Je ne suis pas seule

Lors d’une retraite à Grandchamp il y a pas mal d’années déjà, la sœur qui m’accompagnait m’avait proposé de prendre un temps de prière autour de la gratitude pour toutes les personnes qui avaient permis que je sois là ce jour-là dans ce lieu là. ça commence par les ancêtres qui ont rendu possible ma naissance jusqu’à la personne qui a façonné l’outil qui a permis au menuisier de façonner la charpente de la chapelle en passant par celles et ceux qui ont patiemment construit, à travers les siècles, les connaissances nécessaires à tout cela… et c’est très vite vertigineux !! On dit parfois qu’il faut tout un village pour élever un enfant. ce jour-là j’ai pris conscience qu’il fallait tout un monde et l’épaisseur de son histoire pour rendre possible cet instant somme toute très ordinaire de ma vie.

En apparence, je travaille beaucoup seule : je suis seule quand je me lève pour aller au lutrin ou monter en chaire, je suis seule quand je vais rendre visite à une famille en deuil, je suis seule quand j’accueille les jeunes pour une rencontre, je suis seule quand je réfléchis à la manière d’accompagner un couple vers la bénédiction de son mariage, etc. Et donc coup, il y a un certain nombre de personnes qui me mettent sur un piédestal comme si j’étais dotée de capacités surhumaines (d’empathie, de travail ou que sais-je) (et pas seulement moi bien sûr, ce piédestal est - en autres - peuplé de tous les collègues!)

Mais ce ne sont que les apparences ! En réalité je ne suis jamais seule.

Souvent il suffit de regarder un peu mieux, de décaler juste un peu le regard : je suis seule à me lever à l’instant t pour aller au lutrin et ouvrir le culte, mais il y a les personnes qui sont à l’accueil, il y a celles qui vont prendre la parole elles aussi à un moment ou l’autre du culte, il y a celle qui a préparé le feuillet, celle qui a préparé les micros, etc. Je suis seule à ouvrir la porte aux jeunes parce que la collègue est en train de finir de préparer le goûter (et la prochaine fois on inversera les rôles).

Et toujours il faut regarder à un autre moment : je suis seule au moment où je sonne chez quelqu’un qui a demandé un accompagnement, quelle que soit la raison de cet accompagnement, mais je viens avec toutes les rencontres qui m’ont façonnée, rencontres de chair et d’os avec ma famille, des enseignant-es, des ami-es, des collègues, d’autres personnes que j’ai accompagnées, rencontres sur la vaste toile du net ou rencontre avec des auteurices. Je suis habitée par toutes ces personnes, elles m’ont faite ce que je suis aujourd’hui, elles transforment celle que je suis en train de devenir. Et après une rencontre, il y a les collègues qui peuvent accueillir ce qui m’arrive, sans poser de questions (iels savent l’impératif du secret) et/ou la superviseuse auprès de laquelle je peux déposer ce qui me bouscule dans telle ou telle situation, et chercher des pistes. Il y a toutes les personnes à qui je peux demander du soutien dans la prière, tous les collègues et autres professionnels à qui je peux renvoyer telle ou telle personne que je n’arrive pas à accompagner de manière adéquate.

Il faut aussi regarder autrement : il y a toutes ces personnes, famille, ami-es, collègues, paroissien-nes, qui me portent dans leurs pensées, dans leurs prières et qui sont là, avec moi. Et il y a, last but not least, cette personne dont il est souvent si difficile de parler, et à laquelle je m’adresse si souvent : Dieu.

Pendant la période de l’Avent, on se prépare à célébrer Noël, à se souvenir de ce Dieu qui a choisi et qui choisit d’être là avec nous (Immanuel = Dieu avec nous, en hébreu). Pour moi, toutes ces manières dont je suis accompagnées relèvent d’une même source : ce Dieu-avec-nous qui tisse toutes nos relations.

Je ne suis pas seule : je me reçois d’un Autre, qui tient en ses mains le plus précieux de moi, et de bien d’autres qui me font ce que je suis et ce que je deviens, qui ont soin de parts de moi qui m’échappent bien souvent !

Et vous, comment vous sentez-vous relié-e ? Si ça vous tente, faites ce petit exercice spirituel que m’avait proposé cette soeur de Grandchamp : pensez à toutes les personnes qui ont rendu possible le fait que vous soyez là, ici et maintenant, tel-le que vous êtes.

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