Prédication
Élie. La veuve de Sarepta. Zachée. Trois figures bibliques qui semblent n’avoir pas grand-chose à voir les unes avec les autres, et au premier abord pas tellement avec nous.
Élie, le prophète autoproclamé, celui qui se pose lui-même en redresseur de torts et qui fait advenir le malheur pour appuyer sa parole. Suite à cette annonce, Dieu envoie Élie se mettre à l’abri à l’écart, près d’un torrent. Mais le torrent s’assèche et Élie est en train de mourir de soif, loin de tout secours humain. Seul, abandonné de tous, Élie s’apprête à mourir.
La veuve qui, comme beaucoup de femmes dans la Bible, n’a pas de nom, n’attend plus rien de la vie. Dans la Bible, la veuve est par excellence la figure de la fragilité et de la misère, car dépourvue de toute protection masculine. Si la veuve est, en plus, étrangère, comme ici, cela rend sa situation encore plus fragile. Seule, sans ressources, abandonnée, trop insignifiante aux yeux de ses voisins, cette femme ne voit plus d’autre issue que la mort.
Zachée, le collecteur d’impôt à la solde des romains, se trouve lui à une place où tout le monde le méprise, les romains comme les voisins de son village. Zachée se trouve seul entre deux groupes, accepté par aucun, presque obligé de les mépriser à son tour pour pouvoir continuer à se lever chaque matin et faire son boulot.
Élie. La veuve de Sarepta. Zachée. Trois figures bibliques qui, chacune à leur manière, se trouvent en bien mauvaise posture, repliées sur elles-mêmes, devenues incapables de vraiment regarder l’autre, affamées et assoiffées sans vraiment savoir peut-être de quoi.
Trois figures bibliques qui nous parlent de nos vies, personnelles et communautaires. Nos Églises n’ont-elles pas été souvent comme Élie, pleine d’assurance pour condamner tel ou tel comportement et pour annoncer la punition divine ? Ne se sont-elles pas, par exemple, instituées les gendarmes de la vie sexuelle de tout un chacun, promettant l’enfer à toutes celles et ceux qui sortaient des pratiques « acceptées par Dieu » ? Ne le sont-elle pas parfois encore, dans ce domaine ou dans d’autres ? Et dans nos vies personnelles, ne nous arrive-t-il pas aussi de nous poser en père ou mère la morale pour condamner tel ou telle de nos proches qui se comporte mal selon nos critères de jugement ?
Nos Églises ne sont-elles pas parfois aussi comme la veuve, réduites à pas grand-chose, ignorées de celles et ceux qui vivent tout proches sans vraiment les voir ni se préoccuper d’elles, ne voyant plus d’autre horizon que la mort à petit feu ? Ne traversons-nous pas dans nos vies personnelles des temps de désespérance, où aucune issue ne nous semble possible, où la souffrance est telle qu’elle ne semble pouvoir se terminer qu’avec la fin de la vie ?
Nos Église ne sont-elles pas aussi comme Zachée, méprisées tant de l’intérieur que de l’extérieur ? De l’intérieur pour leur lourdeur administrative, leur lenteur à changer ou au contraire pour leur trop grande propension à ne pas rester « l’Église qu’on a toujours connue », stable et fière de son identité, capable de résister aux sirènes de l’air du temps ? De l’extérieur pour leur façon de « laver le cerveau des fidèles » et de pratiquer assidûment l’hypocrisie, le « faites ce que je dis pas ce que je fais » ? Nos choix personnels ne nous placent-ils pas parfois dans des situations similaires, par exemple quand nos proches ne comprennent pas ce que nous allons faire dans ce job qui semble si loin des valeurs familiales, tandis que notre milieu professionnel nous méprise parce qu’on ne vient pas du sérail ?
Aussi différents que puissent être Élie, la veuve et Zachée, ils nous parlent de nos vies. Et ils vont vivre une expérience similaire qui va les retourner vers la vie. Tous les trois reçoivent à plusieurs reprises et de manières différentes un appel de Dieu.
Élie est d’abord appelé à s’éloigner des gens qu’il s’est mis à dos, puis appelé à sortir du désert et des frontières d’Israël pour aller demander à manger à une femme insignifiante.
La femme est appelée à recevoir un homme, un étranger, et à le nourrir, puis elle est appelée, par cet homme-là, à la confiance et à l’espérance.
Zachée est appelé à découvrir Jésus, puis à descendre de l’isolement protecteur dans lequel il se drape pour nourrir Jésus et sans doute au moins son cercle rapproché.
Tous trois se mettent à l’écoute. Tous trois, sans peut-être comprendre, sans peut-être savoir pourquoi, sans peut-être y trouver grand sens, s’y mettent.
Élie se lève et se met en marche, sans savoir que Dieu ne l’envoie pas là-bas seulement pour le remplumer et lui donner accès à de l’eau. Il se présente à l’entrée de Sarepta et il rencontre cette femme dont il sait seulement que Dieu lui a parlé. Mais ce qu’il ne savait pas, c’est l’état de misère – extérieure comme intérieure – dans laquelle se trouvait cette femme. Et alors le véritable prophète se révèle en lui : au lieu d’une parole de condamnation pour les pensées suicidaires et l’absence d’espérance de la femme, Élie offre une parole de confiance et d’espérance, une parole qui se fait amour. « N’aie pas peur, l’huile ni la farine ne manqueront. » Envoyé vers la femme pour recevoir d’elle de quoi vivre, il la nourrit de foi, d’espérance et d’amour.
