De quelle joie parle-t-on à Pâques ?

Temple de Maguelone, Montpellier

Prédication

Où est passée la joie de Pâques dans les récits des apparitions du ressuscité que nous offrent les Evangiles ?

Dans l’évangile de Jean que nous suivons cette année, mais ce n’est pas si différent dans les autres, du matin de Pâques à la rencontre sur les rives du lac de Tibériade, la joie est quasiment absente. Marie de Magdala pleure en se rendant au tombeau, est saisie de peur et d’incompréhension quand elle le découvre vide. Pierre et Jean, incapables de vraiment comprendre ce que Marie leur rapporte, font la course jusqu’au tombeau, y entrent et comprennent que « quelque chose s’est passé ». De la surprise, de l’incompréhension, de la crainte, mais pas de joie.

Marie est à nouveau en pleurs quand elle cherche le corps de son maître et ami dans le jardin et qu’elle y rencontre Jésus. Et au moment où elle comprend qui il est, sa joie n’a as le temps de se déployer car le ressuscité se dérobe aussitôt, échappant aux effusions, et l’envoyant en mission vers les disciples.

Quand les disciples en question se rassemblent le soir de Pâques, après que Marie de Madgala leur a raconté sa rencontre avec le ressuscité, ils sont rongés par la peur. Et là encore, quand les disciples le reconnaissent et que la joie pointe le bout de son nez, Jésus la douche assez fermement, en tournant ses disciples vers la mission – vertigineuse – qui leur revient : délier ou retenir les péchés.

On dirait que Jésus, ressuscité, veut éviter que ses disciples ne se trompent de joie… Il serait facile en effet, retrouvant le ressuscité après l’avoir cru définitivement perdu, de croire que tout va recommencer comme avant. Mais non : le ressuscité ne se donne à voir et à reconnaître que pour mieux disparaître à nouveau, laissant ses disciples poursuivre le travail commencé ensemble : « comme le père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ». Non, décidément, tout ne va pas redevenir comme avant… Mais la méthode de Jésus est peut-être un peu radicale, parce que la peur règne toujours en maître une semaine plus tard quand il vient à nouveau rendre visite à ses disciples rassemblés dans la chambre haute… Et dans le dernier chapitre de l’évangile de Jean dont nous venons d’entendre les premiers versets, ce n’est pas non plus la joie qui domine, mais le découragement, l’absence de but précis, l’errance, la crainte, la surprise, l’incompréhension.

C’est que le matin de Pâques n’est pas la pirouette un peu facile d’un scénariste qui cherche à consoler ses lecteurs de la mort brutale de son héros, comme dans ces films où on pleure le héros avant de s’apercevoir qu’il se porte comme un charme, et en plus après mille péripéties pour sauver le monde, son costume n’a pas un pli…

Les récits fourmillent de détails qui sont autant d’indications qui nous empêchent de tomber dans cette interprétation : d’abord le ressuscité qui se présente porte les stigmates de la crucifixion. Pâques n’enlève rien à Vendredi saint…

Ensuite le ressuscité ne revient pas sur le même mode d’existence : il apparaît dans des endroits fermés sans qu’on sache comment, il disparaît brusquement sans qu’on sache mieux comment, seul-es ses intimes le voient, il n’est pas immédiatement reconnaissable puisque même ses plus proches le prennent d’abord pour un autre. Son « retour » n’est précisément pas un retour au point de départ, comme si rien ne s’était passé.

Enfin, le ressuscité ne revient pas pour rester avec ses disciples, mais pour leur confier une mission, signe définitif que c’est une autre page qui s’ouvre maintenant, dans laquelle les rôles changent, chacun-e va devoir évoluer autrement, déployer d’autres talents, s’appuyer sur d’autres, et sur le ressuscité, mais d’une autre manière que ce qui était possible jusque-là. En d’autres mots, si Vendredi Saint n’était pas, malgré les apparences, la fin, le matin de Pâques n’est pas non plus le happy end qui répondrait à toutes les questions et qui aurait permis aux disciples de l’époque comme aux lecteurs et lectrices d’aujourd’hui de se dire que l’histoire est finie de belle manière.

