« Que l’Eternell accorde son Esprit à tous les membres de son peuple pour qu’ils deviennent tous des prophètes »
Prédication
C’était mieux avant, disons-nous : quand les églises étaient pleines tous les dimanches, quand les familles demandaient systématiquement le baptême pour leurs enfants et que l’inscription au catéchisme était un automatisme, quand les pasteurs étaient des hommes à la voix forte qu’on entendait toujours bien et dont l’autorité était respectée, quand l’État subventionnait l’Église, quand on ne coupait pas les cheveux en quatre pour mettre l’Ecriture à la mode d’aujourd’hui. C’était mieux avant, alors qu’aujourd’hui l’Église est un travail quotidien, ardu et ingrat, pour continuer à transmettre l’Evangile, pour trouver des ministres et des bénévoles, pour susciter l’élan du don, pour faire entendre l’Evangile au-delà des murs de nos Églises, pour chercher une manière de vivre l’Evangile ensemble alors qu’on est si peu d’accord sur bien des sujets, pour garder l’espérance dans un monde qui semble noircir un peu plus chaque jour. Le Christ n’avait-il pourtant pas promis « je serai avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde ? »
C’était mieux avant dit le peuple d’Israël au désert : quand on était encore en Égypte et qu’on avait à manger tous les jours, quand on avait un toit au-dessus de la tête, qu’on savait où on allait dormir le soir et à quoi ressemblerait l’avenir. C’était mieux avant, alors qu’aujourd’hui nos jambes sont fatiguées, nos cœurs aspirent au repos, on n’en peut plus de manger la manne tous les jours, on n’en peut plus de ne pas savoir quand Dieu tiendra sa promesse et que nous pourrons construire des maisons, planter des graines, installer notre bétail, construire un temple.
Hier comme aujourd’hui, la plainte vient facilement aux lèvres, mais elle n’est pas un fondement sur lequel bâtir une communauté, que ce soit une Église ou un peuple ! Ce qui ne veut pas dire qu’il faut s’empêcher de se plaindre, à coup de volonté et de contrôle. Car la plainte dit une souffrance et une peur bien réelles, l’inconfort de vivre d’une promesse dont on peine à vivre et à faire vivre, l’impuissance devant un présent qui nous échappe et un avenir sombre. La plainte dit aussi une aspiration profonde : elle convoque le Dieu de la vie à faire vivre, le Dieu de la lumière à chasser les ténèbres, de Dieu de la justice à surmonter le mal, le Dieu de l’amour à protéger les faibles.
On entend parfois condamner la plainte ou les murmures, et un courant de pensée présent dans la Bible le fait sans hésiter. Mais notre récit nous propose plusieurs pistes pour vivre – collectivement et individuellement – avec cette plainte, sans nous laisser écraser par elle et surtout sans la laisser nous couper de Dieu.
Première piste : exprimer cette plainte. Soit comme dans les psaumes, en l’assumant totalement, soit dans un murmure un peu honteux comme dans les récits du désert. Dire à Dieu, c’est le premier mouvement du peuple, car Dieu écoute et honore ce que dit son peuple, même quand ce n’est pas ce qu’il espérait.
Deuxième piste : éviter d’idéaliser le passé… on oublie un peu vite que l’Église d’antan n’était pas exempte de travers et de dysfonctionnement graves, ou qu’en Egypte on vivait sous le régime de l’esclavage et du fouet.
Troisième piste : laisser Dieu brûler ce qui doit l’être : ce qui empêche de vivre, ce qui reste attaché à quelque chose qui n’existe plus, ce qui épuise nos forces dans la lutte contre au lieu de les orienter vers le travail pour, ce qui nous empêche de voir les merveilles qui nous entourent et d’entendre les bénédictions du jour. Brûler alors n’est pas vengeance, mais purification et élagage. La colère, qui en hébreu se dit d’un mot apparenté à celui qui exprime le feu, opère comme la fièvre : un mécanisme qui permet d’éliminer ce qui met en danger la santé – ici spirituelle. Le feu de la colère, c’est Dieu lui-même.
Quatrième piste : se nourrir de la manne. Man-hou, c’est quoi en hébreu. Se nourrir donc de questions plutôt que de réponses, pour rester ouvert à l’inattendu de Dieu. Se nourrir aussi de ce qui a le goût des gâteaux à l’huile, donc de la bénédiction, pour recevoir la force d’avancer et de se tenir debout.
Cinquième piste : se responsabiliser et s’organiser pour faire bouger la situation. Ne pas agir comme si on était seul, mais chercher ensemble des manières de faire, s’encourager et se soutenir sur le chemin, regarder l’autre comme un don de Dieu.
Peut-être, en creux dans le récit d’aujourd’hui, une sixième étape est-elle à voir dans la louange, qui semble faire défaut au peuple au désert. Exercer notre cœur et notre œil à discerner ce qui est offert chaque jour : une quantité suffisante de manne, la force d’avancer, l’élan d’espérer mieux, les proches pour se soutenir. Se réjouir de tout cela et pratiquer la louange comme un combat spirituel.
Septième et dernière piste : laisser le temps au temps, devenir des humains aux longues patiences pour paraphraser une expression de Stan Rougier. Il y a tout un temps de gestation, de mûrissement. On ne rentre pas dans le royaume de Dieu en courant et en détruisant ses murs, mais en ôtant nos chaussures pour rentrer dans ce qui n’a jamais cessé d’être notre foyer et en lavant nos yeux à l’eau de l’Evangile pour découvrir que les portes en sont grandes ouvertes, qu’elles l’ont toujours été et le seront toujours, qu’un à-venir nous est offert, et que ni les malédictions du passé ni les difficultés du présent n’auront le dernier mot sur notre Église ni sur l’Evangile.
Amen