La femme elle aussi se lève, prête à nourrir l’homme qui se présentera au nom du Dieu qui lui a parlé et qui lui a fait confiance. Une confiance ridicule et déplacée d’ailleurs, étant donné qu’il ne lui reste plus rien pour vivre. Soit ce Dieu est fou, soit il la méprise et estime que la vie de cet homme qui va venir est plus précieuse que la sienne et celle de son fils. Ce qui serait logique d’ailleurs, la vie d’une de ses adorateurs vaut évidemment plus aux yeux de ce Dieu que la vie de deux étrangers qui ne peuvent rien pour lui. La femme se tient prête pourtant. Et quand Élie arrive, elle obtempère. Et, là où elle n’attendait que la mort, elle reçoit une parole de vie qui fait ce qu’elle dit, même pour une pauvre femme étrangère.
Zachée n’aurait peut-être pas su dire pourquoi il était tellement intrigué par ce Jésus, un prophète itinérant comme il en passe tous les jours, au point de se cacher dans un arbre pour le voir sans être vu. Il est descendu parce que ce Jésus l’a vu et qu’il ne l’a pas pointé du doigt pour le livrer en pâture à la foule. Il lui a demandé son aide et il s’est invité chez lui. Lui à qui personne ne veut parler… Lui qu’on craint autant qu’on l’envie et qu’on le méprise… Zachée en est tellement bouleversé qu’il regarde à nouveau les gens autour de lui comme des êtres humains, et qu’il retrouve l’envie d’être regardé à son tour comme un être humain. Et il fait ce qu’il faut pour ça : il accueille Jésus chez lui, il change sa manière d’occuper son poste.
Élie. La veuve. Zachée. Eux qui, chacun à leur manière, portaient la mort au début des récits, sont maintenant porteurs de vie : une vie en abondance qui les faire vivre, et leur donne la capacité de révéler la vie. Ils ont été appelé.es, plusieurs fois, chaque appel ouvrant un peu plus la brèche pour que la Vie puisse surgir. Ils ont été nourris par cet appel, par une Parole venue d’ailleurs que d’eux-mêmes. Et ils ont pu choisir de nourrir cet appel, de prendre le temps de se mettre à l’écoute, donnant ainsi l’occasion au murmure intérieur de devenir clair, fort, vivant et fertile ! Ils sont devenu.es vivant.es, et ils ont pu donner la vie, Élie à la femme, la femme à Élie, Zachée aux villageois qu’il avait poussé vers la misère.
Les histoires d’Élie, de la femme et de Zachée sont Parole et nourriture pour notre capacité d’entendre l’appel qui nous est adressé, un appel à vivre et à devenir à notre tour source de vie pour les autres.
Élie, la femme et Zachée sont aussi des rappels que Dieu n’est pas seulement notre Dieu à nous, qui se préoccupe de nous. Il est ce Dieu-là, évidemment, et c’est le cœur battant de l’Evangile. Et parce qu’il est ce Dieu-là pour chacun.e de nous, il est aussi le Dieu qui se préoccupe de ceux et celles que nous méprisons ou ignorons. Ce Dieu-là est aussi, quoique nous en pensions, le Dieu de cet homme qui se croit meilleur que tout le monde et fait la morale à quiconque a le malheur de passer trop près de lui ou de cette femme prostituée que nous jugeons sans rien connaître de son histoire. Ce Dieu-là appelle aussi celles et ceux qui prient dans telle Église dont nous ne comprenons ni la langue ni les pratiques et que nous jugeons terriblement moralisatrice ou fautive dans sa lecture des textes bibliques. Et ça, vraiment, c’est décoiffant ! Commet ce Dieu qui m’appelle, qui nous appelle, peut-il être aussi le Dieu de ces gens-là, qui ne l’ont pas du tout mérité ?! Ils n’ont pas mieux compris que nous qui il est, ils ne sont pas meilleurs que nous, et bien sûr ils se trompent bien plus que nous ! Comment peut-il être mon Dieu et celui d’Elie le fanatique, de la veuve désespérée, de Zachée l’affreux magouilleur ? C’est scandaleux !
Et pourtant, nous sommes, nous aussi Élie, Zachée et cette femme… nous n’avons pas mérité l’amour de Dieu. Il nous est donné pour que nous en vivions, pour en être transformé.es et rendu.es vivant.es. Au moment où nous sommes tentés de nous ériger en gardien.nes de Dieu, de filtrer celles et ceux qui mériteraient son appel… souvenons-nous qu’il nous appelle nous aussi. Qu’il est venu chercher et sauver celles et ceux qui sont perdues, dont nous sommes ! Et qu’à nous aussi, nous qui n’avons rien mérité, il est dit : « N’aie pas peur ! Aujourd’hui il faut que je vienne chez toi ».
Amen