La formation des canons bibliques (recension)

La formation des canons bibliques, Collection « A voix haute, conférences de l’IPT », vol. 3, Olivétan/Institut Protestant de Théologie, 2021.

Ce troisième opus de la collection « A voix haute » rassemble cette fois des conférences données dans un cadre unifié : des journées d’études offertes début 2021 aux étudiant.es des facultés de théologie de Montpellier et de Paris et de la faculté vaudoise de théologie de Rome autour de La formation des canons bibliques. Le sujet peut sembler très technique et bien éloigné des préoccupations des fidèles de nos paroisses… et pourtant ! Il véhicule des enjeux et des questions fondamentales pour nos communautés et plus largement pour notre société : qu’est-ce au fond que cette collection de livres que nous appelons la Bible ? Comment-est elle parvenue jusqu’à nous ? Quel est notre rapport au texte que nous lisons et méditons, seul.e ou en Eglise ? Quelle est la part de Dieu et celle des humains dans la rédaction et la transmission de ces textes ? Que faire du fait que d’autres chrétien.nes lisent littéralement une autre Bible que nous, avec non seulement un autre sommaire mais des versets différents en de nombreux endroits ?

Si dans nos églises locales les fidèles sont relativement conscient.es du fait qu’il existe plusieurs traductions en français, qui disent à la fois la même chose et pas tout à fait, s’ils et elles peuvent même avoir une certaine conscience de la pluralité interne de voix et de théologies bibliques, il est tout un monde qui leur échappe bien souvent, tant il semble ouvrir des espaces trop dangereux pour la foi (souvent déjà mise à rude épreuve par bien d’autres facteurs) : celui de l’histoire du texte biblique et de sa transmission. Si quelques un.es en ont entendu parler, c’est bien souvent une trace simpliste qui reste gravée dans leur mémoire : à partir d’un texte originel, il y a eu tout un tas d’erreurs de transmission, de correction, de divergences… Autrement dit, on lit souvent l’histoire du texte biblique comme celle de l’Église : au début était la belle unité, puis est venue la pluralité, source d’erreurs et de conflits sans fin.

Les six contributions de ce petit volume, claires, pédagogiques, et jamais déconnectées des enjeux ecclésiaux, nous invitent à aller au-delà de ces idées reçues, fausses à force de vouloir simplifier. Pierlugi Piovanelli (université d’Ottawa), Thomas Römer (Collège de France), Matthieu Richelle (Université catholique de Louvain), Anna Angelini (Université de Zürich), Eric Noffke (Faculté de théologie vaudoise de Rome) et Valérie Duval-Poujol (Institut catholique de Paris) nous emmènent à la découverte de ce continent mal connu et pourtant si beau et si riche : l’histoire de ce texte multiple, foisonnant, mouvant, ouvert aux relectures, influences et interprétations qu’est la Bible. Vous y découvrirez les processus et enjeux qui ont conduit à marginaliser la littérature apocryphe (ce qui n’est pas synonyme de « mauvaise littérature théologique »!), à donner une autorité plus grande à certains livres puis à des collections de livres, comment et pourquoi nous lisons un texte biblique qui n’est pas celui qui a formé le langage et la spiritualité des premières communautés chrétiennes, et bien d’autres choses encore. Un voyage passionnant qui renouvellera votre regard sur vos passages préférés de la Bible comme sur les autres ! Et qui nous invitera peut-être, collectivement, à regarder autrement la pluralité des textes bibliques : « Pour le dire de manière quelque peu triviale, si l’on estimait que Dieu a eu pour objectif que l’Église dans son ensemble lise un texte bien défini et univoque, il faudrait constater qu’il n’a pas été atteint. Certains en attribueraient la faute aux copistes, d’autres concluraient plutôt que confier la transmission du texte à un processus humain e reproduction manuscrite impliquerait nécessairement qu’il soit instable ou mouvant, et que cet aspect inhérent au devenir du texte doit être tenu comme faisant partie de sa nature même. » (Matthieu Richelle, p. 75).

C’est que contrairement à une autre idée reçue, la Bible n’est pas Parole de Dieu : la Parole de Dieu surgit dans la rencontre entre le texte biblique et une communauté de lecteurices. Et la rencontre change à la fois le texte et ses lecteurices, ce qui est une Bonne Nouvelle ! Pour le dire avec les mots de Grégoire le Grand, « L’Ecriture grandit avec celles et ceux qui la lisent. » (Homélies sur Ezéchiel, I, 4, 2, éd. Ch. Morel, Sources chrétiennes 327, Cerf, Paris, 1986)

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