Face au mal et au malheur, force et fragilité de l'espérance

Il y a quelques jours, lors de la reprise du ktcycle, la tension entre l’existence du mal et l’absence et le silence assourdissants de Dieu a été soulevée. Deux points particulièrement douloureux ont été mentionnés par les jeunes : où est Dieu pendant que les humains se massacrent et que des enfants meurent de faim ? Où est Dieu pendant que telle personne aimée souffre ? Que fait-il ? Cette tension est parfois insoutenable, peut-être surtout à cet âge avide d’absolu, et occasionne beaucoup de déceptions spirituelles et religieuses…

l y a certes un travail à faire sur nos attentes et représentations (non, Dieu n’a pas de baguette magique), mais pas seulement je crois. Comme êtres humains, nous avons besoin, aussi, d’un peu de tangible, quel que soit notre âge, pour y accrocher notre confiance et notre espérance. Les récits bibliques évoquent d’ailleurs souvent l’action de Dieu au présent, voire au passé. Jésus dit aux personnes qu’il rencontre que « le royaume de Dieu s’est approché ». Il s’est approché : donc il est là, déjà visible, palpable. Mais il n’est pas encore là, pleinement installé, et il reste assurément du chaos dans nos vies comme dans le monde. Le royaume de Dieu est déjà là certes, pour un bout, mais il est encore largement à venir… Jésus raconte des paraboles pour faire sentir cela, utilisant des images quotidiennes (la graine de moutarde, la pièce perdue et retrouvée, etc.). Personnellement, un film m’a aussi aidée à saisir un peu mieux ce déjà là et encore à venir, et mon job dans ce processus en cours.

Il s’agit de Mon voisin Totoro, de Hayao Miyasaki. Il met en scène deux enfants dont la maman est hospitalisée pour un temps qui semble devoir se rallonger à l’infini et dont le papa, très pris par son travail et très aimant, fait de son mieux pour soutenir tout ce petit monde. Un soir que les deux filles vont attendre leur père à l’arrêt de bus sous une pluie battante, la plus jeune, Mei, s’endort dans le dos de Satsuki, la plus âgée. Arrive alors Totoro, sorte de génie tutélaire et débonnaire de la forêt qui ressemble à une peluche géante. Satsuki s’émerveille et lui offre un parapluie des deux parapluies dont elle et Mei s’étaient munies. Totoro apprécie le cadeau et lui offre en retour un paquet emballé dans des feuilles, avant de quitter les deux filles.

Dans ce paquet, il y a des graines de toutes sortes que les filles plantent dans un coin du jardin. La nuit, elles sont réveillées par quelques notes d’occarina, et découvrent Totoro et ses deux petits compagnons qui marchent, dansent et jouent de la musique autour de la parcelle où les graines ont été plantées. Les filles se joignent à la ronde, et tout à coup les graines germent, grandissent à toute vitesse, et se fondent dans un arbre unique, gigantesque, qui domine toute la région. Au matin, les filles s’éveillent, jettent un œil dehors et ne voient pas l’arbre de la nuit. Était-ce un rêve ? Elles s’élancent vers leur parcelle, qui de loin semblait vide, et y constatent que les graines ont germé, poussant leurs cotylédons vers la lumière. Elles éclatent de joie et, sous l’œil bienveillant de leur père, chantent et dansent : « c’était un rêve mais c’était pas un rêve. »

Et si le royaume était un peu comme cette histoire ? Et s’il était un don improbable, gratuit et mystérieux auquel nous sommes appelé-es à faire confiance, suffisamment pour décider de planter les graines comme Mei et Satsuki le font, alors qu’elles auraient pu tout aussi bien oublier le paquet dans un coin, ou s’en servir comme d’un jeu, ou le poser comme un souvenir précieux au plus bel endroit de la maison où il serait devenu une idole. Nous sommes appelé-es à entrer dans cette confiance qui fait de nous des jardiniers du règne-royaume de Dieu.

Et puis, quand la confiance est là, autre chose de mystérieux aussi, qui nous reste en partie opaque, se produit, une présence qui vient déployer quelque chose de nouveau, d’inattendu, d’étonnant, dans ce qui est une promesse en cours d’accomplissement. La nuit de Mei et Satsuki est un rêve et n’est pas un rêve : l’arbre unique et magnifique n’est pas encore là, mais les premières pousses sont bien là, elles, signes tangibles que le rêve se réalisera pleinement (ou pas ? le film ne le dit pas, il invite à entrer dans la confiance) et sources d’une joie éclatante. Pour nous la venue du Christ peut être comme ces pousses du matin dans le jardin de Mei et Satsuki : un déjà là et encore à venir, une promesse en cours de réalisation.

Cela ne répond pas à notre envie que tout se règle rapidement, de manière efficace. Cela ne résout pas immédiatement la souffrance des personnes qu’on aime, ni l’absurdité des morts de millions de personnes dans les conflits armés. Mais cela nous offre une espérance tangible, une lumière dans l’obscurité. Le royaume de Dieu s’est approché. Nous en avons des récits, des traces dans notre quotidien, des expériences de libération, de relèvement, de persévérance, de courage.

Faisons-nous confiance à cela ? Vivons-nous selon cette confiance ? Œuvrons -nous à la germination du royaume, maladroitement peut-être, mais le cœur et les mains ouvertes comme Mei et Satsuki se joignant à la danse de Totoro ? Certainement pas tous les jours, ni dans toutes les circonstances... Nous aussi sommes en cours de réalisation, déjà un peu les humains que Dieu voit en nous, et pas encore totalement humains comme le Christ l’a été pleinement. Pas si facile ce déjà là et encore à venir. Faire avec le chaos qui lui est bien là, bien visible et ô combien douloureux, et soigner les germes de la vie déjà là pour qu’elle puisse se déployer aussi haut que l’arbre de Totoro. C’est petit, fragile, frustrant, cela demande de la patience… cela semble insuffisant, surtout face à des adolescent-es exigeant-es... Et c’est en même temps puissant, durable, et cela change réellement. D’où partir sinon de cela qui est là ? Qu’avons-nous d’autre à offrir ?

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