Pâques n’est pas la fin, c’est un début ! La résurrection ne vient pas « corriger » les erreurs de l’histoire passée, elle vient les dépasser, affirmer avec force que ces erreurs n’ont pas eu le dernier mot. La résurrection dit aussi aux disciples qu’ils vont devoir apprendre quand même, malgré la résurrection, à vivre sans leur maître, ou avec leur maître autrement. Et elle leur donne une immense responsabilité : transmettre l’Evangile. Il y a là une joie possible, mais exigeante, un peu cachée. Une joie que les disciples vont devoir apprendre à découvrir.

Et ça prend un peu de temps… Mettons-nous un peu à leur place : ils viennent de vivre la semaine la plus intense de leur vie, avec des montagnes russes émotionnelles que je ne souhaite à personne voulant rester sain d’esprit, ils sont encore en état de choc, et les voilà envoyés dans le monde pour répandre l’Evangile, auquel tant la mort que la résurrection de Jésus montrent qu’ils n’ont rien compris ou en tout cas pas grand-chose. Que vont-ils bien pouvoir faire, à part perpétuer l’échec de leur maître ? Parce qu’il ne faut pas avoir peur des mots : le ministère de Jésus a été un échec : enseigner à quelques dizaines, ou mêmes quelques centaines de personnes, avant d’être mis à mort de la manière la plus infamante qui soit, ce n’est pas une réussite… même si on met dans la balance une résurrection qui semble bien falote puisqu’elle ne vise ni la vengeance et la punition des coupables, ni la conversion massive des foules par des démonstrations de puissance, tout au plus l’encouragement des plus proches.

Alors que vont-ils pouvoir faire ces disciples égarés et à moitié convaincus seulement par la résurrection de leur maître ? Ils n’ont pas l’air de très bien le savoir ce jour-là au bord du lac de Tibériade… 7 disciples – un chiffre évidemment pas tout à fait pris au hasard, 7 représentant l’idée de totalité ou de perfection divine – 7 disciples donc sont retournés sur les lieux de leurs débuts avec Jésus, là où leur rencontre avec lui avait commencé à tout changer pour eux. C’est souvent une bonne idée quand on est un peu perdu de revenir à un moment de choix fondateur, de se rappeler pourquoi on avait choisi de suivre cette voie-là. Beaucoup sont pêcheurs de métier et ils semblent prêts à le redevenir à la suite de Pierre. Peut-être faute d’un autre plan, tout simplement parce que comme d’habitude Jésus n’a pas été très directif… il a dit « je vous envoie », mais il n’a pas donné d’itinéraire, d’équipes à constituer ni fourni de liste de mots-clés à utiliser pour convaincre les gens. Par où commencer ? Pourquoi ne pas aller pêcher ? Au moins ce sera utile de manière visible !

Les voilà donc partis dans la nuit, ensemble. Et ils ne prennent rien ! Pas un poisson de toute la nuit ! Ce n’est sans doute ni la première ni la dernière fois que cela leur arrive, mais que ça tombe mal. Quand vous êtes un peu désorienté, que vous ne savez plus trop quoi faire de vous et de votre vie, et que vous choisissez de vous rabattre sur une activité que vous connaissez bien… tout échec vous fera vraiment très mal. Si donc les disciples n’étaient visiblement pas habités par la joie et l’enthousiasme au moment de commencer la pêche, c’est sans doute d’humeur franchement morose qu’ils reviennent. Et voilà qu’un homme se tient sur la rive, et les interpelle « Petits enfants, avez-vous à manger ? » Rien à voir avec les apparitions précédentes, spectaculaires parce que survenant dans une pièce fermée. Là c’est un homme qui se tient au tout petit matin, alors qu’il fait encore nuit, à la lisière du jour, en plein vent. Et il demande : « avez-vous quelque chose à manger ? » Il y a là un écho avec le récit de la multiplication des pains et des poissons du chapitre 6, qui était situé aussi sur les bords du lac de Tibériade. Il y avait ce jour-là toute une foule à nourrir et Jésus avait demandé à ses disciples comment faire. Philippe avait répondu qu’il n’y avait en tout cas pas assez d’argent, et André qu’un jeune garçon avait cinq pains et deux poissons. Ce matin-là, après bien du chemin parcouru, il y a moins de monde à nourrir, 8 personnes tout au plus, mais rien en apparence pour commencer. Et les disciples se contentent d’une réponse brève : « non », ils n’ont rien. Et l’homme qu’ils n’ont pas encore reconnu de recommander de jeter le filet encore une fois, la dernière, de l’autre côté. Ils le font… comme quoi ils n’ont pas tout perdu de leur expérience avec Jésus ! Et cette fois c’est la surabondance : 153 poissons.

