Intercède pour nous !
Prédication
« Intercède auprès de l’Eternell ! » demande le peuple à Moïse.
Depuis qu’ils ont quitté l’Egypte en le suivant, le réflexe s’est bien installé : à chaque fois qu’il y a un coup de mou, un moment difficile, d’abord le peuple râle, puis il demande à Moïse d’intercéder auprès de Dieu. Le peuple ne s’adresse pas directement à Dieu, il passe par l’intermédiaire de Moïse. Et ici intercéder a un double sens très lourd : prie en notre faveur, mais aussi prie à notre place.
Si, dans les récits des patriarches, la relation était assez fluide entre Dieu et les êtres humains dont on suivait les péripéties, depuis qu’il s’agit de Moïse et du peuple sorti d’Egypte, la relation semble beaucoup plus difficile, moins immédiate. Je ne parle pas ici des doutes et des épreuves, mais des moyens de communication. Même si Dieu s’est rendu visible à tout le peuple, c’est à Moïse qu’il a transmis la loi, et c’est Moïse qui a été mis en position de « faire remonter » les prières du peuple. Il n’y a pas de relation directe, personnelle, avec chaque membre du peuple, ni même avec le peuple dans son ensemble. « Intercède auprès de l’Eternell ! » demande donc encore une fois le peuple à Moïse. Aux demandes précédentes, passées par Moïse, Dieu a répondu de manière plus individuelle, même si c’était parfois se servant de Moïse comme d’un instrument, en lui demandant par exemple de frapper une pierre pour en faire jaillir de l’eau. L’eau concerne ensuite très directement chaque personne du peuple. De même pour les cailles et la manne. Ici, Dieu répond d’une drôle de manière, nous l’avons vu déjà, mais j’aimerai souligner ici un autre aspect de sa réponse : en demandant à Moïse de fixer un serpent de métal au bout d’une perche, Dieu instaure une autre manière de communiquer entre le peuple et lui, une manière de prier qui ne demande plus au peuple de passer par Moïse, et même qui l’oblige à se passer de lui.
Pourquoi le peuple demande-t-il à Moïse de prier, à la fois en sa faveur et à sa place ? Le peuple semble avoir compris au moins un bout de ce qui se passe avec les serpent, puisqu’il rapporte toutes les morsures à un seul serpent : « Dieu éloignera de nous le serpent » dit-il, reconnaissant dans cet épisode de murmures l’oeuvre du serpent de la Genèse, celui qui déforme tellement la parole de Dieu qu’elle devient porteuse de mort alors qu’elle portait le projet de vie de Dieu pour l’humanité, ce serpent qui met en doute la bienveillance et la bénévolence de Dieu à notre égard.
Mais même en ayant au moins pressenti cela, le peuple n’ose pas prier lui même. Le peuple doute encore d’avoir la légitimité de parler à Dieu. Reste de doute que nous connaissons aussi : qui suis-je pour que Dieu s’intéresse à moi, pire, pour qu’il m’aime ? Qui suis-je pour savoir comme lui parler, que lui dire, comment respecter le protocole, comment prier ? Et puis qu’est-ce que Dieu va répondre, comment je devrais réagir ? Et si ça se passait mal ? Moïse, lui, saura, Dieu l’écoutera. Et Moïse intercède.
Mais avec ce mât placé à la vue de tout le peuple, les choses vont changer : chaque personne peut lever les yeux vers ce serpent de bronze, sans plus passer par Moïse. Chaque personne peut, et même doit lever les yeux : on ne peut pas lever les yeux à la place d’un autre, comme on ne peut pas récolter la manne d’un autre. On peut montrer à quelqu’un le mât, lui expliquer, comme on peut lui montrer la manne et lui dire. Mais on ne peut pas faire à sa place.
Plus besoin d’intermédiaire. Et même pas besoin de mots non plus – précision utile quand tellement d’entre nous disent qu’ils n’ont pas les mots pour prier –, juste d’un regard vers le haut dès que la morsure du doute sur la bienveillance de Dieu se fait sentir.
Pas besoin d’intermédiaire ni de mot. Quel bouleversement dans le train train qui s’est installé jusque-là dans ce voyage vers la terre promise ! Il n’y a besoin que de sentir la morsure et de lever les yeux au ciel, c’est-à-dire de se souvenir que oui, Dieu veut notre bien. Cela suffit à être guéri, non pas sans doute de toute maladie d’un coup de baguette magique, mais du doute qui était en passe de nous séparer de Dieu, le doute, et la honte de porter ce doute.
Se passer d’intermédiaire entre Dieu et nous… cesser de croire qu’il faut des mots parfaits, ciselés, pour s’adresser à Dieu... La Bible raconte à quel point c’est difficile, l’histoire l’a montré, avec le culte des saints, la révérence envers le clergé, compris comme un intermédiaire entre le ciel divin et la terre des humains… Pas facile d’oser se tenir face à Dieu, seul-e, comme on est, avec les failles et les misères qui nous sautent aux yeux, avec les forces et les élans qu’on n’ose pas trop mettre en avant. Pas facile d’oser lui dire ce qu’on a sur le cœur, les reproches, les doutes, les hontes, les chutes. Et pourtant… pourtant c’est par là que passe la confiance... Dieu cherche sans cesse la relation avec chacun-e, une relation directe. Il y a le mât avec le serpent, il y a la venue de Jésus, il y a le Notre Père qui nous donne les mots que nous cherchons sans cesse… et c’est toujours à reprendre, toujours à oser.
Nous avons bien du mal à oser nous tenir là, devant lui. Mais Dieu, lui, ne cesse de demander : « où es-tu ? », jusqu’à ce que nous sortions de notre cachette, jusqu’à ce que nous lui répondions, jusqu’à ce que nous puissions sentir que nous tenir devant lui est le chemin vers la vie. Et si besoin, il y aura des intermédiaires, pour un temps, jusqu’à ce que nous soyons suffisamment en confiance pour nous tenir là, sereinement, aimant-e et aimée.
Amen