Sola scriptura ?

Prédication

« Pourquoi on lit encore la Bible ? »

C’est la question que m’avait posée un enfant il y a quelques années à Chêne.

Après tout c’est vrai, pourquoi on continue à lire la Bible, alors que le style nous semble souvent assez difficile et lourd, que nous ne comprenons plus très bien le monde dans lequel évoluaient les auteurs de ces textes, qu’il y a des tas d’autres livres plus accessibles capables de nous soutenir dans notre foi ?

On pourrait répondre à cela par des raisons culturelles : la Bible a nourri toute l’histoire de l’art occidental, façonné nos sociétés, elle fait partie de notre patrimoine commun, il est utile de la lire. Et c’est vrai, c’est important et il y a pas mal de gens qui la lisent pour ces raisons.

On pourrait aussi répondre par la fidélité à nos ancêtres : les églises issues de la Réforme se sont battues pour que nous puissions lire la Bible, alors le moins que nous puissions faire pour honorer leur mémoire, c’est de lire le livre qui leur était si précieux. Mais cette fidélité à leur élan est tronquée si nous oublions pourquoi nos ancêtres lisaient la Bible !

Car c’est évidemment la dimension spirituelle de la lecture qui fait que, dans toutes les églises chrétiennes aujourd’hui, on continue comme hier à lire la Bible. On la lit aussi hors de tout contexte de foi, mais alors cette dimension spirituelle, celle qui était précisément le fondement du principe protestant Sola scriptura, disparaît.

En effet, si les Réformateurs du 16e siècle ont voulu remettre la Bible au centre de la vie spirituelle de tout un chacun, c’est parce qu’ils étaient convaincus par leur propre expérience – eux qui ont étudié et médité la Bible toute leur vie – que la Bible est un outil unique que Dieu nous offre pour avancer sur notre chemin spirituel. Sola scriptura, par l’Ecriture seule, proclamaient-ils ! En matière de salut, c’est l’Ecriture seule qui est la référence à laquelle évaluer toute prédication, toute doctrine, toute tradition, toute pratique religieuse et spirituelle, parce que c’est elle qui nous donne à connaître ce que Dieu veut être pour nous. Au passage, relevons qu’en toute autre matière que le salut – donc la relation que Dieu veut avoir avec nous – la Bible n’est pas et ne peut pas être la référence, et notamment pas dans le domaine scientifique.

C’est la conviction profonde de l’importance spirituelle de la Bible qui a soutenu le travail titanesque de mise à disposition du texte biblique. Au début du 16e siècle, la Bible est en effet très peu accessible : elle n’existe en Europe occidentale qu’en latin, langue qui n’est plus parlée que par les classes instruites de la population, et les manuscrits, du fait de leur coût élevé, sont réservés aux plus riches. Le commun des mortels n’a donc accès aux contenus bibliques qu’à travers la tradition, la messe et les représentations artistiques. Ce n’est certes pas rien, mais cela place de nombreux filtres entre le fidèle et l’Ecriture. Pour remédier à cela, partout en Europe on se met en quête des manuscrits les plus anciens, dans les langues d’écriture originelles – l’hébreu et le grec –, on compare, on analyse, on interroge la liste des livres canoniques et – surtout, surtout – on traduit la Bible dans les langues parlées par tout un chacun dans la rue : le français, l’allemand, l’anglais, l’espagnol… et on la lit dans ces langues dans les églises, pour que chacun l’entende dans sa langue et la comprenne.

Le développement de l’imprimerie et l’effort d’alphabétisation de toutes les couches de la population ont par ailleurs permis que la Bible soit plus largement diffusée et connue dans les zones protestantes.

En parallèle, les Réformateurs, comme Paul, les Pères de l’Église, et tant d’autres théologiens au fil des siècles, avaient pleinement conscience que l’Ecriture avait été inspirée par Dieu, pas dictée par Dieu. Le simple fait d’utiliser le terme d’Ecriture souligne cela : il y a une part humaine dans la manière d’écrire. Chaque auteur biblique a sa personnalité, ses préoccupations, son style, ses représentations mentales, son expérience personnelle et communautaire de Dieu, autant de filtres à travers lesquels la Parole est passée avant d’être mise par écrit. Et les textes bibliques ont une histoire : la Bible n’est pas « tombée du ciel » toute faite, elle s’est construite au fil des siècles, par la mise en écrit de traditions orales, de témoignages d’expériences personnelles ou collectives de Dieu, de prière, de règles religieuses et de tant d’autres choses. Et surtout par la mise en dialogue et en tension d’écrits différents. La Bible n’est pas un livre, elle est une bibliothèque. Et aucun livre de cette bibliothèque n’est l’œuvre d’un auteur unique ayant écrit d’une seule traite un ouvrage parfaitement cohérent. Dans les textes bibliques, nous assistons à un dialogue parfois musclé entre plusieurs compréhensions, entre des options théologiques différentes, entre des traditions concurrentes. Le choix des compilateurs a été de garder la trace de ces dialogues et des interventions dans les textes, parce que dans cette pluralité et ces tensions mises en dialogue que quelque chose se donne à dire, à vivre : une invitation à vivre plus sereinement les inévitables incohérences de nos vies et de nos points de vue, mais aussi et surtout, plus profondément encore, la reconnaissance que ces nuances et cette complexité ne sont pas des obstacles, mais des témoignages de la réalité divine.