La parole efficace de Jésus est ce qui le fait reconnaître de ses disciples, à commencer par « celui que Jésus aimait », puis les autres. Ils le reconnaissent, et en même temps ils aimeraient une confirmation de son identité, qu’ils n’osent pas demander. Par crainte de le voir s’évaporer comme cela semble être sa nouvelle manière d’être quand on le reconnaît ? Ils voudraient tant, quand même, qu’il reste avec eux, encore un peu, encore un jour, qu’il fasse route avec eux. Alors ils font tout pour que cet instant dure… jusqu’à ne pas poser de questions, simplement se réjouir – intérieurement, pas de manière trop manifeste – qu’il soit là de nouveau et savourer sa présence.

Si Jésus avait demandé aux disciples s’ils avaient de quoi manger, il semble pourtant que ça ne soit pas parce que lui-même en avait besoin, puisqu’il avait déjà préparé un petit déjeuner de pain et de poisson pour lui et pour eux – prenant ainsi le rôle du petit garçon du chapitre 6 qui avait fourni les pains et les poissons qui avaient nourris la foule. Jésus n’avait besoin que de quelques poissons supplémentaires, il en a fait pêcher des quantités à ses disciples… Surabondance de la grâce, à laquelle ils participent donc.

Jésus a préparé le repas, et il le leur distribue. Joie de nouveau, partager un repas avec lui, le laisser faire, décider, une dernière fois peut-être, leur dire quoi faire de manière aussi explicite, se nourrir à sa confiance tranquille en eux, une confiance qui ne s’arrête pas aux échecs et aux faiblesses, mais qui invite à les traverser ensemble. Car ce repas sur la plage au sortir de la nuit, après des heures d’échec, au seuil d’une mission un peu floue et surdimensionnée, est une Cène : un repas dans lequel le Seigneur a préparé et distribue le pain et les poissons. Il y a là, au coin du braséro qui avait éclairé une autre nuit, celle de toutes les trahisons, une communion retrouvée avec le maître, une communion qui va fonder la mission à venir.

La joie n’est pas l’émotion dominante de ces récits non… mais elle s’y fraie un chemin, en profondeur, tranquillement, sûre de parvenir à ses fins. Et si pour nous elle est associée à Pâques, c’est peut-être simplement que le temps a passé. Nous nous sommes « habitués » à la résurrection. Ce qui pour une part est une bonne chose et pour une part est plus problématique : il est sans doute un peu dommage que nous oubliions souvent la révérence devant le mystère de Pâques. Pas la révérence que l’on faisait devant les rois de France bien sûr, mais cette sorte de conscience qu’il y a là une puissance qui nous dépasse complètement, que nous ne pouvons pas domestiquer ni contrôler, et que cela fait quand même un peu frissonner. Par contre il est bon qu’au fil des générations nous ayons appris à mieux comprendre la résurrection et ce qu’elle manifeste de Dieu : non pas point final mais nouveau commencement, puissance de vie plutôt que de vengeance. Nous avons aussi appris à faire de notre mieux avec la mission de témoigner de l’Evangile, en mettant nos pas dans ceux des générations précédentes, chaque génération avec ses propres mots, ses propres moyens de communication. Et nous avons appris à nous relier au Christ autrement, nous qui ne l’avons pas côtoyé quand il arpentait les chemins de Galilée il y a deux mille ans : nous lisons les écrits des premiers chrétiens, évangiles, lettres, apocalypse, et leur bible, qui est notre Ancien Testament, nous lisons aussi les témoignages de deux mille ans de christianisme, nous prions, nous nous rassemblons. Et alors oui, nous avons appris à discerner la vraie joie de Pâques : non pas un retour à la normale, mais un commencement nouveau à recevoir chaque jour où nous en avons besoin, en nous laissant appeler et nourrir quand c’est nécessaire, pour pouvoir ensuite témoigner de cette vie reçue qui transforme tout de l’intérieur.

Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité, et c’est vraiment une bonne nouvelle, qui nous apporte de la joie.

Amen

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