses disciples comme Dieu souffle sur l’Adam, pour que, comme l’Adam, ils deviennent des vivants. Jésus accompagne son geste de mots : « recevez l’Esprit saint », s’adressant ainsi à toutes les dimensions de l’être de ses disciples. Et c’est seulement à ce stade qu’il explicite la mission qui leur est confiée : délier ou retenir les péchés.

Et c’est là que je bondis et que j’ai envie de demander à Jésus s’il ne va pas un peu vite en besogne, s’il est sûr que c’est vraiment une bonne idée… ils ne sont pas tout à fait finis ses disciples… pas plus que ne l’était l’Adam, pas plus que nous ne le sommes ! Mais cela n’empêche pas pas Jésus de leur faire confiance, comme Dieu nous fait confiance. Il sait que nous sommes capables de grandir avec la tâche.

Mais peut-être pour comprendre mieux faut-il reprendre le récit encore une fois : Jésus dit à ses disciples qu’il les envoie, comme il a été envoyé. Présentement, il est envoyé vers eux, la rencontre peut donc servir de modèle à la mission qui est confiée aux disciples. Il les envoie rejoindre celles et ceux qui sont égarés, enfermés, dans des tombeaux de peur ou de désespoir, de violence ou de maladie. Rejoindre par n’importe quel moyen, pour d’abord apporter la paix. Tout l’inverse de la personne pleine de bonne volonté qui pénètre d’un bon pas dans la chambre mal éclairée et mal aéré d’un ou d’une désespérée, ouvre les rideaux et la fenêtre en grand et se retourne les mains sur les hanches avec un « allez, il faut te secouer un peu mon grand (ou ma grande), tu ne peux pas rester là à broyer du noir, regarde, il fait beau dehors ».

Ensuite se faire reconnaître comme un ami, et aussi comme quelqu’un qui a été blessé par la vie. Une manière de dire « tu n’es pas seul-e, tu n’es pas la seul-e ». C’est pour cela que les disciples sont envoyés. Et cela, c’est délier les péchés, libérer de ce qui dévie, replie, enferme, sépare, plutôt que condamner : Jésus n’a pas engueulé ses disciples pour leur lâcheté, leur lenteur à comprendre, ni leur manque de foi. Il est venu, il leur apporte la paix et sa présence, et ils retrouvent la joie. Et si les disciples ou nous-mêmes ne maîtrisons pas l’Esprit Saint et ne pouvons pas souffler sur les personnes qui nous sont confiées comme Jésus le fait, nous pouvons au moins les bénir de la part de Dieu : dire à toutes les personnes, quelles qu’elles soient, que Dieu dit du bien d’elles, qu’il fait rayonner sur elles sa lumière et qu’il leur accorde sa grâce, qu’il lève son visage vers elles et qu’il leur donne sa paix. C’est l’une des manières qui nous est donnée de souffler l’Esprit saint. L’autre manière serait sans doute la prière : prier pour une personne, avec elle quand c’est possible, c’est soulever le poids qui pèse sur elle, c’est la libérer de ce qui lui pèse, au moins un peu. Alors oui il est théoriquement possible de retenir les péchés… mais n’oublions pas que le modèle de la mission des disciples – de la nôtre – c’est Jésus lui-même. Qui a-t-il condamné définitivement ? Les autorités hypocrites, celles qui donnent une fausse image de Dieu et de ce qu’il est pour nous. Et encore ne les a-t-il condamnées que dans ce cadre-là, pas dans l’entier des personnes qui incarnaient ces autorités. Et il n’a jamais condamné ni les prostituées, ni les femmes méprisées, ni les voleurs à la tire, ni ses disciples doutant et tremblants de peurs, imparfaits et humains. Attention, quand je dis qu’il ne les a pas condamnés, cela ne veut pas dire qu’il approuve des deux mains tout ce qui a été fait. Cela veut dire qu’il les délie de cela qui les enferme, qu’il soulève ce qui les écrase, pour qu’une vie autre, nouvelle, soit possible, en lien avec Dieu.

Et c’est la même chose qu’il envoie ses disciples faire maintenant que lui est passé de l’autre côté et va tenir un autre rôle. Il y a encore et toujours besoin de personnes qui sont envoyées pour relever les personnes comme le Christ les relève. Ce n’est pas toujours facile, et il arrive que nous échouions, où que certaines situations soient impossibles à gérer pour nous. Personne ne demande aux parents de la lycéenne assassinée il y a quelques jours à Nantes de délier l’auteur du crime de son péché… La promesse qui nous est faite, c’est que Dieu est là, avec nous, qu’il peut envoyer d’autres personnes là où nous ne pouvons pas aller, qu’il peut souffler sur nous l’Esprit saint, ou nous envoyer un frère, une sœur, qui passera son bras sous le nôtre pour nous aider à nous mettre debout et à reprendre la route, qui nous dira une bénédiction de la part de Dieu. C’est ainsi que, comme les disciples d’alors, nous serons frères et sœurs les un-es pour les autres, fidèles à la mission que le Christ ressuscité nous confie.

Les disciples n’ont pas su assurer leur première mission auprès de Thomas… ou pas complètement : Thomas est resté écrasé par la peur, la peur d’être déçu encore une fois, la peur de se tromper. Ils n’ont même pas su garder la paix en eux très longtemps puisque huit jours plus tard ils sont à nouveau enfermés à clé, transis de peur… Ce n’est pas grave : le Christ est venu, de nouveau, il s’est approché, encore une fois, et il a redit, au cœur du chaos de leur monde : « la paix sur vous ». Et il le redit, au cœur des chaos de notre monde : « la paix soit sur vous ».

Amen

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