Lire les mots de la Bible ne suffit donc pas à comprendre le sens d’un texte biblique, il y a tout un bagage scientifique, culturel, scientifique qui permet de l’éclairer. C’est pour cela que la prédication est rapidement devenue un lieu central de transmission et d’enseignement, pour équiper chaque fidèle dans sa lecture de la Bible. Cela participait, et participe de cet effort de mise à disposition de la Bible, afin que chaque fidèle puisse faire son propre chemin.

C’est aussi pour cela qu’il n’a jamais été question, dans l’esprit des Réformateurs, d’interdire l’accès à d’autres livres que la Bible, même en ne considérant que le domaine spirituel ou religieux. Hier comme aujourd’hui, d’autres livres comptent dans nos parcours spirituels. Les réformateurs se sont nourris des ouvrages laissés par 15 siècles de lectures de la Bible les ayant précédés. Les 5 siècles écoulés depuis la Réforme ont encore enrichi ce patrimoine. Chacun-e a ses lectures marquantes. Lire la Bible, c’est non seulement entrer dans une bibliothèque de 66 livres dont on pourrait dire que le principal trait est la diversité théologique, mais aussi entrer en discussion avec les lecteurs et les lectrices d’hier et d’aujourd’hui.

Et en dernier recours, c’est à chaque fidèle qu’il appartient de choisir son chemin spirituel, sur la base de ce qu’il comprend de l’Ecriture. Car en fin de compte, nous ne lisons la Bible que pour qu’elle devienne Parole pour nous. L’Ecriture n’a de sens qu’en ce qu’elle donne accès à la Parole. Elle n’est pas la Parole de Dieu, mais elle porte la possibilité de devenir Parole dans la rencontre avec les lecteurs et lectrices.

C’est ainsi qu’elle est faite Écriture sainte, c’est-à-dire nouveau temple, nouveau lieu où rencontrer Dieu. L’Ecriture ne devient Parole qu’au risque de l’interprétation, car toute lecture fait passer l’Ecriture au filtre de la réalité de la personne qui lit, avec son histoire, sa culture, ses peurs, ses élans, ses questions, ses doutes, et au filtre du travail de l’Esprit saint en elle. En ce sens, le principe Sola gratia est indissociable du Sola gratia – par la grâce seule. On ne peut en effet oser lire la Bible et risquer une interprétation qu’en s’appuyant fermement sur le salut par la grâce : Dieu ne nous mesure pas son amour en fonction de la justesse de nos interprétations bibliques. Il nous aime sans condition ni raison autre que son amour même. Et comme il sait combien nous avons du mal à comprendre et vivre cela, il nous offre l’outil qu’est l’Ecriture pour mieux le découvrir. C’est ainsi que nous pouvons nous risquer à la lecture pour y chercher une Parole de vie, comme un enfant qui est assuré en confiance de l’amour de ses parents ose s’aventurer dans le monde pour y vivre sa vie. Et toute interprétation est provisoire, circonstancielle, révisable. L’interprétation des textes bibliques est infinie, non pas au sens où on peut tout faire dire à un texte biblique, mais au sens où l’interprétation n’est jamais close, elle se renouvelle à chaque lecture, à chaque lecteur ou lectrice.

S’appliquer à la lecture, comme le recommande Paul à Timothée, permet de s’ouvrir à ce que Dieu veut être pour nous : un soutien, un refuge, un médecin, une source de vie, un souffle, un guide.

Alors pourquoi continuer à lire la Bible ? Parce qu’elle peut être tout cela pour nous, c’est-à-dire un instrument de la création en nous de l’être humain que Dieu voit et espère en nous. Elle est, comme le dit Paul à Timothée, « utile pour l’enseignement, pour réfuter l’erreur, corriger les fautes et former une juste manière de vivre. Ainsi, grâce à elle, la personne humaine espérée par Dieu sera parfaitement préparée et équipée pour bien agir à tous égards. »

Oui, lire l’Ecriture peut, avec l’aide de l’Esprit Saint, être un formidable outil de libération de tout ce qui nous éloigne de la vie, de tout ce qui nous empêche de vivre comme les enfants bien-aimés de Dieu, tout ce qui nous empêche de devenir, à la suite du Christ, Parole faite chair et non Ecriture.

Amen

À lire aussi

Prédication suivante :

Se reposer vraiment !

« Moi vous savez, en ce moment je suis athée, je suis trop fatiguée de vivre pour croire en Dieu. » C’est ce que m’a dit une dame juste avant le culte que j’étais venue célébrer dans l’EMS où elle réside jeudi après-midi. En écoutant ce cri du cœur, j’ai été frappée par le lien que cette dame fais...

Voir toutes les prédications